bluejuliette (avatar)

bluejuliette

Directrice de Recherche au CNRS - économie et environnement

Abonné·e de Mediapart

32 Billets

1 Éditions

Billet de blog 10 avril 2022

bluejuliette (avatar)

bluejuliette

Directrice de Recherche au CNRS - économie et environnement

Abonné·e de Mediapart

Le grand raout chez Raoult

Que le lecteur me pardonne autant que la lectrice : je pense à ce mauvais jeu de mot depuis des mois, et me voilà prête à écrire un billet, même presque vide, uniquement pour le plaisir d'écrire ce titre...

bluejuliette (avatar)

bluejuliette

Directrice de Recherche au CNRS - économie et environnement

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L'ICS, International Covid Summit a eu lieu à Marseille les 30 et 31 mars, à l'IHU (1). Organisé principalement par deux collègues, à l'heure actuelle en odeur de malignité dans les milieux les plus respectables du journalisme : Laurent Mucchielli et Vincent Pavan (2), le colloque était simplement logé par l'IHU et non "soutenu", même si certains membres de l'institution sont venus faire des présentations sur l'avancée de leur recherche. 

Forme et contenu : plus ou moins banal

Le financement était plutôt original et relevait en partie de ce que de nombreux chercheurs ont commencé à explorer ou penser lorsqu'ils travaillent sur des sujets aux frontières des sciences les plus officielles, mais aussi quand les recherches relèvent de la science citoyenne ou participative avec un petit goût politique qui ne plaît pas toujours aux financeurs : le crowdfunding. On se doute que dans une période de normalisation à outrance encadrée par des politiques scientifiques aux mots-clefs tonitruants, alignées sur les grands thèmes européens voire mondiaux, il faut un peu d'inventivité pour trouver des interstices qui permettent de se poser des questions vraiment compliquées, mais malheureusement pour elles hors des clous. On peut s'attendre à ce que le crowdfunding devienne une méthode pour les recherches peu coûteuses (les science sociales, par exemple) pour contrer un peu les lourdeurs des contraintes financières et administratives devenues dignes de Brazil dans la recherche publique. Des structures associatives ou coopératives se montent, tout ceci est un signe des temps. 

Le colloque de l'IHU ne rassemblait pas des humains réellement aux frontières des sciences mais plutôt aux frontières d'un discours licite dans la classe moyenne supérieure. Il s'agissait de discuter :

- des dynamiques réelles de l'épidémie et des outils pour en parler, de la comparaison à d'autres épidémies passées : cela a permis de parler de modèles, de mesures et de statistiques, mais aussi de théorie sur les virus, les vaccins, tout ce qui constitue de la connaissance accumulée et qui n'a pas pu être rendue publique pendant cette crise, où les descriptions biologiques et écologiques les plus pauvres ont été disséminées à l'envi. 

- de la maladie telle qu'on peut l'observer, en constatant les co-morbidités précises, parfois des co-infections (que votre servante (3) découvrait avec intérêt : que la parondontite puisse aggraver l'évolution d'un covid est une nouveauté conceptuelle pour une non-médecin, alors que tous ceux de la salle étaient diserts sur d'autres co- ou sur- infections très connues - la médecine c'est compliqué et précis, se dit-on alors), le moment du soin

- d'intéressantes visions historiques, comme sur le "gain of function", la fabrique de chimères et autres monstres viraux qui est une activité parfaitement banale depuis la seconde guerre mondiale, mais avait déjà été réprouvée, mise en suspend dans certaines zones géographique (mais comme la convergence d'un gouvernement universel n'est pas encore réalisée, on note que certains pays n'ont pas les mêmes normes de travail que d'autres, ce qui permet aux Américains de faire des choses interdites chez eux en Chine (4))

- des discussions intéressantes sur les médicaments en soin précoce, les protocoles évolutifs en cours de maladie en fonction du malade, où Pierre Kory a mis en avant une phrase devenue maintenant mythique "insufficient evidence" : quel que soit le niveau de reconnaissance par des médecins qu'un médicament les aide à améliorer le sort de leurs patients, tant que la démonstration n'a pas suivi les règles "anti-mandarin" (5) on n'a pas le droit d'y croire. 

- une description des souffrances des médecins de ville, et des hospitaliers, depuis deux ans, qui ont été soumis à des violence psychologique hors norme, beaucoup ayant même été punis ou suspendus pour des motifs particulièrement idiots (avoir soigné, refuser un vaccin qui ne marche pas) ; en filigrane on pouvait voir combien leur impossibilité d'action a été coûteuse pour la population elle-même (nous). 

- on a parlé un peu des effets indésirables mais c'est TABOU, on se fait supprimer des billets de blog pour moins que ça : silence !

Discussions, débats, rencontres

On pouvait noter que quelques désaccords faisaient déjà jour entre les membres du colloque, ce qui n'était pas inintéressant : la science, on l'a assez défendu, se fait dans le débat et c'est en argumentant point à point face à un contradicteur qu'on améliore sa propre compréhension des phénomènes. La mise en scène pour le grand public d'une "évidence" des démonstrations scientifiques, où "on ne discute pas les chiffres", n'a pas été très formatrice dans les derniers mois - on a pu croire par illusion d'optique qu'il suffit de répéter le discours d'une autorité pour avoir raison, que les processus médicaux, biologiques, sociaux, ne sont pas truffés de détails qui chacun ont une importance et peuvent faire varier des conclusions, voire même qu'on ne peut pas poser deux fois la même question si la réponse a été insatisfaisante (6).

Là, deux écoles se rencontraient en ce qui concerne les soins précoces : il n'y avait aucun désaccord pour la plupart des éléments comme l'azithromycine ou autres macrolides (7), le zinc, ceux-là sont solides à l'international, tout le monde sait que c'est très utile dans ce cadre. Par contre, on retrouve l'hydroxychloroquine qui se regarde en chien de faïence avec l'ivermectine. Deux écoles s'affronteraient presque si elles n'avaient des raisons différentes de le promouvoir (la micro-biologie, c'est vraiment compliqué) et si, finalement, les médecins étant avant tout pragmatiques, chacun s'arrangeant avec ce qui est disponible et utilisable chez chaque malade. L'opposition entre les écoles était assez faible pour qu'on se dise que, finalement, il n'y a pas vraiment d'écoles mais des pratiques favorites mais adaptables. 

Une autre discussion a débuté, qui devra peut-être s'étendre ou se préciser, qui est celle de l'usage de modèles - c'est finalement une question qui est très répandue dans les sciences de l'humain : peut-on ou non utiliser, d'une quelconque façon que ce soit, des modèles pour penser ? On peut défendre que oui, mais qu'il faut être honnête (au sens où il ne faut pas obtenir à tous les coups le résultat qu'on souhaite, mais au contraire, se laisser contraindre par la réalité des structures mathématiques) ou que l'exercice ne mène à rien. Les deux points de vue courent déjà en sciences sociales : la majorité des sociologues détestent les modèles a priori, alors que les économistes ne peuvent s'en passer - les espaces de dialogue et de critique croisée en deviennent assez pauvres. Espérons que l'épidémiologie s'ouvre un peu plus à cette discussion des "usages dans un but donné et précis" de l'utilisation des supports cognitifs que peuvent constituer les modèles calculatoires. 

Si ces discussions avaient lieu dans l'amphithéâtre, il y a bien sûr eu des pauses café, et de nombreuses rencontres revigorantes. La "société civile" était très présente, pourrait-on dire dans une présentation officielle devant les instances du CNRS, au sens où les militants de Reinfo Liberté se sont activés pour faire tourner l'accueil et la nourriture des corps en s'impliquant de façon très intense, mais ont aussi discuté abondamment avec les représentants d'associations, les chercheurs, les médecins très représentés et quelques curieux qui veulent se rendre capable d'expliquer autour d'eux les enjeux de réflexion que posent cette crise. 

Ce sont entre autres ces rencontres riches, transversales, qu'il s'agira de pérenniser. 

Deux ans déjà

Tout cela était a eu lieu à l'IHU qui, comme tout le monde le sait, a déjà une chaîne d'information scientifique plutôt fournie, "Nous avons le droit d'être intelligent" et partage des séminaires réguliers où s'expriment de sérieux spécialistes. 

Des chaînes YouTube, puis Odyssee, se sont montées, des blogs, des réseaux de circulation d'informations par mail, twitter, et autres whatsapp. Le public intéressé a ses stars, ses rendez-vous réguliers, ses espaces d'échange. On manque un peu de discussions tranquilles, riches et contradictoires, et l'espace politique contesté qui est constitué du magma composite que j'ai décrit plus haut peine encore à se constituer comme force de propositions, l'énergie étant pour l'instant placée dans les batailles juridiques pour défendre les individus et les droits. Mais on ne peut pas dire que l'ICS marquait la fin d'un processus : c'est au contraire la vivacité des recherches en cours qui était marquante. Tout cela présage du meilleur pour la pensée. Espérons que ça se traduise dans le monde politique. 

(1) Puis à Massy les deux jours suivants, avec un autre plateau d'orateurs. Mais impossible d'en parler : je n'y étais pas et n'en ai eu que quelques descriptions partielles par des collègues - c'était apparemment un peu plus international avec plus de présentations en américain. 

(2)  Que les éventuels oubliés m'excusent, mes informations sont partielles.

(3) Question déjà résolue : serviteuse remplacée par servante [Si mon large public inclut un fin érudit (ou la même en féminin), j'aimerais bien savoir si ce mot existe, ou sinon comment on dit bon sang !] 

(4) Il n'y a donc pas que la prostitution infantile qui bénéficie de régime de droits hétérogènes. 

(5)  L'obligation de passer par un Random Control Trial pour démontrer la "supériorité face au placebo", même quand c'est excessivement compliqué d'un point de vue pratique en temps d'épidémie, surtout pour une maladie qui tue à peine et qui nécessite donc des contingents énormes de patients pour juger - j'en ai déjà parlé - mais dont les RCT lancéss ont connu pas mal de bâtons politiques dans les roues et ont fini par s'arrêter avant que les effets soient "significatifs". Toujours un problème de chiffres, un peu moins d'humains, pour le coup.  

(6) La science, malheureusement, répète très souvent les mêmes questions, et malheureusement, beaucoup de réponses sont souvent insatisfaisantes - on le saurait si on n'était pas dans le régime du "peer-review" obsesionnel, qui a remplacé le jugement entre pairs de confiance, bien plus large et qualitatif, qui permettait de discuter des résultats négatifs. 

(7) On n'y peut rien si des "antibiotiques" sont aussi "antiviraux", mais ce n'est pas la première fois que le grand public entendrait parler de médicaments qui peuvent avoir plusieurs effets - l'aspirine qui fluidifie le sang n'est pas la moindre star multi-fonctionnelle. La méconnaissance par les médecins de ville de cette réalité, ou leur oubli ponctuel sur ce point précis dans cette crise précise à force d'intimidation ARSienne, est par contre outrageusement troublante. 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.