mediapart13

Abonné·e de Mediapart

1 Billets

0 Édition

Billet de blog 16 août 2015

mediapart13

Abonné·e de Mediapart

“We are strong if you are here”: un mois de « presidio » à #Ventimiglia

mediapart13

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

[Des rochers sur la frontière nord-ouest à ceux de la frontière nord-est. De Trieste à Ventimiglia, deux histoires de migration, fantômes et racisme. Mais dans ce cas, aussi de lutte et de solidarité. Profitez de la lecture. WM]

Texte de plv, photo de Michele Lapini.
Article original en italien: http://www.wumingfoundation.com/giap/?p=21962
Traduction: Camilla

(Merci à Diletta, Francesca, Gionna et Ste pour la collaboration)

Cet article était d’abord pensé pour “percer” l’information: après la présence massive des médiaspour documenter la situation, personne n'a plus été intéressé par ce qui se passait à Vintimille. Toutefois, un mois après le début du bloquage de la frontière français, les medias sont revenus et les articles ont commencé à réapparaître. Il n’y a donc plus un écran à percer, mais plutôt une contre-histoire à reconstruire, même si ce n'est pas facile: même si celui qui écrit peut s’engager, la couleur de sa peau reste inexorablement blanche. Raconter une contre-histoire ne peut donc valoir que jusqu’à un certain point, même si on essayera d’aller jusqu’au bout. Pourtant, si un article a un sens, en ce moment, sur ce blog, c'est principalement parce que nous pouvons réfléchir sur «ce qu’il faut faire » dans une situation qui est entièrement fluide et en constante évolution. Donc, si quelqu'un a des idées, des opinions ou autre, c'est une bonne occasion de s'exprimer. Au contraire, si tuveuxhurler trop vite, fais-le seulement après avoir lu cet article. (http://www.dolcevitaonline.it/immigrazione-rifugiati-5-cose-da-sapere-prima-di-aprire-la-bocca/)

  1. Dans la direction obstinée et contraire

Le 12 Juin, un grand groupe de migrants, principalement du Soudan, mais aussi de l'Érythrée, est bloqué par la police française, lorsqu’il essaie de passer de Vintimille à Menton, pour franchir la frontière entre l'Italie et la France. En fait, plusieurs d'entre eux ont déjà fait des tentatives les jours précédents, mais ils ont été rapidement rejetés et renvoyés à la frontière italienne. Les premières images de la manifestation (http://www.ilsecoloxix.it/p/imperia/2015/06/12/ARdpSblE-ventimiglia_migranti_ingressi.shtml ) montrent les migrants à la frontière répéter obsessionnellement des slogans qui se réfèrent aux droits humains et à leur volonté de franchir la frontière. Dans la première période, nous assistons àce rituel à plusieurs reprises et il se répète le 12 Juillet, un mois après le premier bloquage.

Au début de Juin, la situation est tendue dans d'autres parties de l'Italie aussi, en particulier dans les gares de Rome et Milan. La raison en est officiellement la suspension temporaire de Schengen, décidée durant le G7 qui a eu lieu en Allemagne entre le 6 et le 8 Juin. Il s’agit donc d'une situation largement attendue, car l'événement a été prévu depuis des mois, alors que du sud au nord de l’Italie on retrouve une situation d'urgence qui plus que soudaine semble être étudiée théoriquement, d'autant plus que les chiffres de cette vague correspondent au flux habituel (http://www.internazionale.it/reportage/2015/07/13/ventimiglia-migranti-un-mese). Un mécanisme qui active la rhétorique habituelle de l'invasion lorsque au contraire le principal problème semble plutôt celui-là de l'évasion (http://www.repubblica.it/cronaca/2014/10/07/news/migrantes_pi_partenze_che_arrivi-97541785/).

Les migrants restent bloqués sur la route pendant quelques jours, sont « un scandale », « une blessure ouverte dans le cœur de l’Europe », déclarent les politiciens italiens, choqués par la fermeture de la France. Sur le site du «presidio» la police italienne est envoyée pour «résoudre» la situation, c’est-à-dire pour déloger les migrants et les envoyer à la gare, où des chambres avec lits ont été misesen place et où le centre de la Croix Rouge s’installe, avec un terrain pour accueillir les gens qui n'ont pas de place à l'intérieur de la gare. Personne ne sait quel est le destin des migrants qui sont amenés à la gare et il est bon de dire dès le début que, à ce jour, on ne sait pas quel est le plan prévu pour eux. Certains migrants sont alors emportés à bout de bras tandis qu’ils opposent une résistance passive mais déterminée (si bien que deux d'entre eux subissent un arrêt pour "résistance à la police"). La police au contraire va bien au-delà de la limite: avec une froideur chirurgicale la police traîne les garçons, en leur mettant les mains dans le visage, en leur empêchant de crier, en poussant les garçons comme s’ils étaientdes sacs vides à entasser dans un entrepôt: un spectacle obscène qui semble être créé pour être vu par ceux qui attendent une réponse ferme du gouvernement de Renzi et par ceux qui nourrissent le racisme. Face à cette situation, de nombreux jeunes fuient vers les rochers et menacent de sauter dans la mer si la police insiste dans son opération. Avec eux, il y a un petit groupe d'agriculteurs de la région, venus sur place immédiatement après avoir entendu les nouvelles à la radio: un mois après ce fait, on peut dire que leur aide immédiates'est révélée décisive.

Front de mer de Vintimille.

Peu de temps après un autre groupe de solidarité, à qui un blocus de la police empêche d'arriver dans la région, arrive sur la zone et crée ce qui sera (et est toujours) la « garnison permanente » (« il presidio permanente ») No Borders Ventimiglia. Une manifestation est lancée et le 20 de Juin une manifestation pacifique de personnes, en provenance de Ventimille et d’autres parties d’Italie, défile dans les rues de la ville en criant « No Borders ».

Après l'événement, rien n'a changé: les migrants sur les rochers sont encore sur les rochers, et les militants du presidio restent sur le presidio, ceux venus du dehors retournent dans leur villes respectives. Les médias intéressés par l'histoire diminuent, disparaissent. Peut-être parce qu'àBologne en été, la chaleur est insupportable. Peut-être parce que la fête de l'intellectualité représentée par la Reunion (http://corrieredibologna.corriere.it/bologna/notizie/cronaca/2015/19-giugno-2015/sogno-dionigi-arriva-piazza-eco-cacciari-accendono-reunion-2301542328966.shtml) a été plus insupportable que la chaleur. Peut-être parce qu’il y a beaucoup de gens qui ont un travail auquel ils cherchent seulement une bonne raison de fuir. Peut-être parce qu'il y a une volonté de s’engager. Le fait est qu’un groupe de personnes qui vivent à Bologne prépare une initiative en soutien à Vintimille. L’idée ne vient pas d'une réalité historique de la ville, mais du réseau Eat the Rich (dont Giap a déjà traitéhttp://www.wumingfoundation.com/giap/?p=21432), qui avec le soutien de CampiAperti, promeut l'idée d'une course de relais pour Ventimiglia. Voilà comment depuis mardi 23 nous partons pour apporter une cuisine populaire et, dans la précarité de la situation, pour essayer de faire une communauté avec les migrants. Petit à petit, l’initiative se répand et entraîne des gens qui vont bien au-delà du groupe de la cantine populaire. Sur le flyer on voit une course de relais partisane.

Si le groupe de relais de Bologne est extrêmement grand, les activistes et les militants viennent aussi d'autres villes de la Ligurie, de Milan, de Massa, de Turin, de la région des Marche, de la Sicile. Et de France. Et voilà qu'à Vintimille, le long d'un bras de mer d'une centaine de mètres, on commence à parler une poignée de langues différentes.

2. 20miles

Peut-être qu’on n’est pas dans le centre de toutes les contradictions du monde comme Zerocalcare à Kobane, mais nous sommes très proches.

Les migrants montent un campement tout près de la frontière et à quelques dizaines de mètres d'un complexe hôtelier de luxe avec un restaurant adjacent: dans le menu affiché à l'extérieur on peut lire que le prix pour une entrée peut arriver à 45 € et pour un café froid avec noisettes 15€.

Les plages sont superbes, la mer est limpide et non loin de là c’est possible de profiter d'une plage unique qui a plus de caméras de surveillance que de parasols : c’est une zone de tourisme, essentiellement riche, où le décalage entre la bonne vie de ceux qui visitent la région pour les vacances et la pauvreté de tous les migrants regroupés sur les rochers peut effectivement causer un rire hystérique.

Photo volée à un militant du « presidio »

Malgré les plaintes de certains la zone est en réalité séparée de la ville, tant et si bien que, paradoxalement, le centre habité le plus proche est Menton, la ville française immédiatement au-delà de la frontière. Le problème est que tu vas à Menton seulement si tu es blanc. Il serait préférable de dire que « tu y vas seulement si tu es européen », mais les faitsindiquent que si tu es un visage pâle personne ne te demande aucun document.

Au cours d'un mois, les gens de la garnison ont été en mesure de résoudre certaines difficultés que les institutions se sont gardées d’affronter : grâce à un panneau solaire les garçons sur les rochers peuvent charger leurs téléphones cellulaires, le trésor plus précieux qu'ils apportent avec eux, la seule façon de rester en contact avec leurs familles. Des douches ont été montées et quelques semaines après une toilette entièrement fonctionnelle a été installée. Par les habitants de Vintimille et parles militants qui passent au presidio arrivent des vêtements et de la nourriture. Beaucoup se demandent ce qu'ils peuvent apporter pour aider le presidio: serviettes, matelas et téléphones.

La situation évolue, elle est en changement continu: d'après tout le monde, un matin équivaut à 5 jours, à cause du stress, des sautes d'humeur, et le nombre de dons à stocker et à organiser. Dès le premier jour, a été adoptée une politique de soutien complet aux revendications des migrants: ce ne seront pas aux Européens à leur imposer une ligne, une proposition politique ou même seulement des mots de passent, ils auront eux-mêmes à choisir et nous nous mettrons à leur disponibilité. Une approche qui néanmoins montre sa problématique au cours du temps : si dans un premier moment un groupe de migrants est uni en menant une lutte politique sur l'abolition des frontières, petit à petit l’unité se fragmente et "se rendre disponibles pour la lutte migrants" devient de plus en plus complexe et contraint d'improviser, d'autant plus que, pendant que les jours passent, il devient de plus en plus clair que la seule action de les institutions est d'agir en bloquant l'arrivée de nouveaux migrants sur les rochers. En outre, le maire de Vintimille, Enrico Ioculano (parti PD), a récemment publié une ordonnance contre ceux qui, "pour le simple esprit de solidarité", se sont consacrés à la «fourniture» de la nourriture « en faveur de ces réfugiés".

Pendant ce temps, la situation mondiale change aussi.

Le scandale journalistique des premiers jours s'assoupit aussi en raison de la promesse qui dans ces dernières années a été utilisé à plusieurs reprises :"tout sera résolu au sommet de l'UE", qui est prévu pour le 25 et 26 Juin. Pendant ce temps, le maire de Menton décide quand même que la frontière restera fermée (http://www.ilsecoloxix.it/p/imperia/2015/06/13/ARIiKMmE-ventimiglia_bloccato_confine.shtml), en contournanttoute décision de ses supérieurs. Il faut dire, aussi pour avoir une idée des difficultés que les migrants subissent, que le sud de la France est l'un des domaines où le Front national obtient le plus de soutien.

Le 26 Juin l’attaque de Sousse a lieu et dans les premières heures on pense que Yassin Salhi, l’imposteur qui a assassiné son employeur près de Lyon, appartient à une cellule d'ISIS. Une situation très complexe, en bref, rendue encore plus lourde par le fait que, ces jours ci, l'UE a promis de faire entendre sa voix avec le gouvernement Syriza de Grèce, qui quelques heures après le sommet annonce le référendum. Le climat de discussion au sommet de l'UE sur la migration est parfaitement résumé dans une phrase dans un article de la Repubblica (http://www.repubblica.it/esteri/2015/06/26/news/vertice_ue_sui_migranti-117716562/) où nous lisons: «Avec le débat à propos de la Grèce, le dossier sur l'immigration est limité à quelques heures et est traité par les dirigeants après le dîner ».

Entre l’entrée et le dessert (le même article aborde la discussion en suivant la succession de plats) un débat semble effectivement avoir lieu, mais le résultat est un simple renvoi à après l'été pour la redistribution des migrants dans les Etats du territoire européen qui sera développé dans les deux ans. Renzi est déçu, mais accepte l'accord final : dans les jours précédentes il avait planifié un plan B, meme s’il n’est pas possible de savoir de quoi il s’agissait.

La situation à Ventimille évolue ou au moins elle évolue sur les rochers : après la déception causée par l'échec du sommet de l'UE, le groupe qui était d'abord extrêmement compact et avait donné lieu à des réunions intenses («Nous ne partirons pas tant qu'ils ne feront disparaître les frontières » était une phrase plutôt récurrente) commence à se désagréger. Beaucoup partent en petits groupes ou seuls en essayant de traverser la frontière. Dans les soirées, fini les réunions entre européens et non-européens, certains gars disparaissent avec le sac-à-dos pour nepas revenir. Et pourtant, ce qui semble d'abord un recul par rapport aux demandes initiales, montre la nécessité d'un changement de stratégie, pour les migrants et pour les militants, qui se chargent de récupérer des informations, notamment sur les procédures de demandes d'asile.

A la gare de Ventimille. Cliquez pour agrandir.

Il y a qu’un endroit où ne change rien: la gare de Vintimille. qui n'est ni un camp de concentration ni une prison et, en fait, tout le monde peut aller et venir quand ils veulent (à condition que ne s’agisse pas d'aller aupresidio sur les rochers). Cependant à la gare de Vintimille s’est effectivement créé un lieu de contrôle parla création d'un milieu complètement aseptisé où les gens sont absolument passifs, en attendant que quelqu'un décide pour eux. Une situation qui, soulignent certains opérateurs qui ont afflué à la garnison, est similaire à celle des centres de deuxième accueil. Ceux qui parviennent à entrer à la gare de Vintimille se font littéralement agresser par des groupes de personnes qui demandent des renseignements. Un garçon nous dit que ils ont lui pris seulement une empreinte digitale et demande si cela est suffisant pour demander l'asile. Un autre dit que ses empreintes digitales ont été prises à Vintimille et demande si maintenant il peut demander l'asile en France (la réponse est non). En ce qui concerne les droits des mineurs aucune information n'est donnée. Quelqu'un du presidio sait l’amharique et il est submergé par les Ethiopiens présents qui posent toute sorte de question.

Bien sûr, la plupart des gens ici ont un lit. Bien sûr, ils sont nourris et soignés par la Croix-Rouge italienne. Bien sûr, les conditions de vie permettent la présence des femmes et des enfants. Cependant, les 200 personnes qui y vivent sont contraints à une situation de passivité absolue, coupés de toute prise de décision qui puisse les affecter.

Peu de nouvelles de qui est parti. Beaucoup sont obligés de revenir après les contrôles de la gendarmerie française. Et c’est n’est pas le seul scandale : dans un conteneur au-delà de la frontière, nous trouvons une famille de Syriens, qui voyageaient dans un train français avec billet régulier et passeport régulier : gardée là-dedans pendant des heures ils sont libérés et renvoyés à Vintimille. Le billet est réquisitionné et avec lui l’argent pour en acheter un autre. Même destin pour les autres qui restent enfermés pendant quatre heures, sans raison apparente, avant d'être libérés.

Parmi ceux qui sont partis quelqu'un retourne à Vintimille, en choisissant bien cette bande de rochers comme un refuge. Et voilà qu’on comprend que la seule étape acceptable pour ceux qui veulent repartir mais qui n'ont pas un endroit pour retrouver le souffle, pour ceux qui ne veulent pas « revenir », sontces rochers durs et sales tout près de la frontière, où pour la première fois il y a la possibilité d'exprimer ce qu’ils pensent.

3. Can anybody translate ?

C’est la question classique qu’on fait dans ces moments où nous nous rencontrons, quand il n’y a pas une langue commune et qu'on parle à la fois italien, anglais, français, arabe et autres dialectes. Toutes les interventions doivent être traduites et ce n’est pas toujours possible. Dans les moments de bavardage beaucoup parlent sans vraiment comprendre, mais l'histoire du presidio est aussi une histoire de relations outre les mots : ils parlent sans se comprendre, et pourtant ils s’entendent. Ça peut sembler hippie, mais c’est ainsi.

Dans les premiers jours, la langue est celle des 184 Africains qu’occupent les rochers et qui appellent à l'abolition de toutes les frontières. Ensuite, les choses changent, des assemblées mixtes, complexes se forment. Le groupe des soutiens est très hétérogène, celui de migrants aussi et a ses dynamiques: à qui se référer pour la prise de décisions? A ceux qui sont reconnus comme des leaders? Peut-être, mais cela ne fonctionne pas: le stress est aussi fort pour les membres plus charismatiques du groupe, en partie parce que leurs noms terminent dans les journaux et les divers journalistes rivalisent pour connaître leurs histoires. En outre, après l'échec du sommet de l'UE, la nervosité est grande. On essaie donc avec difficulté de parler ensemble, d'avoir la patience pour comprendre. Les militants de la garnison tentent de fournir des informations fiables et non contradictoires. Mais, dans certains cas, cela semble particulièrement complexe et l'impression est que toute opinion ou prise de position aura une influence décisive sur la vie des gens devant nous. Il y a des questions auxquelles il est difficile de répondre:

« Pensez-vous qu'il est logique que nous restions sur les rochers? »

Sinon on est obligé de donner des informations qui pèsent comme des rochers:

"Nous avons décidé que nous allons rester sur les rochers jusqu'au sommet de l'Union Européenne."

En fait, le sommet n'a pas donné des résultats.

Quelqu'un veut passer à travers le Brennero, mais on lui explique de ne pas se faire des illusions sur celle qui est appelée la Lampedusa de les Alpes (https://euobserver.com/beyond-brussels/128919).

« On veut arriver à Londres, il faut qu’on arrive à Calais »

Mais Calais est une des frontières les plus violentes d’Europe (https://www.youtube.com/watch?v=_edkvsdzZt0 ) et précisément dans la dernière période le site a vu de nombreux affrontements avec la police (http://www.internazionale.it/video/2015/05/13/la-violenza-della-polizia-contro-i-migranti-a-calais).

« Es-que vous connaissez des chemins ? »

Les chemins pour traverser la frontière sont connus par tous et surtout ils sont particulièrement dangereux(http://www.liguriaoggi.it/2015/06/17/ventimiglia-trovati-migranti-morti-lungo-ferrovia-francese/). C’est une question qui ne les touche pas: ils ont traversé le désert, la Méditerranée, ont été emprisonnés et battus en Libye (grâce à des accords entre l'Italie et la Libye (http://www.meltingpot.org/Immigrazione-Amnesty-Tra-Italia-e-Libia-patto-segreto-per.html#VaTazKFpmPc%29), certains d'entre eux ont été menacés à plusieurs reprises de mort). Le concept de «danger» dans le cadre européenest nécessairement différent. Il y a donc une question qui s’insinue à plusieurs reprises dans les têtes de ceux qui restent au presidio: est-que nous sommes utiles pour ces garçons ou simplement nous leur rendons les choses plus compliquées?

«We are strong if you are here» disent certains migrants.

Une des réunions du soir, dans le fond, la ville de Menton.

Peut-être que la police comprend la question mieux que d'autres, de sorte qu'elle agit dans le but exprès de briser les énergies de ceux qui résistent: l'un des derniers jours de Juin, la police impose l'évacuation du trottoir qui longe les rochers, où il y a certaines tentes et où un petit nombre de migrants dort la nuit. La police ordonne aussi de déplacer la tente qui avait été mis à l'ombre pour mieux préserver la nourriture.

Mais certaines choses sont claires: aucun ou presque des migrants ne veut rester en France, ce qui rend encore plus absurde la question, étant donnéque le problème semble être le fait que la France ne veut pas d'eux. Ils ont peut-être besoin de peu, très peu pour les aider à traverser la frontière, mais toute tentative tomberait dans le crime de "complicité avec l’immigration clandestine " :

« Un événement, avec des dizaines et des dizaines de voitures qui eux emportent au-delà de la frontière »

« Non, mieux peu à peu »

« Proposons leur à eux ! »

« Ne promettons pas des choses au hasard: d'abord demandons à un avocat »

En réalité, le problème n’est pas juridique mais politique : une action si puissante de désobéissance civile aurait besoin d'un puissant réseau capable de fournir un soutien qui actuellement n’a pas encore été construit.

Que peut-on faire, alors? La question reste ouverte et à l'horizon des solutions faciles n’apparaissent pas. Ce qui est certain c'est que le presidio donne aux migrants la possibilité de s’exprimer et de participer activement à un parcours collectif. Pour beaucoup, la cuisine devient une occasion de socialité, il ne s’agit pas seulement de fournir les repas, mais, de plus en plus, de cuisiner ensemble, de décider quoi manger, d’impliquer les producteurs locaux et le réseau Genuino Clandestino, en essayant de rendre aux migrants ce peu d'autonomie, dont ils ont été privés. Même à la fin de Juin une fête dans laquelle les rôles sont inversés est mise en place : ce sont eux qui font la nourriture pour nous, les Européens, et le résultat est spectaculaire : «You are welcome» nous disent-ils en offrant une assiette de chorba.

« Good ? »

«ça brûle un peu »

Dans la dernière période, parmi les migrants, est développée une prise de conscience qui les conduit à écrire aussi leur premier communiqué: (https://collettivoharlock.wordpress.com/2015/07/12/presidio-noborders-ventimiglia-movimento-solidarieta-resistenza/)

« To all the migrants in Europe, stay strong and demand for your rights as refugees cause we are all suffering , starving and sleeping in the streets.
European Union sees that and the world sees that too.
So, please stand up for us and be one person , to demand our rights and freedom.
To all the migrants in the world who crossed the deserts, who crossed the seas, who risked their lives, who are putting their lives in danger in order to get to peaceful places like Europe and other continents:
stand up for us and let’s demand for our freedom, not more not less.

To the people in Ventimiglia and the people in Rome, Milan , Paris , Calais : let’s stay strong! »

Et ainsi la vie de tous les jours passe avecdes hauts et des bas, dans une tentative de donner une perspective à un parcours complexe et dans le même temps nouveau pour tous. Des activités à faire ensemble sont créés : des leçons de natation, des cours de langue, le nettoyage des rochers. Pour les prochains jours, il y a le désir de donner plus des renseignements à la gare. Pendant ce temps, certains révisent les traités internationaux, afin de déterminer comment répondre aux demandes de renseignements, pour savoir où et comment c’est possible de faire des demandes d'asile, quels sont les droits qui doivent être garantis. Pour voir s’il y a des vides juridiqueset pour obtenir d'autres instruments juridiques pour surmonter l'impasse de la situation politique.

4. Traités (comme des bêtes)

Aborder la question juridique est très complexe et semble souvent inutile. Toutefois, il est convenude revenir pour un moment, les 18 et 19 juillet, sur les rochers de Vintimille, pour des moments de dialogue avec les avocats seulement sur la question juridique. Il y a plusieurs articles en ligne qui ont traité le sujet, en faisant une réflexion sur le cas de Vintimille. Un des meilleurs articles est apparu sur Lettera 43. (http://www.lettera43.it/capire-notizie/migranti-l-accordo-di-chambery-da-ragione-a-parigi_43675174905.htm)

Sur la question pèse un certain nombre de traités et d’accords qui s’encastrent entre eux. Le premier est celui de Schengen qui comporte la suppression des contrôles systématiques sur les personnes. Il s’agit d'une des pierres angulaires de l'Union Européenne, bien qu’aujourd'hui il semble si fortement craquer: il est suspendu et repris, il est ignoré, il est dérogé dans la pratique ou par d'autres règlements. Et c’est ainsi que Schengen devient une sorte de accord-moustique qu'il est licite d'écraser sur le mur à la première occasion. La dernière fois, à l'occasion du G7 au début de Juin, il est décidé une suspension jusqu'au 15 juin.

Pour la régulation de personnes en provenance de pays tiers (hors UE) on doit alors se référer au règlement de Dublin, où il est prévu que la demande d'asile doit être faite dans le pays de l'Union Européenne dans lequel la personne est entrée. Cela signifie que la plupart de la pression migratoire tombe sur les pays du sud du continent, puis, attention !, les politiciens italiens n'ont pas tort quand ils disent que l'Europe doit faire plus, et l'Italie, ainsi que la Grèce et l'Espagne, ne peut pas absorber entièrement le fardeau de l'accueil des flux migratoires. Bien sûr, dans les discours que nous entendons et lisons il y a un sous-texte de victimisation, où pas de véritable racisme. Et rappelons-nous que notre rôle en Europe a été clairement montré par Renzi dans les jours précédents le référendum grec: celui de lécheur.

La situation, cependant, a une résolution pratique décisive : malgré les blagues au hasard de Salvini, à la gare personne ne refuse de donner les empreintes digitales, tout simplement parce que (à l'exception de quelques cas) elles ne sont pas demandées, même si en raison des accords de Dublin la demande d'asile doit être fabriqué en Italie, chose que les institutions italiennes veulent éviter autant que possible. C’est ainsi qu’est née la situation d'impasse qui dure depuis un mois.

Manifestation de migrants et de soutiens devant la frontière française-italienne de Vintimille. 12/06/15

Il y a aussi un autre accord concernant les rejets: l'accord bilatéral entre la France et l'Italie, signé à Chambéry (1997) qui rend effectivement relatif Schengen, pour les personnes qui ne disposent pas d'un passeport européen, et qui prévoit le «retour» des migrants illégaux en Italie. Sur la base de cet accord, en fait, la France semble avoir ce qu'il faut pour mettre en œuvre les rejets, mais il est intéressant de noter le manque d'initiative du gouvernement italien de réviser les traités. Le point, en fait, ne semble pas avoir été discuté lors du sommet de l'UE à la fin de Juin.

Aux règlements il faut ajouter un article du Code de procédure pénale français en matière de contrôle des frontières. Dans l'article 78-2, est possible de lire :

« Dans une zone comprise entre la frontière terrestre de la France avec les Etats parties à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990, existe une ligne tracée à 20 kilomètres en deçà […] l'identité de toute personne peut également être contrôlée […]en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévues par la loi. »

http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000024413680&cidTexte=LEGITEXT000006071154

Cependant, les contrôles sont effectués bien après la distance de 20 kilomètres. Certaines personnes qui ont été renvoyés vers l'Italie ont en fait déclaré qu'ils ont été identifiés à Marseille, à Cannes, ou même à Paris!, et la gare de Nice est constamment mise sous contrôle.

Dans un enchevêtrement si empli d'arbitraire, il doit y avoir des zones grises pour forcer la loi.

5. We’re not going back

Pas de retour en arrière d'une telle situation, d'abord parce que celle, qui dans les premiers jours semblait une situation d'urgence, dure maintenant depuis plus d'un mois. En outre, c’est pas la première fois qu’il y a une telle situation( http://www.corriere.it/cronache/11_aprile_16/immigrati-documenti-ventimiglia_4c330ff8-680b-11e0-af60-fa6008356b52.shtml ) et cela suggère que, même si cette situation se débloquera (on ne sait pas comment), des incidents similaires pourraient se produire à nouveau très facilement. Plutôt que faire face à une situation d'urgence nous sommes confrontés à un fait: il y a des phénomènes de migration qui ne peuvent pas être bloqués et qui mettent dans l’embarras toutes les institutions, de la petite ville jusqu’à l'Union Européenne.

Dans ce contexte, travailler sur le «cas Ventimiglia », ainsi que sur d'autres situations similaires, cela signifie avoir un regard transnational et, avant même un point de vue politique, c'est une nécessité horriblement matérielle : ignorer ce qui se passe dans la nation signifie agir presque aveuglément.

Et pourtant Vintimille n’est pas une bulle, et ne doit pas être considérée comme telle, mais plutôt le point de rechute d'une série de tensions qui sont palpables dans toutes les villes. Il n’est pas un hasard que le problème a explosé presque simultanément avec des situations similaires à Rome et à Milan. Tout cela tandis que l'Europe connaît un état d'agitation et de conflit institutionnel qui pourrait conduire à sa propre dissolution.

Pourtant, pour beaucoup, Ventimiglia a été et est une bulle, un lieu détaché du reste du monde dans lequel entrer et ne pas sentir les effet externes, dans lequel concentrer ses propres pensées et sa propre volonté de faire. Un endroit d’où il est difficile de se détacher, même lorsque on arrive à le faire matériellement. Une opportunité qui permet de libérer les énergies et les idées.

La route est longue et personne ne semble avoir envie de retourner en arrière.

5. The Ballad of the Ancient Mariner

L'article serait fini. Toute rationalité qu’il y a dans cette situation a été dissousdans les paragraphes ci-dessus. Toutefois, la voix de celui qui est le protagoniste de ces roches manque.

Certains d'entre eux ont été interviewés à la télévision, quelques minutes pour attraper un slogan et une histoire qui termine dans un site web ou directement dans le tas. Même avec les meilleures intentions, il est difficile de rendre spéciales des histoires qu'en réalité nous avons déjà entendu et lu des dizaines de fois, semblables à beaucoup d'autres. Une répétition qui menace d'anesthésier. Et pourtant, cela vaut la peine d’essayer quand même.

12 juillet. Nous nous apprêtons à faire une action démonstrative en face de la frontière.

Ils nous le racontent ainsi, le regard fixe et aucune émotion dans la voix.

Beaucoup d'entre eux viennent des zones de guerre, en particulier du Darfour, région au Soudan: «I decided to come to Europe because war is in my country since 2003». Ceux qui parlent anglais ne sont pas peu, surtout dans les premiers jours et, selon certaines personnes de Vintimille, cela est l'un des groupes arrivés dans la ville au cours des dernières années dont le niveau d'éducation est le plus élevé.

Certains ont été en prison en Libye sans avoir commis aucun crime. Beaucoup ont été volés, déshabillés et fouillés, menacé de mort par ceux qui promettaient du transport et une protection. Les histoires au sujet de la Libye contiennent des chœurs, un pour tous «they kill you if you say something». Obligés de vivre dans la rue, ils décident de s’embarquer, mais le bateau pour traverser la Méditerranée est un piège, une épave remplie au-delà de toute limite, mais une fois que le choix est fait, ce n’est pas possible de revenir en arrière. «Started a fire in the boat. But the person that was driving was very good and fix it». Et après l'arrivée d'un hélicoptère.«If they late 5 minutes we’ll pass away».

En Italie, tout devient confus : peut-être que dans leur l'histoire il y a les mensonges, peut-être des demi-vérités ou l'amnésie, certains passages sautent complètement. Sûrement nous comprenons que celui qui arrive n'a aucune notion des lieux géographiques par lesquels il est passé. Lampedusa? Sicile? Une autre île? Peut-être la Sicile, dans un CARA (Centro Accoglienza Richiedenti Asilo/Centre d'accueil pour demandeurs d'asile) et puis d'unecertainefaçon jusqu’à Milan et puis jusqu’à Vintimille dans ce qu'on appelle un "taxi", qui n’est certainement pas un taxi que nous connaissons. A Vintimille ils essayent de traverser la frontière, une fois, deux fois, trois fois, mais ils sont bloqués par la police française «they bring me to Italy and told me “this is Italy”». Pourtant, dans leurs intentions, il n’y a pas la volonté de rester en France, «Simply we want to pass, France does not give asylum, it is not a problem». La police italienne n’est pas mieux que la Française, d'où la décision de courir sur les rochers et la menace de suicide: «Police force us to go. So the people started run to the sea. We decide to say “If you come, we die”».

C’est une déception pour ceux qui avaient placé leurs espoirs en Europe «this is no different. Yes, no one kills you. But it’s the same».

Dans l'histoire il y a des trous, c'est évident, les choses qu’ils ne peuvent pas raconter et les choses qu’ils ne veulent pas raconter.

« Es-que tu veux ajouter quelque chose? »

« No, I just want to tell you part of my tragedy”

Des lacunes persistent, non seulement pour nous, mais aussi pour les familles qui depuis longs temps ne reçoivent pas de nouvelles : «I don’t want to call. If I phone I start crying».

L'histoire termine. Peut-être que nous aussi sommes anesthésiés, sans émotion. Nous sommes perplexes et peut-être nous sommes devenus formels comme ces journalistes qui viennent avec l'intention de se faire raconter une histoire à mettre dans un article et qui repartent immédiatement après. Mais l'histoire du dernier mois est aussi une histoire de relations, ainsi que des mots:

« Que penses-tu des gens qui sont venus aupresidio? »

“Hope to meet you again”

Pour se tenir à jour sur le presidio nous vous conseillons de suivre:

Presidio permanente No Borders 
ZIC
Rete Eat The Rich
https://mars-infos.org/

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.