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Billet de blog 27 septembre 2010

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Le traitement honteux de la France envers les étrangers

Vivant en France depuis cinq ans, tous les ans, je dois renouveler ma carte de séjour. Jusque-là aucun problème, cela fait partie des règles du jeu. Ce qui pose problème c’est la méthode utilisée par le service public concerné.

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Vivant en France depuis cinq ans, tous les ans, je dois renouveler ma carte de séjour. Jusque-là aucun problème, cela fait partie des règles du jeu. Ce qui pose problème c’est la méthode utilisée par le service public concerné.

Tous les ans, j’éprouve le même sentiment d’indignation en ce qui concerne les conditions d’accueil des préfectures de la région d’Île-de-France (plus précisément les départements où j’ai habité : 92, 93, 94). Ce n’est pas acceptable d’être traité comme des sous humains pour obtenir son DROIT de vivre régulièrement dans le territoire français.
Au cours de ces cinq dernières années, j’ai pu vivre et être témoin de beaucoup de galères durant les journées passées à la Préfecture de Police. J’ai pu constater le mépris et la maltraitance que subissent les étrangers dans leur quête de papiers.
À chaque fois, quand je raconte mes mésaventures de la Préfecture de Police, je suis surprise de l’étonnement de mes amis français, quand ils découvrent le parcours d’un étranger pour obtenir sa carte de séjour !
Mais cette année, pour moi c’est le comble ! J’ai donc décidé de faire connaître au plus grand nombre de français les conditions d’accueil des étrangers dans leur pays.
D’habitude, dans la majorité des préfectures d’Île-de-France, les gens arrivent à partir de 4h du matin pour faire la queue et être sûrs de pouvoir passer au guichet dans la journée (étant donné qu’à l’ouverture des portes, vers 8h30/9h, les agents de la préfecture distribuent à peu près 150 tickets, avec des quotas : première demande, renouvellement, changement d’adresse…). Mais, dans le département de Seine Saint Denis/93 (département où j’habite depuis peu), à Bobigny, les conditions d’accueil des étrangers m’ont particulièrement choquées.

Après deux matinées consécutives où je suis arrivée avec le premier métro, pour obtenir - sans succès - un ticket d’accès au guichet, je me rends compte, au fil des discussions avec les voisins de file d’attente pendant les éternelles heures froides et fatigantes (parce qu’il faut rester debout dès l’aube jusqu’à vers 9h/9h30), que si l’on arrive après 4h du matin ce n’est pas la peine de faire la queue.
Vers 9h l’indignation et la rage s’installent. Des personnes âgées, des femmes avec de très jeunes enfants, des travailleurs et travailleuses qui ont pris une journée de congé, sont en colère et indignés d’avoir passé des heures et des heures à attendre pour rien (beaucoup d’entre eux sont arrivés à 4h). De plus, les quotas sont aléatoires : par exemple, c’est au moment de la distribution de tickets que l’on découvre qu’il n’y aura pas de tickets pour la « première demande » ! Il faut revenir le lendemain !
Au début de la queue, plus les heures passent, plus le climat de tension s’élève. Les gens se disputent et même se frappent pour les histoires de place.
La distribution des tickets pour la journée commence à 8h30, mais il y a des personnes qui arrivent à partir de 18h de la veille pour garantir leur place∗.
Quand il faut payer pour avoir accès au guichet…
Il y a même un marché souterrain qui se fait… des jeunes hommes facilement repérables font leur « business » avec des places en début de queue. Ils arrivent très tôt (voir ils dorment sur place) et vendent 20 euros la place (avec la garantie d’être dans les 150 premiers).
Nous pouvons aussi acheter un petit café chaud à 50 centimes et des petits gâteaux, vendus par une dame ou un monsieur qui font des allers-retours toute la matinée le long la file d’attente.
Au bout du troisième jour, je constate que pour y arriver, je dois vraiment soit dormir devant la préfecture, soit acheter ma place ! Me refusant catégoriquement à dormir devant la préfecture de police, pour des questions physiques, psychologiques et de sécurité, je me trouve obligée d’acheter une place aux marchands de place. Un jeune homme est venu faire la queue pour moi bien avant 4h du matin et je suis arrivée vers 6h pour prendre sa place. C’est ainsi que j’ai enfin réussi à avoir un ticket !
À 10h du matin j’ai enfin mon ticket. Sur celui-ci est marqué « vous avez 130 personnes devant vous ». J’attends patiemment jusqu’à 16h30 jusqu’à que mon numéro de ticket soit appelé.
Quand on est privé de droit, dans un pays de droit…
On m’a fixé un rendez-vous pour dans trois mois pour que je dépose mon dossier. Je découvre que ce n’est qu’à cette date que je recevrai un récépissé, c’est-à-dire, le document provisoire qui me permet d’avoir tous mes droits en attendant la fabrication de la nouvelle carte de séjour. Le problème est que je reviens d’un séjour de cinq mois à l’étranger et que ma carte de séjour est expirée depuis deux semaines. J’explique mon cas à la dame au guichet et elle me répond : c’est votre problème madame ! J’insiste en demandant comment je vais faire pour toucher mon allocation de chômage et chercher un travail ; j’ai comme réponse : c’est votre problème madame ! elle me confirme qu’en effet, je n’ai aucun droit pendant trois mois et me refuse de parler avec son responsable !
Je suis stupéfaite de constater qu’en France - ÉTAT DE DROIT- on n’a pas vraiment le DROIT d’aller et venir ! Le fait d’avoir passé cinq mois à l’étranger (pour des raisons professionnelles, disons au passage, même si cela ne change rien à la donne), a comme conséquence que je me trouve maintenant sans carte de séjour pendant TROIS MOIS, c’est-à-dire, sans DROIT de chercher du travail, sans droit de toucher mes allocations chômage... enfin, sans papier !
La préfecture m’empêche de mener une VIE NORMALE pendant trois mois, en refusant de me donner un simple récépissé (alors qu’il n’y a aucune raison de le faire) jusqu’au jour de mon rendez-vous.
Tout ce combat pour avoir simplement mon DROIT d’avoir une carte de séjour pour vivre en France – UN DROIT QUE J’AI EN TANT QUE : RÉSIDENTE DEPUIS 5 ANS, MARIÉE AVEC UN FRANÇAIS, ÉTUDIANTE (DOCTORAT), TRAVAILLEUSE (donc contribuable comme n’importe quel autre citoyen) …
Mais je ne m’indigne pas que pour mon cas. Cela me fait de la peine de voir toutes ces personnes subir cela tous les jours. Sans pouvoir se plaindre, sans recours...
Il est honteux pour un pays qui se dit respecter les DROITS DE L’HOMME, d’obliger des personnes à dormir devant la porte de la Préfecture de Police, dans le froid, la pluie, l’insécurité de la nuit (comme j’ai pu le constater pendant ces trois jours), pour acquérir leur DROIT de résidence. C’est de la maltraitance physique, psychologique et morale envers les étrangers.
Et je ne parle même pas du traitement méprisant des agents de police et agents administratifs envers les étrangers…
Je ne comprends pas ce qui empêche le service des étrangers de fonctionner comme d’autres services.
Par exemple, le pôle emploi reçoit aussi beaucoup de monde tous les jours… et ils arrivent bien à donner un rendez-vous par téléphone pour que l’usager vienne avec son dossier !! c’est la moindre des choses !
La préfecture de Police de Paris pratique déjà, depuis longtemps les rendez-vous téléphoniques pour renouveler les titres de séjour. Pourquoi les autres départements d’Île-de-France ne font-ils pas ainsi ? Est-ce peut-être parce qu’à Paris, ce n’est pas le même public migratoire ! ?
À quand un traitement digne et « égalitaire » pour les étrangers, dans ce pays de liberté, d’égalité et de fraternité ?

Janice CAVALCANTI GENDRON
26 septembre 2010

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