An nou sispann maskoté !
La France s’apprête à aborder une nouvelle étape de la réforme de l’Etat. La réforme est économique avec une politique de l’offre inspirée par la course à la compétitivité territoriale ; elle est financière, en étant dictée par la réduction de la dette publique et du déficit budgétaire. Et enfin, elle est administrative par la poursuite de la montée en puissance des collectivités territoriales comme des acteurs majeurs de la conception, de la mise en œuvre et l’évaluation des politiques publiques (développement économique, écologique, social, culturel, éducation, santé, formation sécurité etc.).
La décentralisation, c’est bien le cœur de notre propos, progresse à la faveur de la construction de l’Union et des règles adoptées par le Conseil de l’Europe, au premier rang desquelles la charte de l’autonomie locale qui a été acceptée par la France. Voilà le maître-mot de la réforme pour ce qui concerne l’échelon local : l’autonomie. Ce mot qu’on a peine à entendre en Guadeloupe, car il est encore présenté comme l’antichambre d’un irrémédiable détachement de la Guadeloupe à la France. Bien sûr, c’est une contrevérité qui sert les intérêts des obscurantistes qui croient à tort que les Guadeloupéens sont des faibles d’esprit et que la politique de la peur qui est la même que la politique du ventre constitue un éternel moyen de faire prospérer une basse manière de faire de la politique.
Il y a là à la fois quelque chose d’irrationnel, voire de suicidaire car les prétendues garanties budgétaires, ainsi que la sécurité financière que conféreraient l’article 73 volent en éclat. Le Gouvernement prévoit une baisse de 3 milliards d’euros de coupe dans les dotations destinées aux collectivités territoriales pour cette année. Comment vont régir ces collectivités ? Suspendre leurs investissements ? Mettre un terme à l’exercice de leurs compétences exigé par la loi ? Interrompre le recrutement des cadres qui représentent les indispensables moteurs d’aide à la décision ? La réponse est non à toutes ces questions. Ceci étant, il n’est pas exclu que certaines se retrouvent dans la situation de la ville de Sevran, dont le maire écologiste a du avoir recours a une grève de la faim pour être entendu.
Les collectivités territoriales doivent s’adapter dans ce monde incertain et changeant. L’Etat recule et les espaces publics qu’il laisse vide sont occupés par les initiatives locales qui sont prises. Dans le cas contraire, la population serait davantage aux abois. C’est cette vérité qu’il convient de populariser en Guadeloupe : l’Etat intervient beaucoup et moins et nous devons par conséquent prendre nos responsabilités. C’est tellement vrai que la loi ordinaire fondatrice de l’acte II de la décentralisation a pour titre : « libertés et responsabilités locales ».
Comment peut-on encore faire croire aux Guadeloupéens que la France nous donnera tout, résoudra tous nos problèmes en restant confortablement assis à tendre la main et à crier : spécificités, particularités et transferts financiers. Prendre conscience d’une situation qui a changé ne signifie pas se détacher la République. Il y a au contraire une posture républicaine à faire comprendre au peuple que l’Etat fonctionne autrement en raison d’un contexte international qu’il ne maîtrise pas toujours, et qui ne lui est pas forcément favorable. Qui n’a pas remarqué que le Président Hollande a renoué avec une tradition qui avait été abandonnée par Nicolas Sarkozy, celle de la diplomatie économique ? Pareille démarche consiste à se rendre fréquemment à l’étranger pour vanter les mérites de la qualité de la production française en Inde, à Cuba, en Asie, en Amérique du Sud etc. Des pays qui étaient naguère dans la catégorie des pays en développement sont aujourd’hui, pays émergents, nouveau pays industrialisés, puissance mondiale en gestation. Lorsque la France peine à atteindre 1% de croissance, ces pays précités enregistrent des taux de croissance compris entre 4 et 8%.
Où veut-on conduire les guadeloupéens ? Quels desseins les partisans de l’immobilisme nourrissent pour les guadeloupéens ? Une réponse apparaît quasi spontanément : c’est la conservation des rentes de situations. Les guadeloupéens sont lassés de la politique car les politiques ne font plus de politique mais s’occupent de leurs affaires personnelles, celles de leurs amis et de leurs clientèles. Ce n’est point verser dans l’outrage que tenir une telle position. Un politologue Gunnar Myrdal avait déjà décrit cette situation et parlait « d’Etat mou ». La Guadeloupe est molle parce que la politique au sens noble du terme est à la dérive.
Que constate-t-on ? D’élections en élections, les guadeloupéens sont déçus quand ils ne sont pas désemparés. Ils s’abstiennent en très grand nombre, ce qui fait évidemment peser un risque sur la consistance de la démocratie. De même, sur la question de l’évolution institutionnelle, les guadeloupéens sont incrédules, n’ont pas parce qu’ils ne comprennent pas la nécessité de faire évoluer les institutions locales aux exigences de notre temps, mais parce qu’ils ne font pas confiance aux élus, dès lors qu’il s’agit de leur confier plus de responsabilités. La crise de confiance est douloureusement paralysante. Ceux qui revêtent les habits « de plus français que français », chantres d’un droit commun qui n’a jamais existé pour assurer leur maintien au pouvoir, ne trompent là non plus personne.
Or l’urgence à repenser le pays Guadeloupe constitue une nécessité absolue : comment rendre plus performante les politiques publiques locales en matière d’économie, d’insertion professionnelle, d’environnement, de lutte contre la précarité et la pauvreté ? Comment reconstruire un lien social qui s’est distendu ? Comment pacifier la société gangrénée par la violence ? Quel politique d’accès aux logements visant à faire des guadeloupéens des propriétaires dans leur pays ? Quelle politique fiscale pour permettre aux collectivités territoriales de dégager de plus grandes marges de manœuvre, compte tenu de la diminution d’année en année des dotations étatiques ? La matière politique existe mais elle est magistralement inexploitée.
Le triomphe de la culture du consensus doit être, impérativement, l’objectif à atteindre lors de ce congrès des élus départementaux et régionaux, programmé pour le 15 mars 2013. On peut douter que l’adoption à l’identique de l’acte III de la décentralisation, conçue premièrement pour les collectivités de l’hexagone soit à la mesure des transformations exigées par la situation dans laquelle se trouve la Guadeloupe. La Guadeloupe doit se penser par elle-même. Qu’elle puisse prendre cette orientation n’est pas l’équivalent d’une quelconque distance prise avec la République. C’est au contraire le signe d’une parfaite compréhension de la logique de la territorialisation des politiques publiques qui dominent le mode d’administration du territoire national.
Le courage et l’intelligence politique, l’audace dans le respect des principes et des règles de la République, l’inventivité et le sens de l’intérêt général représentent à mon avis les indispensables ingrédients pour concourir au plein succès de ce congrès et élaborer une stratégie digne de ce nom pour la Guadeloupe et les guadeloupéens.
Jean-Jacob BICEP
Député européen
Délégué national EELV aux outremers