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Billet de blog 7 septembre 2025

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De la Route du futur à l’impasse autoritaire : Bill Gates chez Trump

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Tribune : Quand l’intelligence artificielle devient l’arme d’un pouvoir sans frein

On se tromperait lourdement en pensant que l’intelligence artificielle n’est qu’un outil économique ou une simple prouesse technique. L’histoire récente montre qu’à chaque étape, les nouvelles technologies de communication et de calcul ont été instrumentalisées par le pouvoir politique et militaire : la radio par les totalitarismes des années 1930, la télévision par les régimes de la guerre froide, les réseaux sociaux par les populismes du XXIe siècle. L’IA ne fera pas exception.

Donald Trump, qui n’a jamais caché son mépris pour les contre-pouvoirs, le prouve déjà : il centralise la régulation, dérégule au profit des géants alliés et, en parallèle, multiplie les signaux de rapprochement avec les patrons de la Silicon Valley. Hier, il convoquait l’armée pour disperser les manifestants de Black Lives Matter devant la Maison-Blanche, aujourd’hui il flatte les élites technologiques dans de fastueux dîners. Il n’hésite pas à user de la force militaire contre ses opposants et à instrumentaliser chaque institution pour renforcer son emprise ; pourquoi ferait-il une exception avec l’intelligence artificielle, cette arme de contrôle informationnel et stratégique sans précédent ?

Ce qui frappe dans ce tableau, c’est la présence d’un invité discret mais symbolique : Bill Gates. Celui qui, en 1995, publiait La Route du futur, apparaît aujourd’hui aux côtés d’un président qui rêve d’un pouvoir sans partage. Relisons ce livre avec le recul des trente années écoulées : Gates y déploie un imaginaire technologique sans frein, où un sans-abri peut avoir son site internet, où l’amour se fait à distance par combinaisons tactiles, où l’on célèbre l’homme-machine qui ne dort plus que trois heures par nuit. Vision exaltée, presque délirante, du surhomme numérique. La seule véritable réflexion éthique du livre tenait dans une phrase : « Le progrès est une course contre la montre entre l’éducation et la catastrophe. »

Trente ans plus tard, cette phrase résonne avec une ironie tragique. Car voilà Gates, prophète du progrès illimité, assis à la table d’un dirigeant populiste qui ne cesse de défier la démocratie américaine, d’attaquer ses adversaires et d’utiliser les leviers de l’État, y compris l’armée, comme instruments de son pouvoir. L’homme qui avait annoncé la révolution numérique en vantant ses promesses sans limites finit par cautionner, par sa présence, l’instrumentalisation politique et militaire de l’IA.

C’est peut-être là l’une des grandes déceptions de notre époque : voir ceux qui ont lancé la révolution informatique céder à la fascination du pouvoir qu’ils ont contribué à armer. Gates, comme d’autres patrons de la tech, semble avoir dévié de son but originel — stimuler l’éducation, ouvrir les possibles, éviter la catastrophe — pour se mettre au service d’un projet où la technologie ne libère plus, mais enferme.

Le danger est immense. Une IA captée par un pouvoir autoritaire n’est pas seulement un outil économique ou militaire ; c’est une machine à réécrire la réalité, à manipuler les perceptions, à effacer la frontière entre le vrai et le faux. C’est la continuation du rêve du surhomme par d’autres moyens, mais cette fois au profit d’un homme politique qui veut plier l’histoire à sa volonté.

Nous devons prendre au sérieux l’avertissement qui se cache, malgré lui, dans les pages de La Route du futur. Oui, le progrès est une course contre la montre entre l’éducation et la catastrophe. Mais si l’éducation cède la place à la complaisance, si les pionniers se contentent de servir les puissants, alors la catastrophe n’est plus une possibilité : elle devient une trajectoire.


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