Rire ou sécheresse : quand museler les comiques dessèche l’humanité
Museler un comique, c’est bien plus qu’un simple acte de censure : c’est une entreprise d’assèchement. Car le rire n’est pas un luxe mondain, il est l’eau vive de l’esprit. Il irrigue notre imagination, déploie la liberté de penser, fissure les dogmes. Le faire taire, c’est condamner la cité tout entière à la stérilité : plus de germination de la pensée, plus de bourgeons de poésie. L’humain, privé de son propre sel, se réduit à un désert.
Lorsque la susceptibilité d’un seul individu — fût-il puissant ou médiatique — l’emporte sur le droit de chacun à rire, l’équilibre se brise. L’autoritarisme commence souvent par une simple intolérance à la moquerie : ce froncement de sourcil qui veut faire taire l’ironie. L’histoire l’a démontré : là où le rire se tait, la violence se prépare. Le vide que laisse la comédie devient la chambre d’écho de la brutalité.
Donald Trump illustre cette dérive. Dans sa bulle d’ego, il se rêve en empereur : un personnage dont l’excentricité devient loi, dont la raideur laquée dissimule la peur de l’autre. La dinguerie de ses outrances n’est pas seulement spectacle ; elle est contagion. René Girard l’a montré : l’imitation est l’un des moteurs de la violence humaine. Or Peter Thiel, milliardaire soutien de JD Vance, a longuement travaillé sur ces thèses girardiennes. Y voir une coïncidence serait naïf. La tentation est de répéter à l’infini ce modèle trumpien : crispé, insultant, dénigrant, suffisant, imposant sans effort critique un personnage grotesque au reste des humains. L’ère de l’imitation folle menace : quand l’excès devient norme, la farce se mue en tragédie.
Car sans humour, sans la soupape du rire, il n’y a plus de rêve, plus de langage assez souple pour accueillir la contradiction. Reste une pauvreté des situations, une grisaille de sentiments. Le monde se rétrécit, livré à la bêtise et à son cortège de violences. Là où la blague est interdite, la brutalité s’installe. La mort rôde toujours derrière les rires étouffés.
Refuser la satire, c’est s’attaquer à la substance même de l’humanité : cette capacité de se regarder avec distance, de se moquer de soi pour mieux se comprendre. Défendre les comiques, c’est défendre la liberté, la poésie et la vie. Car une société sans humour n’est pas seulement triste : elle est en danger.