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Billet de blog 7 septembre 2025

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Poutine ou la fuite devant la mort

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Poutine, la fuite devant la mort
Vladimir Poutine est un homme hanté par la mort. Tout, dans sa mise en scène du pouvoir, dans sa brutalité quotidienne et dans son apparence artificielle, trahit cette obsession. Il se protège de sa finitude en érigeant un mur de cadavres entre lui et la réalité : ces cadavres, ce sont ceux des soldats russes envoyés au front, mais aussi ceux des Ukrainiens massacrés. La barbarie poutinienne s’explique d’abord comme une fuite existentielle : exorciser sa propre disparition en accumulant les morts des autres.
Le président russe nourrit en parallèle un fantasme d’immortalité. Une conversation captée par un micro ouvert lors d’un grand défilé militaire à Pékin début septembre 2025 l’a rendu limpide : côte à côte avec Xi Jinping, il a évoqué l’idée que des greffes d’organes continues pourraient permettre aux êtres humains de « devenir de plus en plus jeunes et peut-être même atteindre l’immortalité » . Xi a répondu que certains anticipaient déjà une vie atteignant les 150 ans ce siècle. Ces propos — plus que spéculatifs — ont suscité scepticisme et inquiétude dans la communauté scientifique.
Cet attrait pour l’immortalité s’inscrit dans un dispositif d’État russe : depuis 2024, Moscou soutient massivement un programme national baptisé New Health Preservation Technologies, piloté par le cercle proche de Poutine. Ce projet couvre des recherches sur le rajeunissement cellulaire, la neurotechnologie, l’anti-âge immunitaire, la régénération d’organes notamment via le bioprinting — la « bio-impression 3D » — et les thérapies génétiques.
La fille aînée de Poutine, Maria Vorontsova, endocrinologue de formation, est directement impliquée dans ces recherches d’État. Elle dirige ou participe à des programmes d’État financés par des milliards de roubles portant sur les technologies génétiques et le renouvellement cellulaire, sous l’égide de Mikhail Kovalchuk, fidèle de Poutine, à la tête de l’Institut Kourtchatov. En 2022, les États-Unis ont imposé des sanctions à son encontre, la désignant comme responsable de programmes génétiques financés par le Kremlin .
Son implication officielle et son exposition publique incarnent le fantasme d’un pouvoir qui tente de conjurer la fin par la science, incarné par une lignée familière au service de l'immortalité.
Le président russe a aussi reconnu publiquement ce discours sur l’allongement de la vie, estimant que la médecine moderne, notamment la transplantation d’organes, ouvre des perspectives d’augmentation considérable de l’espérance de vie — un propos rapporté par plusieurs médias russes. 


 Pourquoi toutes ces affirmations sont scientifiquement irréalistes ?
Les scientifiques mettent en garde : l’idée de vivre indéfiniment grâce à des greffes continues est un leurre. Les transplantations successives multiplient les risques : rejet immunitaire, inflammation chronique, fragilisation du système immunitaire — autant de facteurs qui peuvent raccourcir la vie plutôt que l’allonger. À ce jour, la bioprinting d’organes entiers reste expérimentale et probablement à plusieurs décennies de toute application clinique à grande échelle.
La fuite en arrière de l’Occident
Cet acharnement à prolonger la vie à tout prix est aux antipodes de l’esprit fondamental de la démocratie occidentale, née dans l’acceptation de notre condition mortelle. Dans l’Odyssée, Ulysse refuse l’immortalité offerte par Calypso pour retrouver Ithaque, sa femme, et son destin d’homme mortel. Ce geste fondateur ouvre le chemin de la philosophie, de la démocratie, puis de la science libérée des dogmes : l’acceptation de la limite, et la liberté qui en découle.
Poutine, au contraire, semble vouloir se réfugier dans un rejet des limites humaines, utilisant l’artifice — son corps botoxé, son quotidien figé, ses références historiques rappelant Catherine II ou Pierre le Grand — pour masquer sa vulnérabilité. Il ne se pense plus homme, mais figure de pierre, souverain éternel.

 Comment cela se mêle à l’extrémisme contemporain
Ce retour vers une logique « pré-odysséenne » trouve des échos inquiétants dans les extrêmes de notre époque. En France, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon ou l’extrême gauche défendent parfois un discours rigoriste et victimisant dans lequel la vérité ne se discute plus mais s’impose. Ils rejettent la liberté de penser et ferment la complexité du réel derrière des mythes, des dogmes ou des fictions — comme Poutine lie la science à l’illusion de l’immortalité.
Ce n’est plus seulement une question politique, mais ontologique : on nous demande de croire qu’un petit cercle peut décider de dépasser la condition humaine — soit par la science (le « transhumanisme » libertarien), soit par l’idéologie. Ce rejet de la mortalité conduit à une politique de la suspicion, de l’exclusion, de la liberté bâillonnée.
En conclusion
La démocratie occidentale est fondée sur l’acceptation de notre finitude et la liberté qui émerge de cette reconnaissance. Défendre ou excuser Poutine, ce n’est pas défendre seulement un homme ou un régime : c’est renier l’humanisme, la raison, l’acceptation de la vie dans sa fragilité. C’est promouvoir une humanité figée, sculptée, sans respiration — comme une statue immortelle condamnée, paradoxalement, à mourir de son immuabilité.

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