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Billet de blog 27 septembre 2025

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« Le “filet dérivant” d’Isabelle Saporta, une métaphore qui coule »

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La Rhétorique du « Filet Dérivant » : contexte médiatique et réfutation légale

1. Quand la métaphore devient un jugement

Le 25 septembre, l’éditorialiste Isabelle Saporta a frappé fort. Invitée sur un plateau de débat pour commenter une récente condamnation, elle a qualifié l’Association de malfaiteurs (AM) de « filet dérivant » – une image de pêche illégale qui ramasse tout sans discernement. La formule a immédiatement trouvé écho : sur les réseaux sociaux comme dans plusieurs éditoriaux, elle a servi de raccourci pour dénoncer une justice soupçonnée d’user de l’AM comme d’un outil fourre-tout, destiné à pallier le manque de preuves directes dans des affaires de corruption ou de financement occulte.

Cette rhétorique, séduisante par sa simplicité, installe l’idée que la justice française se contenterait d’« attraper » au hasard des justiciables quand elle échoue à établir la matérialité d’un délit précis. Mais derrière le slogan, qu’en est-il du droit ?

2. L’Association de malfaiteurs : une infraction autonome

L’AM, définie par l’article 450-1 du Code pénal, n’est ni un « fourre-tout » ni un lot de consolation. C’est un délit formel : l’infraction est constituée dès l’instant où un groupement se structure pour préparer un ou plusieurs crimes ou délits, et qu’un ou plusieurs faits matériels en attestent.

Autrement dit, la sanction ne porte pas sur la commission effective d’un crime ultérieur – corruption ou autre – mais sur la dangerosité de l’organisation criminelle elle-même. Cette autonomie est essentielle : elle vise la préméditation collective, considérée comme une menace sociale en soi. Que la corruption envisagée soit ou non prouvée n’a donc aucune incidence sur la qualification d’AM.

3. Le vrai nœud du débat : la preuve par faisceau d’indices

La critique ne vise pas tant la notion juridique que la manière de la démontrer. Dans l’affaire qui a suscité la sortie d’Isabelle Saporta, les magistrats se sont appuyés sur un « faisceau d’indices » – des éléments graves, précis et concordants – plutôt que sur une preuve unique. Cette méthode, loin d’être un pis-aller, est consacrée par la jurisprudence. Dans les dossiers de criminalité financière ou de corruption, les protagonistes prennent soin de dissimuler les preuves directes ; sans cette approche globale, l’impunité serait la règle.

Qualifier ce travail minutieux de « filet dérivant » revient donc à discréditer un principe fondamental du droit pénal moderne : l’articulation de multiples indices pour établir une vérité judiciaire.

4. Dépasser le slogan

La force d’une image ne doit pas faire oublier la réalité juridique. L’Association de malfaiteurs n’est pas un substitut en cas d’échec de l’accusation principale ; c’est une arme préventive contre les entreprises criminelles. Le véritable enjeu n’est pas l’existence de l’AM, mais l’acceptation collective – politique et médiatique – de la preuve indirecte comme base légitime de la condamnation.

En définitive, réduire l’AM à un « filet dérivant » entretient un malentendu : ce n’est pas la justice qui pêche au hasard, mais bien la société qui refuse parfois de voir qu’un complot peut être aussi punissable que son passage à l’acte.

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