Quand la noblesse de robe protège ses pairs : la Cour des comptes, Notre-Dame et l’Institut de France
Par Jérôme Blu
Médiateur culturel, lanceur d’alerte dans une institution patrimoniale
Le 16 décembre 2024, Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, évoquait à l’Institut de France ce que signifiait sa nomination pour ses parents. Il déclarait :
« Elle m’intégrait, en quelque sorte, dans cette noblesse de robe. »
Cette phrase, loin d’être anodine, révèle tout un imaginaire : celui d’une République qui, sous couvert de méritocratie, a reconstruit un système d’élite fermé, protecteur, aristocratique dans ses codes. Et cette image trouve une traduction très concrète dans le fonctionnement même de la Cour des comptes, sous son autorité.
Car la "noblesse de robe" ne se contente pas de poser sur la République une parure de prestige : elle protège, adoucit, neutralise, quand elle devrait dénoncer, révéler, sanctionner.
Notre-Dame : des dons détournés, des mots mesurés
En 2024, la Cour des comptes rend un rapport sur l’utilisation des dons pour la restauration de Notre-Dame. Ces fonds, pourtant destinés à la réparation de la cathédrale sinistrée, ont servi à financer loyers, personnels, et communication — autant de dépenses structurelles normalement à la charge de l’État.
Mais au lieu d’exiger des sanctions ou de nommer des responsables, Pierre Moscovici adopte un ton technocratique : "recommandations", "transparence", "équilibre budgétaire"… À aucun moment, il ne parle de faute, encore moins de faute grave. Il ne nomme ni les responsables du ministère de la Culture ni ceux de l’établissement public.
La volonté des donateurs, pourtant encadrée par la loi de 2019, est trahie. Mais la Cour, elle, parle d’ajustements. Pourquoi tant de prudence ? Pourquoi tant de mesure ? Parce que la haute administration protège ses pairs — dans un esprit de corps hérité, justement, de cette fameuse noblesse administrative.
2015 : l’Institut de France et l’art du contrefeu
Cette bienveillance n’est pas nouvelle. Elle s’était déjà manifestée en 2015, lorsque la Cour publiait un rapport sur la gestion de l’Institut de France. Ce rapport, pourtant, faisait apparaître des pratiques discutables : indemnité INJUSTIFIEE de licenciement de plus de 220 000 € pour un directeur administratif, dépenses opaques, patrimoine mal valorisé, procédures internes contournées. Pourtant, que retient-on ? Une phrase, tirée de la réponse officielle de l’Institut :
« L’Institut et les académies se félicitent d’ailleurs, qu’au-delà des formulations, la Cour n’ait, sur le fond, relevé aucun manquement, ni d’erreur dans les comptes ni aucun fait grave. »
La Cour avait pointé des dysfonctionnements, mais en termes si feutrés, si juridiquement prudents, qu’ils se dissolvaient dans les réponses triomphales de l’institution concernée. Pire : l’Institut revendiquait une « indépendance originaire et structurelle », fondée sur la cooptation, sur l’histoire, sur une "absence de conflit d’intérêts que les académiciens s’imposent". Autrement dit : circulez, il n’y a rien à voir.
Mais sur le terrain, les faits sont tout autres. Pendant sept ans, j’ai vu de mes yeux des menaces, des intimidations, des sabotages, des agressions, des conflits d’intérêts flagrants, des soupçons de trafics, de violences sexuelles, de malversations graves, des accidents du travail gravissimes effacés — et l’omerta totale. Lorsque j’ai alerté, personne ne m’a protégé. L’esprit de corps était ailleurs. À Paris. Derrière les murs dorés du quai.
Une justice d’apparat ?
Dans les deux cas — Notre-Dame comme l’Institut — la même mécanique s’installe : des faits graves sont réduits à des imprécisions, des "incertitudes juridiques", des "zones d’ombre". Aucun responsable n’est jamais désigné. Aucun nom ne surgit. Le langage euphémisé de la Cour devient un instrument de protection, non de reddition.
Et Pierre Moscovici, en se revendiquant d’une noblesse républicaine, ne fait que renforcer le fossé entre les citoyens et ceux qui devraient les servir. Car la véritable noblesse, dans une démocratie, ne se mesure ni aux fonctions ni aux titres. Elle se mesure à l’exigence de vérité, à la clarté des sanctions, à la capacité de dire non à ses propres pairs.
La République ne se sauvera pas par l’élégance des discours. Elle se sauvera par le courage de ceux qui osent nommer les fautes. Et en cela, la Cour des comptes, sous sa forme actuelle, trahit parfois la confiance du contribuable qu’elle est censée défendre.