Tribune – « La taxe Zucman, un impôt de justice dans un monde sans frontières fiscales »
Alors que les inégalités explosent et que les finances publiques ploient sous les crises successives, l’idée d’un impôt mondial minimal sur les milliardaires – la « taxe Zucman » – suscite une levée de boucliers.
Thierry Breton déclare qu’elle « ne rapporterait que 5 milliards d’euros » en France alors que l’État aurait besoin de 45 milliards, comme si une mesure internationale devait se juger à l’aune du seul budget national.
Alain Madelin, fidèle à son credo libéral, brandit l’épouvantail d’une fuite des capitaux et d’un effondrement de l’investissement.
Ces critiques, pourtant, ne résistent pas à l’examen.
Un débat forcément politique, et c’est tant mieux
Qualifier la taxe Zucman de « politique » n’est pas une réfutation : toute fiscalité est politique. Fixer un taux d’impôt, choisir qui contribue et comment, c’est définir un contrat social. L’enjeu est de savoir si nous voulons un système où les plus riches paient proportionnellement moins que les classes moyennes – réalité aujourd’hui documentée – ou une fiscalité qui reflète l’équité.
Le faux procès des « 5 milliards »
En avançant que la taxe ne rapporterait que 5 milliards d’euros en France, Thierry Breton passe sous silence l’essentiel :
cette taxe est mondiale.
Son objectif n’est pas de combler un trou budgétaire français, mais de mettre fin à une compétition fiscale qui prive les États, tous ensemble, de 200 à 250 milliards de dollars par an.
Réduire la question à un calcul strictement hexagonal, c’est ignorer le principe même de la coordination internationale.
Le mythe de l’exil des fortunes
Madelin et Breton agitent la menace d’un exode des capitaux. Pourtant, les données empiriques montrent que la fuite des contribuables fortunés reste marginale, surtout quand l’impôt est coordonné.
La taxe Zucman repose précisément sur un accord international : changer de pays n’éviterait pas l’impôt si la règle s’applique aux actifs où qu’ils soient.
L’expérience de l’impôt minimum sur les multinationales, déjà adopté par plus de 130 pays, prouve qu’une norme globale peut s’imposer.
Un minimum… et rien de plus
On oublie aussi que Gabriel Zucman a travaillé avec l’équipe de Joe Biden, qui proposait une taxe de 25 % par an sur les gains de capital des milliardaires.
À côté, la taxe Zucman – environ 2 % du patrimoine – est, comme l’a rappelé Thomas Piketty, le « minimu minimorum », le strict minimum d’équité pour une économie mondialisée.
Les mirages de la « concurrence fiscale positive »
On cite souvent l’Italie ou le Portugal, qui ont offert des régimes dérogatoires pour attirer quelques milliers de riches résidents.
Ces dispositifs rapportent des recettes ponctuelles mais ne transforment pas une économie nationale.
Le redressement portugais, par exemple, doit bien davantage aux réformes structurelles et à l’aide européenne qu’à son régime des résidents non habituels.
Et ces niches alimentent une course au moins-disant qui érode partout les budgets publics.
Un enjeu de justice et de stabilité
Selon les calculs de Zucman, une contribution minimale d’environ 2 % du patrimoine des milliardaires rapporterait 200 à 250 milliards de dollars par an.
De quoi financer l’éducation, la transition énergétique ou la santé, tout en réduisant des inégalités que même le FMI reconnaît comme un frein à la croissance à long terme.
Loin d’être une punition, c’est une assurance collective pour la stabilité économique.
Sortir de l’attaque ad hominem
Que Thierry Breton raille la carrière académique de Zucman – en rappelant qu’il n’a pas été recruté par Harvard – relève de l’argument ad hominem, sans lien avec la validité scientifique de ses travaux, publiés dans les meilleures revues économiques et utilisés par l’OCDE et le FMI.
La discussion mérite mieux que ce type de diversion.
La taxe Zucman n’est ni une lubie idéologique ni un fantasme punitif.
C’est la suite logique d’un mouvement déjà engagé avec l’impôt minimum sur les multinationales : instaurer, dans un monde où les capitaux circulent librement, un filet de justice fiscale.
Plutôt que de protéger les privilèges d’une infime élite, engageons un débat à la hauteur de l’enjeu : celui d’une contribution équitable de tous à l’effort commun.