Depuis la dernière cérémonie des Césars, moment qui a été moins inintéressant que d'habitude, on peut dire qu'il est difficile d'aborder certains sujets ("Haenel", "Despentes", "les Césars", ..) sans voir de conséquences sévères sur la dynamique de la discussion. Voilà une polarisation de plus qui s'est calcifiée dans notre quotidien : les familles et les groupes d'amis se déchirent. Mais il semble que cette polarisation est douloureuse quand elle sépare en particulier des gens qui ont des intentions similaires ("de gauche"), mais des grilles d'analyse différentes, et donc qui n'arrivent pas aux mêmes conclusions sur la gravité du symptôme Polanski.
On lit des amis se plaindre de se faire engueuler sur facebook* parce qu'ils ont osé dire qu'ils aiment les films de Polanski et qu'"on a bien le droit". On constate que de nombreux babyboomers (au sens strict) vont voir les films de Polanski et ne comprennent pas pourquoi c'est un acte politique (si si !) qui s'oppose aux mouvements actuels d'émancipation des femmes (à peu près unanimes sur l'indécence de ce prix). Ici ce qui semble poser problème, c'est qu'il existe des moments historiques où il faut choisir un camp, et où l'ignorance et l'incompréhension des phénomènes en marche ne constituent pas une excuse. Pour le dire simplement : ils ont le droit de ne pas comprendre, mais nous avons en retour le droit de nous en outrer.
Car il ne faut pas être un fin observateur de la vie de notre pays pour sentir, au moins confusément, que cette "affaire P." dure depuis trop longtemps et agite trop de monde pour ne pas porter en elle quelque chose de sérieux. Des philosophes ont expliqué puis ré-expliqué les idées des féminismes actuels, tentant de retracer ce qui se situe à la pointe de la pensée contemporaine mais que la France n'a pas métabolisé (au sens de Schneidermann au sujet du dérèglement climatique : pour que le problème devienne une réalité concrète qui pousse à l'action). Mais on sent que ça tique. Il faut dire que ces idées ne sont pas simples, et qu'il n'existe pas de "preuve" au sens d'une démonstration causale entre les différents éléments. On comprend qu'il s'agit d'un mélange de pouvoir politique, économique et sexuel, et qu'il y a un faisceau de pratiques et de représentations. Je pense sincèrement qu'il y a une acculturation à faire, en particulier pour les anciens, pour comprendre ce qui est signe de l'insupportable du moment et, surtout, comment les réactions s'organisent.
Un blogueur, qu'on ne peut pas taxer d'être réactionnaire, exprime bien son intuition de passer à côté de quelque chose, assumant que cette semi-conscience ne le rend pas capable d'adopter le nouveau récit "à la Despentes". Dans sa tribune, Claude Askolovitch affirme qu'il n'arrive pas à utiliser les grilles du passé (oppression, domination) pour reconnaître que l'oppression masculine participe d'un fait social total : il s'acoquine dans la violence avec l'argent et l'état, et une partie de son action concrète a pour but la docilité. Cette docilité des femmes, mais finalement plus généralement de tous ceux qui n'aiment pas la hiérarchie figée de l'argent et de la violence, c'est une idée centrale du majestueux King Kong Théorie de Despentes dans lequel elle en étudie le mécanisme de construction et les implications pratiques.
Il me semble que ne pas saisir ce point constitue a priori la rupture générationnelle de base : nous avons déjà été maoistes, féministes, marxistes, nous savons mieux que vous de quoi est fait le monde, et vos mélanges conceptuels (violence politique et violence faite aux femmes) sont douteux.
------ Admettre l'existence du bakclash -----
Il faut dire que l'épisode féministe précédent dans l'histoire avait déjà pointé plus ou moins tous les problèmes (comme on peut le constater dans ce magnifique film sur Delphine Seyrig et Carole Roussopoulos) et généré des solutions pratiques à travers des lois - autonomie financière (croyait-on) grâce à un compte en banque et autonomie du corps (croyait-on) grâce à la contraception. Et pour avoir vécu les années 80-90 comme jeune femme, on peut dire que le pari a été réussi en grande partie : nous avons pu faire beaucoup... mais à cette période seulement. Un jour j'espère que je raconterai plus clairement ce qu'était grandir en fille puis femme, et comment choix d'études et de carrière ont été impactées par la misogynie, incarnée en machisme stupide, mais si répétitif, de notre quotidien.
Il est fait référence en ce moment au Backlash - le retour de manivelle - qui avait été identifié par Susan Faludi en 1991. La mise en doute universelle du droit à l'avortement en est un signe des plus visibles. A priori, ma compréhension des discussions avec les anciens peu convaincus, c'est qu'ils (et elles mais j'écris en non inclusif) ont juste totalement raté - du fait de leur âge, et donc leur moindre exposition au machisme quotidien qui les a peut-être fait passer à côté des informations clefs - l'état catastrophique de l'existence matérielle des femmes et l'imaginaire contemporain détestable les concernant. On est reparti très en arrière, et, comme cela s'exprime dans les textes de philosophes un peu compliqués : les faisceaux de violences matérielle et symbolique, produit par l'Etat néo-libéral et le patriarcat, convergent toujours miraculeusement.
Ceux qui se lèvent avec Despentes sont ceux qui voient que la reconnaissance culturelo-financiéro-sociale de Polanski (25 millions d'euros donnés à un vieux monsieur de 86 ans pour faire ce que beaucoup considèrent comme un téléfilm) est un symbole de cette convergence, et que la violence de l'Etat ne peut s'appuyer que sur la passivité des gens qui acceptent la domination patriarcale dans cette forme actuelle : je pense que c'est le point qui semble clair à ceux qui se lèvent avec Despentes (et applaudissent Aïssa Maiga), et moins clair aux autres.
Pourtant il y a beaucoup d'informations qui peuvent converger, et qui faire penser que ce n'est pas le résumé rapide de Despentes qui est une caricature, mais plutôt notre réalité. Il faut en fait regarder un ensemble de faits matériels et imaginaires, à différents niveaux d'analyse, d'échelle et de causalité, et il faut accumuler les faisceaux de preuve plus qu'en établir une, pour comprendre ce qui fait "qu'il se passe quelque chose". On peut alors chercher des éléments très divers qui font des liens, en aller-retour, entre économie, politique, et imaginaire sexuel, ici du côté de la violence quotidienne :
- Vous êtes au courant qu'il est pratiquement impossible de porter plainte pour viol ou agression sexuelle encore aujourd'hui car le traitement des femmes est tellement pénible qu'elles sont encore plus humiliées après qu'avant (si elles ne sont pas punies, comme quand Zeus, le vieux chef de notre imaginaire, s'amusait à violer tout le monde). Cela veut bien dire qu'il faut prendre les accusations publiques au sérieux, même si elles ont dépassé ce que la loi a dû poser comme délai de prescription - également parce que ce genre de coming-out est difficile d'un point de vue psychologique et social et qu'il se respecte en soi. En cela, on peut se permettre légitimement de se dire que si 12 femmes accusent Polanski (après une condamnation déjà actée), et en constatant qu'il a quand même un peu joui de l'exposition publique de ses frasques, ça ne peut pas être seulement lié à des effets d'aubaine où une folle souhaiterait se faire remarquer. Adèle Haenel l'a signalé dans son travail avec Mediapart : c'est parce qu'elle est plus célèbre que celui qu'elle accuse qu'elle peut se permettre de dévoiler son emprise et être écoutée. La révélation n'a rien d'évident, comme l'on montré les 343 en leur temps.
- Aussi, on sait que le viol est un mécanisme de violence répressive très profondément inscrits dans l'histoire et l'imaginaire : prendre le corps de la femme c'est la rabaisser à ce corps et lui refuser son autonomie de pensée, c'est une forme ancestrale de mise en silence des femmes dont on a entendu parlé dans notre culture très largement (et d'ailleurs même Greta Thunberg a droit à sa petite menace). Vous savez sûrement qu'il y a un lien entre violence sexuelle et destruction des oppositions / négation de l'autonomie des populations : quelques personnes (là, en l'occurrence un héros) ont signalé en pleurant d'horreur que le viol est une arme de guerre toujours très utilisée (comme nous l'avons vu en Europe à la fin de la guerre par les américains, et tous les "libérateurs", et on ne parle pas des crânes rasés des femmes... - lynchage sexualisé mais chouilla métaphorisé...). On a vu aussi ce livre qui a fait scandale (ou a minima débat) où était présentée une iconographie plus que sexiste - valorisant le viol des femmes / des peuples.
- Cela rappelle que la violence sexuelle et l'humiliation pour "déviriliser" est utilisée par les policiers à l'encontre des hommes jeunes de banlieue, pour contenir la population - sinon comment une matraque se retrouverait-elle dans un anus ? Car avant, on émasculait les esclaves qui se rebellaient et on violait les femmes : maintenir l'ordre, c'est aussi montrer qui est le plus fort avec la sexualité primitive. Il est pertinent de parler des banlieues quand on parle d'ordre policier contemporain, puisque les banlieues ont été les espaces où les policiers, dévirilisant, donc, et augmentant en degré de violence et d'arbitraire, ont en quelque sorte "fait leurs classes" avant de venir s'exprimer plus largement sur les Gilets Jaunes : c'était documenté, les sociologues tiraient la sonnette d'alarme, mais peu sont partis soutenir la famille d'Adama Traoré.
- Si on doutait encore du lien entre violences sexuelles et ordre policier : vous savez que les policiers n'ont pas peur d'être sexistes et violents verbalement avec les femmes (à Paris récemment, mais plus tôt à Marseille), en ayant une préférence pour les insultes homophobes - ce qui représente toujours un péché et une inquiétude puissante dans l'imaginaire masculin de nos sociétés catholiques réactionnaires.
- On sait que dans les milieux d'affaires DSK représentait un des mâles dominants - devant qui tous se soumettaient mais dont ils ont peut-être adoré la chute - on retrouve là le lien entre imaginaire de puissance sexuelle, économique et politique. Ainsi : on paie des prostituées aux hommes d'affaire en déplacement, vous ne pouvez l'ignorer, c'est un cadeau tout à fait normé encore aujourd'hui. Tandis que chez les gens normaux, la violence sexuelle est omniprésente, les femmes écartent les cuisses pour être tranquilles (encore très largement en 2020), sans que la sexualité féminine ne soit évoquée comme différente mais légitime (elle est toujours "infériorisée" - elles ont "moins envie"), ni que soit pensé le niveau de minable désengagement face aux conséquences de la sexualité dont les hommes font preuve.
- Pour le lien entre économie et acceptation : une éditorialiste de droite a reconnu qu'une femme au smic n'a aucune possibilité de se séparer d'un mari violent à l'heure actuelle - et a alors pu faire référence au fétiche du moment, les "études" pour justifier cet ordre politique et économique qui pourrait sinon paraître un chouilla injuste : "a-t-elle bien travaillé à l'école?" - qui remettait miraculeusement la faute sur la victime - et de la violence sexiste et sexuelle et de la violence du marché du travail. On sait de toute façon que les conséquences des séparations retombent en grande majorité sur les mères célibataires, la mère courage est toujours en vie, même si elle se cache beaucoup dans les classes désargentées comme l'a pointé Florence Aubenas.
Tout cela, mis bout à bout, constitue un faisceau d'indices convergents sur l'état du monde actuel : oui, le backlash a eu lieu, et il se joue dans un monde peut-être plus violent, moins policé et poli, où l'objectivisation de la femme est de plus en plus explicitement sexuel - aucune jeune actrice n'est "montée" sans faire une scène de nu, depuis bien longtemps ! En même temps, le monde est devenu plus inégalitaire, la concentration d'argent plus indécente, les abus plus généralisés, le contrôle des populations sans commune mesure grâce aux outils numériques. Le voyage de tourisme sexuel est-il un nouveau nom de l'humiliation coloniale ? Cela semble évident pour moi après avoir observé ces éléments. Le sexe est ce qui valorisera le puissant - le puissant est celui qui peut se servir dans un "sous-prolétariat" en disponibilité sexuelle.
Et il est très compliqué pour moi de comprendre comment Askolovitch y voit une "saleté des riches", là où il s'agit de dynamique morbide ultra lisible et répétitive, de celles qui font pleurer Reich quand il constate, en fin de vie, que toutes les explications qu'il a pu donner sur ces liens entre sexualité et violence et même sexualité et aliénation n'ont servi à rien. Sa thèse : un humain a besoin de travail, de connaissance et d'amour pour exister pleinement. Privés d'une vie sexuelle épanouie car ils ne construisent pas l'harmonie avec leur femme mais volent un plaisir fugace et primitif par peur de réfléchir à améliorer cette sexualité**, les hommes deviennent moins sûrs d'eux, enclins à suivre les chefs, de plus en plus violents (on ne va pas répondre que Reich est un abruti, j'espère...) .
Si on a cru au prolétaire et au bourgeois, on sait qu'ils sont des figures de comportements et de position sociale (pas des êtres de chair) ; on sait que ces figures étaient contextuelles puisque avant avaient existé le maître et l'esclave ou le serf et le seigneur ; on peut donc accepter que la définition des opprimés bouge un peu, et que les formes d'accusation de l'oppression soient un peu différentes d'il y a 40 ans. D'autant que, s'il s'est passé quelque chose à ce moment, si les soixante-huitards et en particulier les féministes nous ont fourni des outils pour la liberté, il ne fallait pas oublier ce que Simone de Beauvoir avait bien avant signalé : les droits des femmes ne survivent que tant qu'on se bat...
------- Exemple parfait -----------
Et puis finalement, quelqu'un m'a coupé l'herbe sous le pied pour aller plus loin que toutes mes explications verbeuses, c'est le si nécessaire Olivier Carbone, longtemps directeur de casting. Je pense qu'il gagne la palme de la réaction la plus "dans l'air du temps" (même si Natacha Polony a quand même joué efficacement dans la course à la mauvaise foi, elle incarne quelque chose de magique, elle aussi).
Il faut regarder la page de libération, où s'étalent "des twitts successifs" avant de lire mon commentaire. Maladresse ou reflet de l'âme, il est évocateur d'un imaginaire caricatural : la femme qui se rebelle y est traitée de pute (qui est toujours une insulte ! vive l'hypocrisie bourgeoise !) et donc ramené à un corps sexualisé, menacée d'être exclue du milieu cinématographique par des moyens mafieux, le héros y est sur-valorisé (ce que je ne m'explique que par une extrême fascination charismatique, qui imprègne ceux qui le connaissent et se diffuse par médias interposés), on y voit encore apparaître l'homophobie, ... Ce qui est le plus fascinant est pour moi qu'un homme qui n'est pas n'importe qui, socialement central, visible, être de réseaux culturels, estime qu'il est légitime aujourd'hui de s'exprimer ainsi en public - en particulier à propos de quelqu'un qui n'a pas (à ma connaissance) outragé directement qui que ce soit***. Insulter, menacer... c'est un homme de bien qui fait ça, un bourgeois, un homme puissant, respectable, qui s'exprime comme la pire caricature du loulou inculte. Les réseaux sociaux sont vraiment un outil qui prend les boys' clubs par surprise !
Réciproquement, il laisse déborder un inconscient qui lui a certainement fait faire des choix dans sa vie - lui qui était un homme au pouvoir central dans le cinéma français pendant 25 ans ! Par exemple, il a sûrement "puni" des actrices pour ne pas se conformer à ce qu'un directeur de casting estimait légitime de lui demander (la scène de nu, les rôles d'imbéciles, tout comme les noires seront hyper sexualisées, etc...), il a sûrement pensé aux femmes comme étant soit soumises soit des putes, il s'est sûrement méfié d'une actrice homosexuelle - pas assez docile, il a sûrement préféré de valoriser tout ce qui permettait d'aller dans le sens de ses croyances : on ne peut douter qu'il a produit / construit ce qu'il pense dans le milieu du cinéma, où il avait ce grand pouvoir. Sa référence à l'Omerta nous rappelle le clientélisme et autres renvois d'ascenseur bien connus dans ces milieux culturels. Comment s'étonner, si le cinéma français ressemble à ceux qui le font, que des études signalent depuis des années que les femmes peinent toujours à sortir des rôles stéréotypés.
Bref, l'aller-retour entre pouvoir ultra centralisé, argent qui s'oriente toujours sur les mêmes (jusqu'à la tombe visiblement), la hiérarchie ontologique, l'inégalité assumée entre les êtres : tout cela est le milieu du "cinéma français" le plus visible, et tout cela est l'ordre moral global qui est dénoncé par Adèle Haenel, repris par Despentes, puis noyé dans les multi-discussions. Ce qui est le plus dur, c'est de voir le provincialisme de cette pensée, cette ringardise qui, ridicule, n'en est pas moins performative et efficace.
---------- En guise de conclusion --------------
Quand il faut choisir son camp, on peut refuser de suivre un mouvement parce qu'on est contre les formes de combat, ou pas convaincu par la cause, ou juste "pour ne pas hurler avec les...brebis énervées" (en l'occurrence). On peut continuer à vouloir payer une place au cinéma pour contribuer au bien-être de Monsieur P. Mais on peut aussi refuser en ne comprenant pas tout et, par exemple, juste remettre son passage au cinéma. Peut-on survivre sans voir "le dernier Polanski" si, en ce faisant, même si on ne comprend pas parfaitement pourquoi, on soutient les jeunettes qui s'époumonent pour trouver une place non assignée par autrui ? Cette idée réduit certes le bonheur quotidien, mais le gain n'est-il pas immense de soutenir quelque chose. Pour une fois qu'en ne faisant pas, on peut aider - ça change de "ne pas soutenir Cédric Herrou" qui, comme non-faire, a des effets calamiteux... (par exemple).
Ne me dites pas, chers soixante-huitards, que vous avez toujours compris les combats dans lesquels vous vous êtes jetés, les grands idéaux martelés. Les anciennes féministes elles-mêmes admettent que leurs chansons étaient un peu ridicules en manif****, vous avez été Staliniens (/Maoistes / Troskystes) pour comprendre trop tard l'implication réelle de ces idéologies sur la mortalité du XXè siècle, mais aussi la destruction de pans de cultures qui ne le méritaient pas forcément. Vous n'avez pas de leçon de clairvoyance politique à nous donner, et quand aux attaques contre un individu donné - ne prétendez pas que vous ne l'avez jamais fait dans un enthousiasme aveugle. Et puis, comment prévoir si les moyens choisis auront les effets attendus : l'accès des femmes au divorce et au marché du travail a créé pléthores de pauvres mères mono-parentales ou en souffrance, des violences permanentes pour les femmes sur leurs lieux de travail - quelle étape après ? Il faut bien avancer vers l'autonomie, on ne peut pas se satisfaire d'outils aux effets secondaires majeurs !
Si vous n'êtes pas convaincus après avoir lu King Kong Théorie qu'il y a une logique derrière "on se lève et on se barre", dites-vous qu'elle aurait aussi pu proposer l'option de devenir plus classiquement féminine et hurler hystériquement son désaccord quand la violence ressentie devient trop forte et inaudible (qu'aurait fait Camille Claudel à la place d'Adèle Haenel ? est une des questions qui me hantent...).
Si on peut avoir un rêve, c'est qu'il semblera un jour normal que pour "promouvoir l'art et la culture", on donne un million d'euros à vingt cinq jeunes sans casier judiciaire pour faire des films, plutôt que 25 millions à un vieux monsieur***** qui, en plus d'être recherché par interpol, symbolise les liens coupables entre hiérarchies figées, argent et production d'imaginaires malsains et oppressifs. La décence aura des droits, et "aller ajouter de l'argent à l'argent" "me vanter d'aimer monsieur P." seront des actions dont on pourra se dispenser par solidarité, dans une période courte et politiquement marquée bien sûr - tout cela est contextuel. On peut, plus loin, rêver du jour où l'on sortira des imaginaires l'homme fort et providentiel, au charisme magnétique, mais ce mécanisme semble très implanté dans l'espèce et on l'imagine mal disparaître.
* (qui sert principalement à ça, tout de même, engueuler ou se faire engueuler)
** Et j'ai personnellement tendance à penser que leur haine de la femme repose sur la haine de leur propre désir, mais c'est un peu hypothétique.
*** Ca prouve pour moi que Les Césars peuvent bien être interprétés comme un dispositif à la Agamben, quelque chose qui construit l'intermédiaire entre les profanes et le sacré, et ce monsieur serait un inquisiteur de notre temps...
**** A propos des manifs pour les droits des femmes : notez que de plus en plus de jeunes mâles y adhèrent : peut-être ils ont perçu l'ordre mortifère qui contraint les corps en passant en particulier par le sexe en ce moment.
***** Quand j'ai réalisé qu'on donnait 25 millions d'euros à un homme de 84 ans pour que la culture avance, j'en ai parlé autour de moi : personne dans la dizaine à qui j'ai parlé (milieu social sup, voire culturel, parfois femmes le détestant,...) n'a voulu croire qu'il était si vieux. En fait il a 86 ans. Et quand j'ai évoqué l'idée d'une redistribution ciblée vers l'avenir, l'universel tout le monde m'a répondu "ça ne se passe pas comme ça". Ben voilà...