Die Schaffung des Verbrechens, la « création du crime » que Fritz Lang prêtait au docteur Mabuse, semble aujourd’hui se rejouer sous nos yeux. Le 15 août 2025 restera comme un jour d’infamie dans l’histoire américaine : non pas un Pearl Harbor de flammes et d’acier, mais un Pearl Harbor symbolique, sans avions ni bombardements, réduit à la cérémonie dérisoire d’un tapis rouge déroulé à Anchorage pour accueillir Vladimir Vladimirovitch Poutine, meurtrier de masse dont la réputation ne le cède en rien à Staline ni à Hitler, tant il incarne le mal absolu dans sa forme la plus nue et la plus cynique.
Ce tapis rouge, c’était le sang de ses victimes, métamorphosé en parade d’État ; et la scène évoquait moins la solennité diplomatique qu’un drame shakespearien : Richard III avançant vers le trône après le meurtre des enfants d’Édouard, ou Macbeth offrant à ses barons un banquet où, à sa propre table, vient s’asseoir le spectre sanglant de Banquo. Car Shakespeare l’avait vu : les tyrans portent en eux l’ombre de leurs crimes. Les figures de Dostoïevski le savaient aussi : Raskolnikov, fiévreux et délirant, consumé par la faute qui le hante. Mais Poutine, comme Staline et comme Hitler, échappe à cette hantise ; il ne rêve pas, il ne tremble pas, il ne connaît pas la nuit du remords : il avance, froid, avec pour seule obsession d’anéantir tout obstacle.
Ainsi nous voilà revenus dans une sorte de Moyen Âge moderne, où l’héritage de l’humanisme se dissout dans l’arrogance d’hommes persuadés que tout leur est permis ; un monde où la force, la clientèle et la servitude remplacent la justice, où la cruauté et la délation règnent en maîtresses. Ce Moyen Âge n’a rien du pittoresque des chroniques anciennes : il est ubuesque, grotesque et terrifiant à la fois, comme si l’univers de Jarry s’était fondu avec celui de Shakespeare. Anchorage, ce 15 août, a donné à voir deux Pères Ubu paradant sur un tapis rouge, défiant à la fois la raison, la science et la mémoire des morts.
Mais l’histoire enseigne que le crime n’est jamais à l’abri de lui-même. Richard III s’effondra à Bosworth sous le poids des spectres qui l’avaient poursuivi, Macbeth périt sous la main de Macduff, et même Raskolnikov dut s’agenouiller pour commencer sa rédemption. Les tyrans ne sont pas immortels ; leurs banquets sont les préludes de leur chute. Anchorage, qui fut l’heure de leur triomphe grotesque, pourrait bien devenir le signe avant-coureur de la fin du couple Trump-Poutine. Car l’arrogance des criminels finit toujours par rencontrer le mur du temps et le jugement des hommes.