Dounia Bouzar

Abonné·e de Mediapart

1 Billets

0 Édition

Billet de blog 24 novembre 2014

Dounia Bouzar

Abonné·e de Mediapart

Radicalisation: «Lutter contre les amalgames»

Dounia Bouzar

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le CPDSI tient à dénoncer l’aspect stigmatisant du power point du Rectorat de Poitiers publié par Mediapart. Ce dernier liste un ensemble d’apparences physiques et de comportements pour « prévenir la radicalisation ». Ce power point cite comme « ressources » la MIVILUDES, le CNAD et le CPDSI. Pourtant, il semble que les travaux de recherche du CPDSI n’aient pas été compris, ce qui montre bien la priorité de la formation des professionnels de la jeunesse.

En effet, ce power point établit un amalgame complet entre ce qui relève de la pratique musulmane et ce qui révèle un embrigadement. Il parle :

-       d’  « habits musulmans »,

-       de call sur le front,

-       de barbe,

-       de chaussettes remontées,

-       de maigreurs répétées dues aux nombreuses périodes de jeûne….,

comme « indicateurs d’alerte »…

A côté de cela, il reprend les travaux du CPDSI en citant les indicateurs d’alerte issus de la recherche-action menée avec les parents ayant contacté cet organisme soit :

-       la rupture avec les anciens amis

-       la rupture avec les activités de loisirs

-       la rupture scolaire

-       la rupture familiale.

D’autres amalgames sont élaborés: le rapport reprend des terminologies employés par le CPDSI (Mère Teresa, Lancelot, etc.) comme s’il s’agissait de « profils de jeunes », alors que la recherche du CPDSI les présente comme des exemples de mythes proposés par le nouveau discours terroriste pour atteindre des profils élargis de jeunes, et déconstruit comment la proposition d’identification à ces mythes peut toucher et/ou faire autorité sur un certain nombre de jeunes différents.

L’amalgame élaboré dans ce power point nous paraît grave : tout notre travail de recherche (rapport gratuit de 90 pages sur la page d’accueil cpdsi.fr) montre que le phénomène d’embrigadement des mineurs qui partent en Syrie ou en Irak ne doit pas s’appréhender sur un registre religieux mais sur le plan des ruptures sociales et familiales, comme n’importe quel type d’endoctrinement qui utilise les techniques de dérive sectaire. Les questions des écoutants du numéro vert du Ministère de l’Intérieur qui peuvent aider les parents à vérifier leur diagnostic (simple conversion ou endoctrinement/embrigadement), formés en partie par le CPDSI, ne comprennent aucune question sur la pratique religieuse ou l’aspect de « signes présumés religieux ».

Lutter contre les amalgames, qui profitent toujours aux radicaux, constitue l’un des principaux apports du rapport de recherche du CPDSI. Cette « désislamisation de l’embrigadement » nous a d’ailleurs valu une attaque en règle de Marine Le Pen, qui elle, a bien compris le message. Cet aspect figure dans tous mes ouvrages et constitue mon cœur d’expertise depuis plus de 15 ans. Déjà, lors de la publication de l’étude publiée sous le titre de « La République ou la burqa, les services manipulés face à l’islam radical », les résultats recueillis sur le terrain de l’Education nationale avaient montré que les représentations négatives sur l’islam menaient les interlocuteurs des jeunes à ne pas appliquer leurs critères de droit commun aux jeunes «  musulmans » ou « présumés musulmans ».

C’est justement lorsqu’un citoyen a le sentiment que sa place n’est pas garantie par les autres qu’il peut être attiré par une idéologie de rupture. Arrêter de stigmatiser, discriminer, considérer les citoyens de référence musulmane comme des gens « à part » est une des conditions de base pour désamorcer l’autorité des discours radicaux.

Dounia Bouzar, anthropologue du fait religieux, fondatrice et directrice du CPDSI

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.