ATTENTION : ce billet a été vertement multi-critiqué (trop long, trop hétérogène, trop de directions abordées, etc...), il a même été coupé, mais le résultat n'a pas beaucoup plus plu... les courageux savent qu'on trouve toujours une ou deux idées pertinentes dans la forêt trop dense...
Il a plus de deux semaines, et sort dans la version initiale.
Sciençolâtrie
Comme on le voit depuis quelques mois, la Science est devenue une déesse mystérieuse et surpuissante sur les plateaux télévisés. On sait pourtant, et on peut le lire chez de nombreux penseurs du XXè (de Russell à Foucault en passant par Jacquard (1982), à qui je vole le titre de cette section), que c’est sûrement de façon exagérée qu’elle est envisagée comme seule source de notre bien-être grâce aux progrès techniques et moraux qu’elle a engendrés. En effet, bien qu’elle soit un principe d’action difficile à définir, si on en croit la masse d’écrits et de discussions épistémologiques, on sait qu’ « elle » a permis à la fois une meilleure compréhension de nombreux phénomènes et une capacité d’action amplifiée sur notre environnement, afin d’ améliorer notre sort d’humain. Mais en retour, elle occasionne l’extension de technologies destructrices et d’acculturations violentes, et n’avance jamais en ligne droite. Le pouvoir sur la matière, la vie et l’homme, en s’étendant, devrait rendre les scientifiques beaucoup plus précautionneux et humbles, mais ça ne semble pas le chemin qui est pris à l’heure actuelle. Pourtant, si on en croit Isabelle Stengers et d’autres penseurs de la démocratie technique, il existe des chemins de dialogue, des méthodes prudentes et intelligentes de débat, où l’obscurantisme autant de la technophilie obsessionnelle pourraient être mises à jour, et évitées.
En ce moment, la Science est devenue argument d’autorité, et quand je constate qu’au-delà des journalistes, ce sont les scientifiques qui appellent activement à cet usage dévoyé de la science, je m’inquiète. Tout comme l’on fait nos anciens, après que la Bombe ait été envoyée pour détruire deux villes et exterminer leurs habitants, alors que la guerre du Vietnam montrait l’ignominie que pouvait atteindre l’usage des innovations technologiques, il est temps que des chercheurs se lèvent pour demander qu’on arrête d’imposer des absurdités politiques sous couvert de science et, surtout, qu’il soit de nouveau possible de discuter.
Mais pour que les chercheurs veuillent défendre leur pratique quotidienne, il faut qu’ils puissent entendre parler des dissensus en cours, autrement que par des invectives disqualifiantes ou des appels à la censure. Ils pourraient rappeler que le mot « science » a un sens plutôt banal et désigne un ensemble de pratiques d’observation du monde, au quotidien, et des normes de communication et d’échange avec les collègues, qu’il ne faut ni l’idéaliser ni l’utiliser pour rigidifier les normes de pensée.
Pour cela, il faut que les collègues (et les autres personnes intéressées) se rendent compte qu’il existe des discussions savantes, autant au sujet des vaccins que des interventions sociales qui ont eu lieu partout sur Terre, et que celles-ci méritent d’être menées. Et peut-être qu’il faut se rendre compte que des catégories comme « complotiste » ou « islamo-gauchiste » n’ont aucun fondement clair, mélange des choux avec des carottes, et ne sont que des signes d’un appauvrissement du débat démocratique, d’élimination des opposants politiques.
Complotiste, islamo-gauchiste : des menaces pour les dissidents ?
Une menace impressionnante plane sur les scientifiques qui travaillent sur des objets contemporains, qu’on pourrait qualifier de « chauds » : celle de se faire disqualifier en place publique, de façon abrupte et sans appel, souvent par des gens qui ne sont même pas compétents pour juger des travaux qu’ils assassinent.
On sait que les chercheurs du secteur public ne rentrent pas dans la profession pour devenir riches : notre rétribution est symbolique et sociale, et c’est la réputation qui fait notre carrière. Si on est audible et reconnu, tout va bien, les promotions se succèdent dans une temporalité normale, on peut monter une équipe et trouver des financements pour la faire fonctionner ; si on est peu reconnu ou dénigré, on peut craindre de ne pas montrer en grade mais surtout, ne pas laisser beaucoup de traces à la postérité, ce qui est idéalement, en tant que « savant », notre but. Quand on disqualifie un chercheur, on lui ôte la reconnaissance à laquelle il s’attend en récompense de son labeur, mais surtout on rend l’objet de ses recherches et ses résultats moins accessibles, et cela peut se révéler très problématique pour le reste de la société. C’est donc avec précaution qu’il faudrait manier l’anathème.
Pourtant, depuis quelques mois, il est dangereux de prendre la parole en public, même dans les espaces réservés aux pairs, si l’on développe certaines idées, ou si on est convaincu par des hypothèses qu’on estime supportées par des évidences assez fortes au moment où l’on parle. Par exemple, en parlant de soins précoces, de risques déjà connus mais mal quantifiés liés à la protéine spike, ou, à un moment, de création de virus en laboratoire, on peut devenir en quelques instants « complotiste », « rassuriste », voire « antivax » (ou « gâteux » si on a un âge respectable). Ce stigmate n’est pas neutre, car il implique, outre des attaques absurdement agressives de la part de profanes, une perte d’écoute de la part des autres membres de la communauté scientifique, voire un évitement. En effet, comme tout humain sait intuitivement, dès qu’un bouc émissaire est identifié, il est dangereux de se lier à lui : le risque est presque certain d’être soi-même soumis à l’opprobre, par contagion.
En ce moment, les démonstrations de type industrielle ont le vent en poupe – modélisation, méta-analyse plus ou moins automatisées par des protocoles d’IA, essais comparatifs de grande échelle qui laissent à croire que la quantité de données génère le contrefactuel le plus solide. Pas plus ni moins solides que les autres, dans l’absolu, cela est montré abondamment dans la littérature : mais c’est bien la pensée magique qui permet de croire soudain qu’un outil technique est le seul acceptable. Suivant fièrement cette croyance, on voit des agences de critique scientifique, de financement privé (les « fakemed » ou « debunk »), tracer des lignes de séparation dans les compétences, traduites en vertus, désigner le bon penseur du mauvais, et le clamer et répéter jusqu’à ce que tout le monde en soit persuadé. Et quand la violence est à son comble, les écarts entre communautés se creusent, et un désert semble s’établir entre les branches de recherche, qui cessent de s’alimenter les unes les autres.
Les chercheurs en sciences sociales fréquentent en général peu les fakemeds et évitent les accusations de complotisme assénées par les médias, mais on a vu récemment se développé une autre accusation pour avoir mal effectué sa tâche. Ainsi, à trop s’intéresser à des causes profondes d’inégalités, qui mériteraient d’être discutées au grand air en démocratie, on se fait facilement traiter d’ « islamo-gauchiste ». Cette désignation est une mise en doute à peu près aussi disqualifiante que celles précédemment citées, dans le sens où la légitimité à prendre la parole de celles et ceux qui sont ainsi montrés, peut s’effondrer d’un coup. L’accusation sous-entend une incapacité à s’éloigner suffisamment de son objet d’étude pour l’observer avec détachement, et fait croire à un simulacre de science, une démonstration adhoc pour servir des intérêts idéologiques.
Ce qui est intéressant dans cette discussion, c’est qu’il est connu que les objets des sciences sociales sont, par définition, plus difficiles à étudier du fait même que les discussions reposent sur le langage naturel, et que le chercheur est incarné, socialisé, largué au beau milieu du monde qu’il étudie. Les luttes de pouvoir dont il parle l’éclaboussent, les mots chargés idéologiquement sortent également de sa bouche : c’est une partie énorme de cet apprentissage savant que de se mettre en position d’observateur, non-neutre mais sincère dans la tentative de restitution des faits. Le pire étant que, même pour les plus anciens, les plus aguerris, dès qu’on sort des domaines qu’on a le mieux travaillé, le plus étudié, on peut se faire happer par des stéréotypes profanes sans même s’en rendre compte. Jamais on ne peut baisser la garde de l’auto-analyse et de la réflexivité. Mais bien sûr on peut, même en prenant beaucoup de précaution, finalement se tromper : c’est un risque inhérent à la pratique de la recherche.
Le qualificatif d’islamo-gauchiste est un peu moins clivant qu’en sciences dures, qui s’illusionnent plus facilement de l’objectivité de la science. Mais il rend invisibles d’immenses pans de la connaissance et permet d’enjoindre à se taire un certain nombre de penseurs et penseuses de qualité. Plus ennuyeux, on constate, sur ce thème, que nos responsables politiques, non seulement ne s’insurgent pas pour défendre la liberté d’expression des chercheurs quand ils oeuvrent à articuler des idées d’une complexité impressionnante, mais lancent le jeu de la disqualification. Certains collègues se sentent meurtris par cette ambiance, d’autres s’en désintéressent, d’autres encore sont attaqués en place publique. Pourtant, l’idéologie est bien un phénomène social, ses impacts sur le monde matériel sont réels, elle est donc bien intéressante à étudier.
Madame Heinich exprime une grande cohérence dans ses positionnements : elle a récemment montré son refus de toute discussion complexe sur le racisme et l’héritage colonial en s’attaquant aux collègues, les traitant d’islamo-gauchistes. Maintenant, elle se met à juger un autre sociologue et lui intime de se taire pour cause de complotisme. Tout ceci se tient. Est-ce que tout le monde doit la suivre ? C’est une autre question.
Des sujets pourtant subtils et intéressants (NULLLL CE TITRE)
Je ne travaille pas à proprement parler sur le complotisme pendant cette crise mais sur les chercheurs et réseaux qui tiennent une parole dissidente en public. Il s’agit dans mon observation de chercheurs du secteur public qui, pour certains comme Laurent Mucchielli, Christian Perronne ou Alexandra Henrion-Caude, ont pris la parole dans un but politique, tout en justifiant cette intervention publique par les connaissances qu’ils peuvent mobilisées par leur pratique savante. Chacun a, dans ses prises de position, des postures assez différentes : rester très proches des démonstrations scientifiques déjà publiées et les exposer point par point ; faire des tribunes, objet de communication qui force à des simplifications qui peuvent parfois sembler un peu rapides ; produire des études et les publier ; participer à une des vidéos collectives (parfois censurées) qui se veulent « ré-informatives » et qui, depuis environ janvier se multiplient à un point qu’il rend difficile de tout suivre. On trouve des points de vue de biologistes, sociologues, épidémiologistes, démographes, mais aussi des économistes, des mathématiciens, des psychologues, des juristes. Un point intéressant est qu’aucun de ces chercheurs n’est isolé, et ils sont même enserrés dans des réseaux informels fortement interdisciplinaires (c’est un trait frappant de la période) qui permettent une discussion abondante : on voit des échanges techniques sur twitter, mais aussi des co-écritures d’articles ou des corrections croisées en privé. Finalement, cela semble un tropisme de chercheur que d’avoir besoin de « pairs » pour corriger les erreurs, marquer les incohérences, rediscuter de l’interprétation et, puisque l’on peut poser de moins en moins de questions en public, la science se fait en partie dans des réseaux « clandestins ». De façon frappante, comme la statistique est un élément de démonstration essentiel en ce moment, on trouve aussi beaucoup de praticiens des mathématiques, ingénieurs ou professeurs en classe préparatoire, qui font des vérifications des démonstrations. D’autres personnes sans qualification spéciale vont aider en construisant une frise historique des décisions politiques et résultats scientifiques importants. Beaucoup de travaux sont produits dans une ombre relative.
Ainsi contrairement à ce qui est dit dans la tribune du Monde en lien ci-dessus, il ne suffirait pas d’attaquer Laurent Mucchieilli « fermement » pour faire disparaître des analyses basées sur les données de sites gouvernementaux qui contredisent ce qu’on désigne en ce moment par « le narratif officiel ». En effet, avant « son » article, dont la plupart des co-auteurs sont chercheurs ou ingénieurs, son blog long de 60 billets a invité déjà 35 personnes : si celles-ci ont énoncé des absurdités et des mensonges, il serait peut-être temps de le montrer, pour que la réflexion collective puisse avancer. Une grande majorité sont des collègues, et chacun a tâché de restreindre son analyse à ses connaissances savantes, permettant une assez grande diversité d’approches. Personne ne dit que ces auteurs ont « raison », mais on ne peut pas leur reprocher de ne pas se rendre criticables – « réfutables » comme on dit souvent. Au moins, ils s’exposent et proposent des idées à l’analyse.
Loin de moi l’envie de défendre Laurent M., dont le passé et la réputation antérieure (« entrepreneur », « cow-boy », « individualiste », comme avec d’autres figures publiques hyperactives, il est aisé de faire une récolte de qualificatifs négatifs) attestent qu’ « il sait très bien ce qu’il fait ». Mais avouons qu’il est troublant de voir qu’au sujet de la tribune censurée par Médiapart, une rhétorique entêtante est encore développée en boucle, et qu’on pourrait peut-être en sortir à peu de frais. De fait, j’ai déjà écrit un texte avec une collègue spécialiste de l’argumentation (dont je tais le nom pour lui éviter l’opprobre) et qui montre deux tendances du moment, que l’on retrouve en partie autour de ce texte.
Ce que nous appelons l’ « argumentation glissante », où le discours critique n’aborde jamais de front une question, mais s’échappe en tous sens.
- Bonjour, j’ai utilisé la méthode M en me basant sur les données D et voici mon résultat R.
- Vous n’avez pas utilisé la bonne méthode, on ne fait pas comme ça
- Ah, certes, mais regardez R et dites-moi si j’ai fait une erreur en partant de D avec M et discutons des corrections éventuelles et des implications
- Mais quelles sont vos intentions ? Quelle idée d’aller chercher D !
- J’ai R et j’aimerais savoir ce qu’on doit en faire
- D’ailleurs, vous n’êtes pas qualifié, voire incapable malgré votre passé peut-être glorieux, et vos intentions sont malignes, arrêtez donc de donner votre opinion ainsi.
(et R de se retrouver sur internet, où il est plus ou moins discuté, récupéré, mal ou bien compris…)
Je pense qu’on peut considérer ce dialogue comme à peine caricatural, et cela peut se vérifier sur la plupart des controverses du moment.
L’autre intéressante habitude du moment est « l’autonomisation de l’attaque ad hominen » : c’est la dernière ligne de ce dialogue, « vous êtes incapable » ou « vous avez un but caché », qui devient en soi un jeu rhétorique permanent, même s’il s’enrichit peu en se répétant d’un journal à l’autre. Un des éléments les plus marquants est « l’assimilation », qui touche de façon marquante Alexandra Henrion-Caude, douteuse principalement parce qu’elle est de façon visible catholique et a participé antérieurement à un événement en lien avec la manif pour tous. Un observateur attentif pourrait lire le texte qu’elle avait produit à cette occasion : il s’adressait à « toutes les femmes » - incluant explicitement « les femmes homosexuelles qui désirent un enfant » - et portait principalement sur des éléments techniques et légaux de la nouvelle loi de bioéthique - ce qui n’est pas forcément un signe de fermeture d’esprit absolu, et l’éloigne des éléments les plus durs de « la manif pour tous ». En sus, elle a été désavouée par des personnages publics plus légitimes à ce moment et par une institution, ce qui ajoute des couches de « doute » à son égard. Plutôt que d’être vérifiées, les rumeurs sont répétées et amplifiées, et stabilisent une l’image d’une réactionnaire un peu délirante : sa parole publique n’est plus audible de façon universelle. Qu’elle ait « raison » ou « tort » ne peut se discuter ici, mais on peut penser sans peur de se tromper qu’elle mérite des réponses respectueuses, vu la précision de ses interventions et analyses, toujours « sourcées » par des articles scientifiques et des données contemporaines.
En ce qui concerne l’analyse de données qui agace tant Madame Heinich et ses co-tribunistes, il faut savoir qu’elle a déjà été amendée et publiée (sur Medium) en une réponse à des critiques justifiées – techniques et portant précisément sur les arguments avancés – car il y avait quelques doubles comptages dans les données. Comme par un fait exprès de la Nature, qui aime provoquer nos censeurs, le résultat global n’a pas beaucoup changé, et certains pourraient considérer qu’il faut maintenant s’attaquer à cette question sérieusement, pour avancer.
Car, en tant qu’observatrice de cette discussion savante, je sais aussi qu’elle intéresse un grand nombre de profanes, dont on ne supprimera pas l’inquiétude juste parce qu’on les traite de « complotistes ». Il est étonnant de voir les collègues de gauche disqualifier autant ceux qu’ils considèrent comme « ignorants » (« peu éduqués » : les prolétaires qu’en général la gauche défend), alors que les manifestants ainsi qualifiés s’inquiètent de dérives politiques surprenantes, et de réponse abruptes et sans dialogue, face à une situation d’une grande incertitude. Un collègue philosophe s’interrogeait pour savoir si ces manifestants dits « antivax » et « complotistes » ne seraient pas un signe sain d’un sursaut démocratique, d’une demande à la re-complexification des discussions pour obtenir une image un peu plus juste de notre environnement social, dont ils sentent intuitivement qu’il n’est pas aussi simple qu’on nous l’affirme médiatiquement. Barbara Stiegler elle-même semble aller dans ce sens. Finalement, on se surprend à croiser beaucoup de savants qui perçoivent que les luttes politiques actuelles ne sont pas si simples, mais leur petit nombre et leur manque d’accès aux médias ne leur permet pas de faire reconnaître la légitimité de l’opposition d’un peuple inquiet.
Parce qu’il faut, une fois, regarder vraiment des contenus complotistes de forme paranoïaque pour savoir qu’ils sont souvent produit aux Etats-Unis et traduits ; qu’il repose sur un discours d’anonymes qui se prétendent « ex-exployée de.. » (avec beaucoup de femmes – « lanceuses d’alerte »), ce qui se vérifie mal à distance ; et qu’il affirme fournir des preuves par documentation croisée assez complexe, qui forcent à des inférences douteuses et nécessite la confiance de l’auditeur en l’orateur ; ou lance quelques affirmations un peu péremptoire qui, soudain, n’ont plus besoin de reposer sur des « faits » (mais incluant des mots-clefs pour représenter des « mauvaises personnes » comme Elon Musk ou Bill Gates). Le mot « toxique » y est important quand on parle des vaccins, car il semble étonnant pour beaucoup qu’un vaccin soit un produit toxique – alors que c’est le principe même, pourrait-on dire. Un vaccin dérange le corps qui y reconnaît un intrus, et réagit en fonction : c’est bien parce qu’il est une agression volontaire contrôlée qu’on peut espérer que le corps saura se défendre en élaborant des armes ciblées, et stocker ses armes pour d’autres attaques similaires. La « toxicité » n’est pas la question, mais bien le « degré » de toxicité, relativement à la réaction observée du corps et aux risques d’une maladie.
Ainsi, si les « complotistes » posent mal les questions, si on ne peut pas vraiment savoir qui sont ces gens, et s’ils parlent de produits si bien cachés qu’il faut lire des brevets chinois pour les découvrir, ce n’est pas du tout le cas des collègues critiques qui exposent des risques documentés dans la littérature ou observés durant les mois passés, qui assument leurs dires et prennent des risques réels à se rendre criticables, tout en produisant des sources vérifiables et des analyses qu’on peut discuter. Ainsi, tout en travaillant sur l’observation des réseaux de chercheurs dits complotistes, j’ai attendu fin août pour savoir, parce que je me plaignais de n’avoir toujours pas compris le chemin explicatif sur ce point, ce dont on parlait quand on reliait les complotistes à la « 5G » (ce qui est assez clair dans le lien réellement douteux ci-dessus).
Sonner la fin de la récré ?
Malheureusement, comme on le sait, la ministre de la Recherche a déjà jeté de l’huile sur le feu de la disqualification, sur le thème de l’islamo-gauchisme. Maintenant, les chefs des grands centres de recherche eux-mêmes préfèrent se détacher de leurs fonctionnaires, pour laisser hurler en meute une grande quantité d’acteurs privés qui les disqualifient. Cela a de quoi troubler, car on peut se demander qui – dans la folie qui embrase la politique et nous fait collectivement courir comme des canards sans tête dans toutes les directions – va lancer un appel au calme ? On a compris déjà que ce n’est pas l’intérêt du gouvernement, qui joue la montre jusqu’à la fin du match en mai 2022, en désignant ici et là un nouveau bouc émissaire pour que ses citoyens s’étripent entre eux en oubliant son incompétence et son détournement de notre contrat républicain, sans parler de l’insulte faite aux « lumières » et à l’aspiration démocratique des peuples.
Sur la liberté académique, et la possibilité ou non de tenir certains discours, la question de savoir si la parole est issue du service public ou d’acteurs privés n’est pas une remarque en passant. Dans les faits marquants de la période, ce sont principalement des fonctionnaires ou assimilés qui se font traiter de complotistes, tandis que des chercheurs payés par le privé ou des profanes sans financement clair qui revendiquent le bon sens et les règles de fonctionnement de la science… qu’ils ne suivent pas forcément eux-mêmes !
Si l’on veut comprendre où se situe le danger dans la censure, c’est en écoutant à la minute X un disqualificateur professionnel qui s’est attaqué à Laurent M. Il est apparemment relié à des réseaux connus pour leur pratique du harcèlement contre des chercheurs. Sur le thème
https://www.youtube.com/watch?v=jIFPEauoEPs
On entend bien : voici la règle et je ne la suis pas, mais j’ai le droit de juger personnellement et unilatéralement que ma légitimité est absolue à y contrevenir.
Si je le cite ici, c’est que cette rhétorique est banale et qu’elle est prisée des influenceurs anti-complot depuis le début de la crise, dont on peut supposer qu’ils « vivent du clic », à l’instar des grands journaux et même des chaînes de télévision.
Finalement, n’importe qui peut mettre en défaut un chercheur en demandant publiquement une réponse. Alors que ce qui garantit un petit peu de sérieux dans la critique interne à la science, c’est que celui qui juge a déjà été jugé. La notion de « pairs » reste importante : elle est horizontale et réciproque.
Mais il ne faut pas croire que les règles de base ne sont rompues que par des extérieurs : un éditeur de revue médicale a annoncé ne plus accepter de faire reviewer les articles où un nom précis apparaît (Celui Dont On Ne Doit Pas Prononcer Le Nom Si On Veut Eviter Les Ennuis, donc je m’en garderai bien). Cela signifie renoncer à l’un des principes qui fonctionne encore assez bien pour faire tourner la Science de nos jours, le peer-review en double aveugle. La censure basée sur les noms, a priori, fait absolument sortir du champ scientifique. Mais j’ai noté que ceci ne choque personne dans les laboratoires, et même que de nombreux collègues encourageraient cette pratique si elle se mettait en place.
Pour moi, cette tendance est un phénomène effrayant pour notre profession, mais peut-être que je m’effraie pour pas grand’ chose.
Même si la France est un pays qui, par tradition, valorise beaucoup la moralisation, la chasse aux sorcières et la censure, si nous voulons prétendre encore être quelques temps une grande nation moderne, nous devrions prendre en main de nouveau la liberté de parole publique du savant.