Blandine Margoux (avatar)

Blandine Margoux

Rédactrice

Abonné·e de Mediapart

8 Billets

1 Éditions

Billet de blog 30 avril 2013

Blandine Margoux (avatar)

Blandine Margoux

Rédactrice

Abonné·e de Mediapart

À armes égales : pamphlet directement adressé aux sots pseudos

Je ne crains ni la confrontation ni le combat au nom de causes divergentes, pourvu que l’honnêteté, c’est-à-dire l’engagement de sa personne, soit au rendez-vous. Je ne m’adresserai ni ne répondrai plus à un pseudo, pas davantage qu’à un groupe nébuleux ou masqué. Je suis une personne et je parle, chaque fois que je parle, à une autre personne. Son nom et son visage m’importent autant qu’il m’importe de ne pas me voiler face à autrui.

Blandine Margoux (avatar)

Blandine Margoux

Rédactrice

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je ne crains ni la confrontation ni le combat au nom de causes divergentes, pourvu que l’honnêteté, c’est-à-dire l’engagement de sa personne, soit au rendez-vous. Je ne m’adresserai ni ne répondrai plus à un pseudo, pas davantage qu’à un groupe nébuleux ou masqué. Je suis une personne et je parle, chaque fois que je parle, à une autre personne. Son nom et son visage m’importent autant qu’il m’importe de ne pas me voiler face à autrui. J’assume mes erreurs et je présente mes excuses si elles sont justement attendues. À cause de ces erreurs et imprudences, encore je m’écroulerai. Grâce à ces mêmes erreurs et imprudences hardies, encore je me relèverai.

Pourquoi ai-je pris cette décision ? Pour plusieurs raisons.

Si, au prétexte de sa réputation sociale ou par crainte d’anéantir d’un coup son réseau professionnel patiemment constitué, il faut cacher son identité, existe-t-il encore une liberté d’expression ? N’est-ce pas, fondamentalement, capituler ? N’est-ce pas flancher devant une nouvelle dictature : celle de l’apparence (ne rien laisser deviner) et d’une illusoire homogénéité de la personne (ne rien donner qui puisse prêter à penser qu’il y a en soi plusieurs facettes) ? N’est-ce pas s’abandonner à la paresse intellectuelle, au confort illusoire d’un citoyen-travailleur dont rien ne dépasserait ou ne sortirait du cadre, sinon en catimini ou en sourdine lamentable ? Les pseudos à tire-larigot ne sont-ils pas le nouveau costume que l’on endosse ou le nouvel uniforme protecteur dont on avait cru, en mai 68 par exemple, éradiquer le conformisme ? Ces noms d’emprunt, camouflages souvent ridicules, ne sont-ils pas propices aux défoulements les plus agressifs et les plus insultants, aux piratages et récupérations de pacotille, sans échange véritable, sans volonté sincère de construire, sans respect ni esprit de mutualité ? Je crains que le pseudo ne colporte, un peu trop facilement et sur le dos d’un pauvre âne, le fantasme décalé de ceux qui regrettent de n’être pas des vrais espions, des vrais révolutionnaires traqués, des vrais martyres de la bonne cause. Il me semblerait plus simple, plus loyal et plus courtois que nous adoptions tous, simplement, le comportement de citoyens ordinaires qui font usage du droit maintenant le plus ordinaire : la liberté d’expression, assortie de son corollaire : la responsabilité.

Écrire ou réagir sous pseudo ne relève souvent que de l'aboiement. Écrire ou réagir sous pseudo, c’est être vaincu d’avance parce que c’est signifier que l’on a admis que le droit élémentaire de l’expression est supprimé. Certains imaginent peut-être qu’ils vont être licenciés parce qu’ils auront publié un billet de 26,75 lignes dans ce journal clandestin et héroïque, dont on murmure le nom à voix basse : Médiapart. Certains craignent peut-être une condamnation à l’exil définitif parce qu’ils auront réagi à l’affirmation de leur congénère masqué à propos de l’inefficacité des pesticides dans la culture des champignons de gouttière. Certaines redoutent peut-être d’être lapidées au détour de leur rue parce qu’elles auront osé révéler que le chien de la voisine venait de se faire écraser et que c’était peut-être une vengeance parce que la voisine en question enquiquinait tout le quartier, systématiquement tous les dimanches, depuis fort longtemps, en faisant griller ses sardines dès 11 heures du matin quand beaucoup en étaient encore au petit-déjeuner. Oui, en alignant deux mots, évidemment remarquables, on risque gros en France ! Plus sérieusement, écrire sous pseudo, c’est affirmer publiquement que, si l’on écrivait sous son vrai nom, l’on serait vulnérable aux intimidations alors que ces intimidations n’ont pas lieu d’être dans un régime censé être démocratique. Le pseudo, c’est un hurlement narcissique et, simultanément, c’est un renoncement fondamental. Au contraire, écrire sous son nom est un acte, un premier acte civique avant d’agir sur le terrain et de contribuer, modestement, à quelques améliorations. Le nom et le visage affichés sont les prémisses du tout petit courage que l’on peut avoir encore. Voilà pourquoi je dis stop à ces pseudos en grande pompe, affluents et si peu influents, qui prêtent à imaginer à ceux qui les portent qu’ils incarnent une future grande date historique, une utopie originale, une révélation littéraire ou une sensibilité hors du commun.

Si on écrit sous son vrai nom, de quoi peut-on être accusé sinon d’être soi-même ? Le pseudo, c’est la dictature que l’on s’invente quand, par chance ou par lutte historique, il n’y en a pas dans son pays. Le pseudo, c’est l’imposture.

Sans doute parce que je refuse la facilité du pseudo (une imprudence selon certains), je viens d’être (réellement) assourdie, isolée et mordue par des personnes (virtuelles), des sortes de chiens galeux et un peu énervés à l’idée de cette loi qui a ouvert l'institution du mariage aux couples de même sexe. J’étais à découvert. J’étais seule. Eux et moi n’étions donc pas à armes égales. Ce n’est pas l’attaque qui m’a blessée, mais la manière. Alors, je vais prendre mes quartiers et réparer mes blessures. Peut-être ne remettrai-je jamais les pieds sur ce champ de pagaille qu’est Médiapart. Peut-être y reviendrai-je. Dans cette seconde hypothèse, je ne lirai les articles et billets que d’auteurs identifiés et je n’échangerai qu’avec les personnes qui auront le toupet de traîner leur vrai prénom et leur vrai nom comme autant de casseroles, sinon davantage. Je ne converserai plus avec grand monde, me rétorquerez-vous. Et bien, tant mieux ! Je règlerai du même coup cette difficulté, exagérément contemporaine au point que le temps qui passe prend l’air d’une succession d’urgences qui ne le sont évidemment pas. J’évoque ici mon addiction exponentielle à internet et à ses élans aussi artificiels que frénétiques. J’ai été touchée, non pas par la grâce, mais au contraire par cette maladie qui, de liens en liens, de clics en claques ou de tocs en chocs, altère la capacité à renouer épisodiquement avec soi-même et à prendre du recul.

Et puis, mon petit doigt me dit que, si chacun s’exprimait sur Médiapart sous sa véritable identité, les débats gagneraient en qualité, peut-être même en efficacité au quotidien. Je rêve d’un jour où les commentaires cesseraient de ressembler à des bactéries nauséabondes, affublées de noms bizarroïdes, en réaction entre elles, cultivées dans leur éprouvette surchauffée, peu représentatives de la vie entière et complexe d’un seul homme ou d’une seule femme qui n’est pas sous cloche mais, au contraire, en lien possible avec une autre personne sincère.

Finalement, les conseils de grand-mère ont du bon. Il en est un, aujourd’hui, que je me rappelle : « Ma fille, on ne parle pas  à un inconnu. ». Alors, puisque j’ai passé l’âge des jupes plissées, ainsi que des rébellions contre les règles élémentaires de bonne tenue et de politesse, je ferai bien sagement, sur internet, ce que l’on m’avait dit de faire pour de vrai. Avant de m’engager dans une conversation, je m’enquerrai de l’identité de l’autre personne, éventuellement de son état, et je m’assurerai autant que possible que mon interlocuteur sera en position d’entendre ce qu’il pourrait me venir à lui dire. Je suppose que les échanges deviendront rares, lents, réfléchis et précautionneux, du genre « triés sur le volet ». Ce sera en tout cas de personne à personne. Ce sera à armes égales. Ou ce ne sera rien. Parce que, quand vous déclinez votre identité d’emblée, personne ne vous la prend, personne ne peut plus vous la voler. Se présenter à l’autre, c’est le début du don de soi, le premier pas de l’échange équitable et respectueux, aussi vigoureux puisse-t-il être. 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.