Ce document synthétise des analyses de la situation actuelle des personnes de grand âge conduites par la Commission Grand Âge de l’ADMD pendant l’année 2010.
Face à la mort au 21ème Siècle
Les personnes de plus de soixante dix ans vivent dans un contexte qui est totalement nouveau par rapport à celui de la vieillesse de leurs grands parents. Depuis vingt ans l’espérance de vie a considérablement augmentée. À la fin de la présente décennie, les plus de 75 ans représenteront presque 10% de la population française.
Cette prolongation de la vie est une très heureuse évolution qui permet une vie agréable à tous les retraités un peu aisés, qui connaissent ainsi une existence réservée il y a un siècle à quelques rares privilégiés.
À ce tableau idyllique, il convient immédiatement de juxtaposer des situations beaucoup moins enviables. La prolongation de la vie n’est parfois qu’une survie difficile avec de multiples pathologies dont aucune n’est mortelle, mais dont la conjugaison gâche la qualité de la vie. En bref, il ne suffit pas de donner des années à la vie, mais de donner de la vie aux années. L’âge avançant survient la perte d’autonomie, dont la fin ultime est un état grabataire, plus ou moins conscient. Les progrès de l’hygiène et des traitements médicaux permettent la survie, dans des conditions qui suscitent l’angoisse de toutes les personnes vieillissantes.
L’arrivée à un âge avancé entraîne une autre conséquence : la dégénérescence des cellules cérébrales qui augmente inexorablement avec l’âge. La crainte de l’occurrence de la Maladie d’Alzheimer amplifie l’angoisse des personnes très âgées et de leurs proches. Elle est justifiée, car la prévalence de la maladie d’Alzheimer est de 1% des personnes entre 65 et 69 ans, alors qu’elle est de 40% des personnes entre 90 et 95 ans. Un homme sur huit et une femme sur quatre en souffriront. D’ici vingt ans, le nombre de personnes atteintes (860 000 en France) doublera.
Le déni de la mort pèse lourdement sur notre Société. L’allongement de la durée de la vie y contribue beaucoup. La mort ne touche plus directement les actifs, car ce sont les gens de 70 ans qui ferment les yeux des plus vieux et en héritent.
Ce déni est amplifié par l’impact considérable des progrès de la science et des biotechnologies médicales. Des plans efficaces font reculer la maladie. On vit aujourd’hui souvent longtemps avec son cancer, son diabète ou son HIV. Mais parfois, la maladie est jugulée au dépend du malade, dont la pauvre vie appelle commisération. Ces réussites entraînent aussi l’incantation politique, en particulier pour la maladie d’Alzheimer : 30 ans de recherches n’ont pas permis d’obtenir de médication symptomatique limitant la souffrance des malades et de leurs familles.
Les conditions de la mort elle-même sont très mauvaises. Selon l’étude MAHO (Mort à l’Hôpital) publiée en 2008, les soignants considèrent que seulement 35% des décès s’y déroulent dans des conditions acceptables. Le rapport de l’IGAS, « La mort à l’Hôpital », de 2009, analyse les conditions souvent difficiles de la fin de vie des personnes qui décèdent à l’hôpital ou en maison de retraite, soit 68,3% des cas de décès.
S’il y a des centenaires heureux, une importante cohorte de grands vieillards sont des êtres grabataires, encore souffrants et souvent inconscients. L’humanité fait face à la première génération qui porte pendant sa retraite la fin de vie interminable et douloureuse de parents très âgés. Une prise de conscience émerge avec force des travaux de la commission : comment ne pas faire supporter à nos enfants ce que nous avons supporté nous mêmes avec nos propres parents.
Les institutions de prise en charge de la fin de vie
Le rejet du système actuel d’accompagnement de la dépendance est unanime chez tous les membres de la commission. Ce rejet est amplifié par les conséquences économiques très dures de la dépendance pour les budgets familiaux.L’hébergement en maison de retraite est la principale solution de prise en charge des personnes âgées dépendantes (660 000 personnes hébergées). D’après le sondage de 2009 de TNS Sofres pour la FHF, elle est pourtant une solution contrainte et subie : quel que soit leur âge les Français partagent la même réticence à son égard. Entre malaise et culpabilité, les plus jeunes y mettent à contre cœur leurs aînés (79%) ; et les personnes âgées ne souhaitent pas aller en maison de retraite (90% des 75 ans et plus).
Les membres de la commission Grand Âge ADMD s’expriment de manière encore plus radicale. Le cri du cœur est plutôt mourir que de se retrouver en EHPAD, en niveau de dépendance GIR 1 ou 2 !
Toutefois, la prise en charge de la fin de vie par les institutions sanitaires et médicosociales conditionne fortement notre combat pour la reconnaissance de notre ultime liberté. Ce sont dans ces institutions que se développent des fortes résistances à notre volonté de proposer un autre choix de fin de vie. Leur finalité est de maintenir en vie des êtres fragiles, même si leur action prolonge une vie végétative dolente, une survie sans espoir, dont les conditions obsèdent et culpabilisent les fils et filles compassionnels.
Nous ne devons ni ne pouvons définir seuls de nouvelles politiques adaptées aux conditions actuelles du vieillissement de la population. La complexité des problèmes à traiter est extrêmement grande, tant au niveau des solutions à concevoir, élaborer et faire vivre, qu’au niveau des modes de financement de la prise en charge de la dépendance et des soins médicaux. L’ADMD doit s’associer aux travaux du CISS et des RU présents dans les institutions créées auprès des ARS (CRSA, Conseils de Territoire).
Le maintien à domicile est privilégié dans le discours de tous les acteurs. Cette solution est plus difficile à mettre en œuvre que l’hébergement en institution, qui capte en France l’affectation des moyens. Le Danemark a généralisé le maintien à domicile en développant un habitat adapté aux personnes de grand âge, y compris celles atteintes de maladie d’Alzheimer. Des systèmes d’assistance et soins à domicile complètent le dispositif de logements adaptés. L’hébergement en institution ou l’hospitalisation n’y concernent que des cas très difficiles.
L’autre volet d’une politique de prise en charge de la fin de vie est le financement de la dépendance. 20% seulement des personnes peuvent faire face aux coûts qui sont en moyenne de l’ordre de 3000 € par mois à la charge des familles dans les grandes agglomérations. Les projets gouvernementaux sur la dépendance entraînent l’abandon de la mise en place d’un cinquième risque. Ils suscitent des réactions violentes d’associations comme France-Alzheimer, qui refusent que la fin de vie soit un marché pour les financiers, promoteurs d’établissements d’hébergement ou compagnies d’assurance.
Gérer sa fin de vie dans le grand âge
Beaucoup de gens âgés adhérent à l’ADMD, dont la médiane d’âge des membres se situe entre 75 et 79 ans. Ils souhaitent maîtriser leur fin de vie, en exerçant leur liberté de choix, possibilité encore déniée par la Loi. Un projet de fin de vie se construit quand on est à la fois lucide et dynamique. C’est la volonté d’autonomie de la personne, disposant de la plénitude de ses moyens intellectuels, qui motive l’expression de directives anticipées. Cette attitude libère de l’angoisse. Sa finalité doit être l’acceptation de la mort consubstantielle de la vie, phase ultime de l’existence humaine.
À cette phase d’affirmation de sa liberté, s’oppose hélas avec l’avancement de l’âge, des étapes de dégradation de l’état général. Une cassure se produit alors chez l’être affaibli par les maux multiples qui l’assaillent. La volonté peut gravement s’émousser et conduire à un abandon de toutes les capacités d’imposer un choix antérieur, formulé dans des directives anticipées.
Nous sommes au cœur d’une situation paradoxale : les directives anticipées ne doivent être rédigées qu’avec la pleine capacité d’expression d’un choix personnel, libre de toute contrainte extérieure. Mais leur mise en application se passe dans un contexte institutionnel, sanitaire ou médicosocial, qui influe lourdement sur les décisions. Surgit la contestation ou le déni des volontés exprimées antérieurement, surtout quand elles n’ont été formulées que verbalement. C’est alors que la Personne de confiance devrait intervenir, dans le cadre de directives anticipées claires, d’autant plus efficacement que la famille est en accord avec elle.
Avec la législation actuelle, seule une personne dont les jours sont comptés peut faire l’objet d’un arrêt de soin qu’une sédation doit accompagner. Or, avec les conditions actuelles de survie prolongée au grand âge, des situations surgissent, que le cadre législatif actuel ne permet pas de régler. Deux cas illustrent cette affirmation.
· Des handicaps physiques rendent leur existence insupportable à des personnes de grand âge, auxquelles la vie n’apportent plus ni joie ni plaisir et ne mérite plus d’être vécue. Cette revendication s’exprime d’autant plus vigoureusement que la personne est en pleine possession de ses moyens intellectuels, trahis par un corps invalide. Ses jours ne sont pas pour autant comptés. Aucun pronostic vital à court terme ne peut être émis. La simple possibilité de pouvoir mourir de manière non violente constituerait une très grande libération. C’est la fameuse touche étoile de Benoite Groult.
· L’annonce du diagnostic de troubles neuro-dégénératifs, Alzheimer ou assimilés, est un moment terrible pour ceux qui reçoivent cette information et pour leurs proches. Dans les phases précoces, le malade vit d’autant mieux qu’il est intégré dans un contexte qui maintient le lien social et les relations affectives. Mais il arrive hélas un moment, où, en toute lucidité, le malade peut estimer que sa vie ne mérite plus d’être vécue, d’autant plus qu’il a conscience de la charge matérielle, affective et morale qu’il imposera à ses proches, pendant une longue période où son état ne pourra que se dégrader.
Ces situations posent le problème en deux temps: d'abord la personne exprime la revendication d’une liberté de choix devant la mort, pour défendre son autonomie par rapport à des déterminismes sociétaux puissants. Dans un deuxième temps, affaiblie par la maladie et son grand âge, elle n’a plus la force de défendre ses volontés anticipées.
Ce constat montre l’importance très grande d’une évolution de la législation pour la fin de vie des personnes de grand âge. L’ADMD doit rompre le silence actuel pour qu’émergent des démarches éthiques pour accompagner la fin de vie dans le Grand Âge.