Insultes, violence, expression des extrémismes politiques et religieux, défoulement homophobe, récupération malsaine des fantasmes, des peurs et de la méconnaissance : opposants ou partisans, nous ne pouvons que constater le climat délétère qui a entouré, jusqu’à l’occulter parfois, le débat sur l’ouverture de l’institution du mariage aux couples de même sexe. La méchanceté honteuse s’est affranchie de tout complexe et la France de mauvais poil n’a, une fois de plus, pas trouvé l’occasion de lisser son image à l’échelon international.
Au sein de tout ce fatras fratricide, il est une réticence, à la fois sourde et profonde, qui n’a pas éclaté au grand jour. Elle était pourtant là, à chaque instant, cette crainte que les femmes puissent parvenir à se débrouiller sans les hommes. Déjà, elles votent, elles font des enfants quand elles veulent, elles travaillent, elles gagnent leur vie, elles sont députées ou cheftaines d’entreprise… vont-elles, en plus, se marier entre elles et ainsi, franchissant une étape supplémentaire, déclarer publiquement, civilement, qu’elles n’ont pas forcément besoin de l’homme ? Et si, jusqu’à présent, celles qui élevaient des enfants seules le faisaient à la suite d'une circonstance malheureuse, elles pourront dorénavant le faire par libre choix et dans la joie. L’idée souterraine, certes insupportable, que les femmes rejettent leurs congénères masculins, comme des petits garçons ou comme des géniteurs de furtive occasion, n’est hélas pas nouvelle et s’est réveillée sans le dire. Les femmes prélèveraient la semence des hommes, s’empareraient de leur force et prendraient le pouvoir.
(Un petit aparté, si vous me le permettez. Du coup, dans les défilés, ont été brandis des panneaux de rappel à l’ordre naturel des choses : Y’a pas d’ovules dans les testicules. Vain dieu, on l’avait oubliée, celle-là ! Ce n’est évidemment pas faux. Remarquez qu’à l’inverse, on n’a pas été jusqu’à afficher qu’il n’y avait pas non plus de testicules dans les ovules, parce que, ça, vraiment, ça aurait foutu les pétoches. On n’a même pas osé y penser.)
Et, comme par hasard, comme pour ne pas calmer ce fantasme terrifiant de la femme qui se débrouille sans homme, qui est-ce qui a porté cette loi ? Christiane Taubira ! Oui, notre amie Christiane Taubira, une femme de couleur, une femme venue d’ailleurs, une femme qui aime la poésie et la clame en plein hémicycle, une femme brillante qui prononce des discours sans recourir à ses notes, une femme qui maîtrise son sujet, une femme en chair et en os, une femme posément présente, le contraire d’une excitée en mini-jupe (suivez ou ne suivez pas mon regard). De ci de là, par monts et par vaux, à droite et à gauche, on reconnaît à Christiane Taubira qu’elle "a de la trempe", qu’elle est une "combattante". Avec elle, il y a du répondant. Le débat est plus viril. Elle regarde l’opposition, elle affronte l’adversité, elle aime la joute. Elle aime séduire et convaincre pour gagner., a expliqué Philippe Gosselin (http://www.liberation.fr/politiques/2013/02/04/simone-veil-badinter-et-christiane-taubira_879299).
Les énervés de la femme au pouvoir pourraient se consoler en se rappelant que le projet de loi était inscrit au programme présidentiel de l’homme François Hollande et que ce n’était pas Christiane Taubira, elle toute seule, elle sans homme, qui l’avait pondu. Oui, mais… Il y a un "oui, mais" parce que, quand même, n’oublions pas que notre Président de la République est affublé d’un patronyme féminin, qui évoque platement la terre inondable des tulipes et de la mimolette. Pire, il fut un temps le compagnon en arrière-plan d’une femme également présidentiable, qui avait le culot de porter un nom à la fois masculin et royal. Notre honorable Président de l'honorable République, celui que l’on surnomme gentiment "Flanby", a beau avoir engendré quatre petiots, il n’empêche que le bon peuple, dans ses lumières finement nuancées du XXIe siècle, lui prête une espèce de masculinité molle et condescendante. Il n’a pas la carrure, dit-on, et il officialise, à la manière de Depardon qui l’a photographié, l’image d’un amateur. Il est, comme l’avait qualifié Jean-Luc Mélenchon, le "capitaine de pédalo". De là à soupçonner qu’il aime les pédales… Non, vraiment, François Hollande, n’apparaît pas en tant qu’homme "de la situation".
Il ne fallait donc pas plus que le couple Taubira-Hollande, parents de cette loi scélérate, pour finir de convaincre une cohorte d’effrayés que la chute de notre civilisation était proche. Bientôt, vous le verriez, les hommes ne seraient plus des hommes et les femmes se prendraient pour des hommes. Le peuple de France avait déjà sous les yeux le mariage surnaturel d’une guerrière exotique tirant des flèches et d’une crème aux œufs se liquéfiant. L’enfant ne pouvait être qu’un texte monstrueux. "Allo, non mais allo quoi, t’es un peuple et t’as pas un vrai papa ni une vraie maman ?"
Peut-être réussirai-je, aujourd’hui, à rassurer certains et certaines. Ou peut-être pas. Personnellement, je crois que nous ne sommes pas encore à la veille du monde sans hommes. Au contraire, les femmes dans l’ensemble n’ont sans doute jamais autant recherché et attendu les hommes qu’à notre époque. Si le mythe terrifiant des Amazones traîne encore ses savates de temps en temps, les nombreuses et malheureuses Pénélopes restent criantes de réalité. Si vous ne me croyez pas, allez faire un tour sur les sites de rencontres ou du côté de chez Eva Illouz (http://www.seuil.com/livre-9782021081527.htm).