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Billet de blog 11 janvier 2015

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« Défilé tragique à République : 53 morts ! » (N° 1)

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

J'espère que, selon l'ancienne tradition de Charlie Hebdo, ce titre figurera dans le prochain numéro dans la rubrique des « Titres auxquels vous avez échappé »,  non par le choix de feu le Comité de rédaction de CH mais parce que l'événement mentionné n'aura pas eu lieu. 

Je crains en effet qu'un tel événement ne se produise cet après-midi du dimanche 11 janvier 2015, ce ne sont pas les forces de police engagées ni les tireurs d’élite postés sur les toits qui l'empêcheront si la décision en a été prise ; on n’arrête pas un terroriste bardé de dynamite qui est décidé à sacrifier sa vie, ce qui paraît être le cas de certains jeunes fanatiques qui se chargent de telles opérations. Vous aurez, comme moi, noté que ces kamikazes ne se recrutent pas chez les imams barbus et enturbannés qui viennent causer dans le poste ou à la télé !

Je n'ai pas pu, comme je l'avais imprudemment annoncé,  donner la suite de mon blog de vendredi et je vais le faire aujourd'hui avec un retard que je vous pris d’excuser et en espérant que les circonstances à venir ne donneront pas à ce billet la couleur tragique qu'on peut craindre.

Précisons tout de suite que je n'entends nullement traiter ici de « l'immigration » car l'immigration en soi n'est pas un problème, même si, contrairement à ce qu'on affirme partout, faute de connaître un peu l'histoire démographique de notre pays, la France n’a toujours été une « terre d'immigration ». C'est évidemment complètement faux ; jusqu'au XVIIIe siècle, la France, est en effet surpeuplée avec le plus grand nombre d’habitants en Europe (deux fois l‘Angleterre !) , ce qui entraine des famines meurtrières. Elle est donc, bien au contraire, une terre d'émigration comme le montre d'ailleurs, dans cette période, la multiplication de ses colonies de peuplements (dont l’immense « Nouvelle France ») comme le surnom de « rats » que les riches Espagnols donnent alors aux Français à les voir déferler sur leur territoire. Ce sont, dans la suite, à partir du XIXe siècle surtout, les guerres, destructrices d’une partie de la jeunesse mâle, puis l'industrialisation, avide de bras, qui ont engagé la France dans la voie de l'immigration, d'abord européenne et chrétienne, puis, beaucoup plus tard, maghrébine et musulmane, ce qui constitue évidemment une dimension majeure du problème. Après la guerre, j'étais à l'école primaire, dans la banlieue lyonnaise, dans des classes largement peuplées d’Italiens, d'Espagnols, de Polonais,  d'Arméniens, etc., ce qui ne posait pas le moindre problème et dans lesquelles il n’était jamais fait allusion à l'origine étrangère de ces élèves. 

Il est donc nécessaire pour comprendre notre situation actuelle, non de reprendre toute l'histoire de l'immigration en France, mais simplement de considérer la période décisive, en gros à partir de la présidence de Valéry Giscard d'Estaing. Comme toujours, on va le voir, c'est l'ignorance des réalités autres que la sienne propre et celle de son milieu qui a conduit notre haute administration à se comporter d'une façon si absurde qu'elle a engendré la situation que nous connaissons aujourd'hui.

Sans entrer dans le détail, il faut évoquer ici l’exil en France de Khomeini et son retour en Iran

Son opposition à la « révolution blanche » lancée par le Shah le conduit à l'affrontement avec le pouvoir. Il est donc arrêté en 1963 mais le  Shah, conscient de son influence, le fait libérer dès 1964 car son arrestation  avait provoqué des manifestations réprimées dans le sang. 

En 1978, Khomeini part pour la France avec un visa de touriste et s'installe à Neauphle-le-Château sans demander l'asile politique (Le shah, dit-on, aurait refusé son expulsion préférent  le voir en France plutôt qu'ailleurs). Son discours politique de Khomeini se radicalise progressivement et sa pensée se définit comme le pouvoir absolu du religieux. VGE et le pouvoir français s’en accommode et la révolution islamique se prépare à Neauphle-le-Château ; elle diffuse en Iran  ses idées sous la forme de cassettes audio reproduites en masse  largement dès leur arrivée au pays, hors de tout contrôle du gouvernement iranien. Existe donc alors,  non loin de Paris, un véritable réseau de propagande islamique se propageait avec l’appui inconditionnel de l’Internationale terroriste. Michel Poniatowski, l’instigateur de l’hospitalité de Khomeiny en France, ferme les yeux et pourtant les Services de renseignements lui fournissent chaque jour des rapports accablants sur la présence de terroristes potentiels sur le territoire. 

Khomeini retourne triomphalement en Iran le 1er février 1979, dans un avion d’Air-France spécialement affrêté pour lui par la France ; la Révolution entre dès lors dans sa phase victorieuse. Il confie la direction d'un gouvernement provisoire à Mehdi Bazargan alors que les combats se poursuivent avec les derniers fidèles du Shah. Le 11 février marque la victoire de Khomeini qui s'affirme dès lors comme le dirigeant unique et exclusif du pays d'abord en tant que « Chef de la révolution en Iran », puis « Chef spirituel suprême ». 

Dès son arrivée au pouvoir, Khomeini commence à encourager la propagation de la révolution islamique aux autres pays musulmans et ne tarde pas, dans la lutte pour les zones pétrolifères et les questions religieuses, à entrer en conflit avec la République laïque irakienne, dirigée par Saddam Hussein ; ce dernier envahit alors l'Iran, commençant la guerre Iran-Irak

La guerre terminée, Khomeini ordonne l'exécution des prisonniers politiques et plus de 30 000 prisonniers sont exécutés. En 1989, Khomeini condamne à mort l'écrivain Salman Rushdie à travers une fatwa qui accuse celui-ci de « blasphème » contre le prophète de l'islam Mahomet. 

L’essentiel ici est de voir que Giscard d’Estaing et son gouvernement ont été dans tout cela d’un total aveuglement et d’une confondante naïveté, croyant se gagner par cette attitude la reconnaissance de Khomeini ! On a vu la suite ! Pour ce qui est de l’immigration maghrébine et de la question des imams qui y est liée, l’aveuglement des autorités et de l’administration a été tout aussi grand !

La grande réforme de Valéry Giscard d'Estaing a été de mettre en place, au lieu de l'immigration de travailleurs maghrébins, célibataires ou mariés au Maghreb, le système dit du « regroupement familial ; il a conduit à faire émigrer en France ,non pas travailleurs mâles sans famille mais des familles entières. L'ignorance des réalités maghrébines et musulmanes était certes en cause, car, à la différence des femmes européennes, les épouses maghrébines avaient le plus grand mal à s’intégrer (vu le mode de vie) ; les choses avaient très au-delà et se constataient même dans des domaines plus perceptibles immédiatement comme la tenue vestimentaire de ces femmes immigrées) ! 

La langue de scolarisation des enfants était un problème plus important encore et on ne l’a même pas envisagé ! Auparavant les enfants d’origine et d’immigration maghrébines étaient encore en très petit nombre (enfants de harkis par exemple) ; les organismes mis en place pour l’accueil et la scolarisation des enfants migrants étrangers, les CEFISEM, évaluaient, on ne sait trop comment les niveaux de compétences des enfants dans les principales matières (pour savoir à quel niveau les scolariser)  mais ne se préoccupaient en aucune façon pas de l'évaluation du niveau de français de ses élèves qui aurait dû être le point premier et capital. Je ne veux pas traiter ici de l'ensemble du problème et de l'incidence du regroupement familial sur le fonctionnement de notre système scolaire ; je l'ai fait ailleurs (en particulier dans mon livre Robert Chaudenson, L’école française : Refondation, réforme ou replâtrage, L’Harmattan, 191 pages, 2014), je me limite donc à un point précis et limité touchant à une des opérations engagées dans ce cadre et dans ces perspectives qui a été la « création d'un encadrement religieux de l'islam de France par des imams ». 

Là aussi, l'ignorance des réalités musulmanes a joué son rôle et comme toujours on a lu le monde étranger à l’heure française. Les « imams » ont donc été considérés sur le modèle du clergé des religions concordataires et le ministère de l'intérieur les a regardés comme des « ministres du culte » classiques (pour les prisons, j’ai même entendu user à leur propos du terme « aumôniers » !), c'est-à-dire comme des acteurs en mesure d'agir sur les croyants et donc, si l'on peut dire, à terme, sur la « morphologie » de l'islam français.

En appliquant nos modèles français, on a donc tenté d’encourager la création d’un « Institut français de formation des ministres du culte musulman » sans prendre garde d’abord que la très grande majorité des prédicateurs musulmans n’a pas la nationalité française. On a donc tenté de faire un avantage de cet inconvénient ! La place Beauvau, croyant avoir la solution, a expérimenté un autre moyen pour tenter d’influer sur le profil des imams exerçant sur le territoire hexagonal. On a ingénieusement (du moins le croyait-on) voulu utiliser le droit au séjour comme un appât, pour sélectionner de manière officieuse et souterraine ; les « bons candidats » à la fonction d’imam en séparant le bon grain idéologico-religieux de l’ivraie intégriste voire terroriste)

Maunque de chance ! Le problème est qu’on aurait dû considérer en tout premier lieu que la religion musulmane n’a pas de clergé et que chacun peut, à sa guise, s’y déclarer imam ; elle ne dispose donc pas, à la différence des cultes catholique, protestant ou juif (les Juifs de France viennent d’élire leur Grand Rabbin !), d’une instance en mesure de garantir la légitimité du statut d’imam, au titre duquel lequel quelqu’un pourrait revendiquer le droit de résider légalement sur le territoire français. Je ne puis sur ce point que renvoyer à l’excellent article d’Eva-Maria von Kemnitz qui rend compte de l’ouvrage consacré à cette question par Jean-François Mondot, Imams de France, (Paris, Éditions Stock, 2009, 271 p.).

Je suis décidément trop long ! La suite demain !

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