Voici la tribune de Jean-François Téaldi, grand reporter et secrétaire général du SNJ-CGT France Télévisions, publié dans le quotidien Le Monde daté du 1er avril 2009. Réagissant à la convocation par la police de plusieurs journalistes dans l'affaire des "propos off de Nicolas Sarkozy", il fait notamment référence à la peine de prison requise contre la journaliste de TAC Presse Isabelle Cottenceau.
Jusqu'où iront le pouvoir, la justice et la police dans la grave dérive contre l'activité des journalistes ? Après l'arrestation d'un confrère de Libération, les descentes qui se multiplient dans les rédactions pour tenter de saisir carnets de notes ou rushes, après les six mois de prison requis contre une journaliste de TAC Presse travaillant pour M6, ce sont deux journalistes de France 3 et deux autres de Rue89 qui sont convoqués, le 1er avril, par la brigade de la répression de la délinquance contre la personne de la police judiciaire, conformément aux instructions du procureur en charge de la presse et de la protection des libertés.
Ce 30 juin, le président de la République est accueilli par les huées de centaines de salariés de France Télévisions. Sur le plateau, avant le direct, le chef de l'Etat exprime sa colère contre ceux qui préparent l'émission. A un technicien qu'il salue, qui ne l'entend pas et ne répond pas, préoccupé par ses tâches, il lance : "On n'est pas dans le service public, on est chez les manifestants, ça va changer là." Puis vient le tour du journaliste Gérard Leclerc, signataire peu auparavant, avec Audrey Pulvar, d'une tribune très critique envers la réforme dans Le Monde : "T'es resté combien de temps au placard ?"
Comme toujours dans ce type de direct les caméras tournent. Toutes les télévisions européennes mais aussi France 2, TF1 et LCI reçoivent donc les images en temps réel. Les séquences se retrouvent sur le site de Rue89 et sont visionnées par des centaines de milliers d'internautes. Neuf mois plus tard, quatre journalistes sont donc convoqués.
Pour quelle raison ? Ceux de France 3 n'ont rien à voir dans cette affaire. Ceux de Rue89 n'ont fait que leur métier. Alors ? Ces convocations ne viseraient-elles pas à tenter de mettre individuellement au pas les journalistes d'investigation, qui ne conçoivent pas leur profession comme un simple relais de la politique de communication du pouvoir et entendent s'adresser à l'intelligence des citoyens ? Quant aux journalistes de France 3, en particulier, cette convocation ne serait-elle pas une des nombreuses tentatives d'intimidation contre une rédaction nationale dont les reportages ont toujours dérangé les pouvoirs en place, quels qu'ils soient ?
Comment ne pas rapprocher cette convocation des pressions exercées, il y a peu, par le secrétaire d'Etat au commerce sur la rédaction de France 3 Orléans, à propos d'un reportage qui avait rappelé les engagements passés d'Hervé Novelli à l'extrême droite, engagement qu'il avait d'ailleurs assumé dans un article du Monde ? Comment la direction de France Télévisions a-t-elle pu céder à de telles pressions et accepter de retirer le reportage du portail Internet de la chaîne ? Quelle triste image ainsi donnée de l'indépendance de l'information de service public.
Ces faits nous font craindre pour la liberté de la presse certes, mais au-delà pour la liberté d'expression et les libertés publiques. Le combat pour leur respect est engagé. Il concerne toute la profession, mais au-delà l'ensemble des citoyens.
Jean-François Téaldi est grand reporter France 3, secrétaire général du SNJ-CGT France Télévisions.