Thiel, Vance et le faux rousseauisme : quand la tech détourne Girard et le christianisme
Peter Thiel, figure majeure de la Silicon Valley, aime se poser en critique du progrès technologique. À la tribune des conférences National Conservatism, il déplore la stagnation de l’innovation « concrète » et accuse la culture dominante d’étouffer la créativité. Cette posture évoque le premier Discours de Rousseau, qui voyait dans les sciences et les arts un vernis corrompant les mœurs. Mais là où Rousseau appelait à une régénération démocratique, Thiel promeut une aristocratie technologique: un petit cercle d’innovateurs-libérateurs supposés guider l’avenir à l’abri des institutions.
Cette vision trouve un relais politique en J.D. Vance, son protégé devenu sénateur de l’Ohio. Vance se réclame du christianisme tout en cultivant un repli identitaire : rhétorique nationaliste, exaltation des racines « réelles » de l’Amérique, méfiance envers la diversité. Il transforme la critique du progrès en instrument de populisme : dénoncer « l’élite côtière » pour mieux légitimer une nouvelle élite d’alliés financiers.
Girard mal lu, christianisme dévoyé
Thiel se réclame volontiers de René Girard, dont il fut l’étudiant. Mais sa lecture est au mieux partielle, au pire trompeuse. Girard a montré que le mécanisme du bouc émissaire— la désignation d’une victime pour apaiser les rivalités — est au cœur des violences humaines, et que le christianisme brise ce cercle en révélant l’innocence de la victime. Le Christ n’entérine pas la violence sacrificielle, il la dévoile pour la dépasser.
Or Thiel et Vance inversent ce message. Ils invoquent Girard tout en réhabilitant, consciemment ou non, la logique préchrétienne : celle des sociétés païennes où la victime sacrifiée est divinisée et où la communauté se soude contre un ennemi. Leur nationalisme, mâtiné de références chrétiennes, se mue en christianisme identitaire, au service d’une idéologie suprémaciste blanche, ultra-nationaliste et machiste. C’est le contraire de l’Évangile, qui invite à la fraternité universelle et dénonce toute sacralisation de la violence.
Un rousseauisme de milliardaires
En reprenant le soupçon rousseauiste envers le progrès mais en le pliant à un agenda de domination, Thiel et Vance ne cherchent pas à élever la communauté. Ils aspirent à une verticalité où l’élite technologique et ses relais populistes dictent la marche du monde. Leurs références à Girard et au christianisme sont des paravents, destinés à donner un vernis spirituel à un projet d’entre-soi et de puissance.
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Ainsi se dessine un rousseauisme de milliardaires, teinté d’un christianisme vidé de sa substance. La critique du progrès, au lieu d’ouvrir un chemin de justice et de liberté, devient un instrument de repli et de pouvoir — une régression vers les civilisations préchrétiennes où la cohésion s’obtenait par le sacrifice d’autrui. Girard et l’Évangile sont convoqués, mais leur message est trahi.