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Billet de blog 28 septembre 2025

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« Sarkozy-Kadhafi : quand C à vous brouille la force du verdict »

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Sarkozy-Kadhafi : quand C à vous confond équilibre et déséquilibre

Comment l’émission de France 5, le soir du verdict, a laissé prospérer le récit de la défense

Le 25 septembre 2025, la justice française a tranché : Nicolas Sarkozy a été condamné à cinq ans de prison, dont deux ferme, pour association de malfaiteurs dans l’affaire du financement libyen de sa campagne 2007. Claude Guéant et Brice Hortefeux l’accompagnent au banc des coupables ; Éric Woerth est relaxé.
Un séisme judiciaire. Un moment où l’information publique doit faire preuve d’une rigueur absolue. Pourtant, sur le plateau de C à vous, l’impression dominante fut celle d’une conversation qui penche du côté de la défense.


Le plateau : un décor policé pour un verdict explosif

L’avocat de Nicolas Sarkozy, Maître Darrois, arrive avec une stratégie claire : transformer une condamnation historique en affaire politique. D’emblée, il parle d’« acharnement », d’« instrumentalisation de la justice » et qualifie l’association de malfaiteurs de « voiture balai des juges », insinuant que le tribunal se serait raccroché à une qualification par défaut.

La présentatrice Marie-Élisabeth Lemoine, soucieuse de relancer le débat, reprend ses mots :
« C’est-à-dire, il y aurait eu une justice spéciale ? »
Une question qui, sous couvert de clarification, fait résonner l’accusation de “procès politique”. Elle ne la contredit pas ; elle l’installe.

Pendant ce temps, un journaliste du Parisien, seul invité extérieur à s’employer à rappeler les faits, tente une remise au point timide. Ses interventions, prudentes et factuelles, se perdent dans le flot d’arguments de la défense, sans jamais imposer la centralité des preuves bancaires.


Patrick Cohen : la retenue qui devient complaisance

Patrick Cohen, figure expérimentée, aurait pu jouer le rôle de vigie. Il rappelle que « le tribunal dit qu’il y a quand même eu un pacte de corruption », mais qualifie aussitôt la démonstration de « forcément fragile aux yeux d’une partie de l’opinion ».
Ce « forcément » est un cadeau rhétorique à la défense : il acte l’idée que la preuve, pourtant jugée suffisante par le tribunal, restera bancale dans l’opinion.

Plus grave : Cohen insiste sur les carnets manuscrits de Choukri Ghanem, authentiques mais plus faciles à relativiser par le public, au lieu de marteler l’existence des virements bancaires documentés. Ces transferts, postérieurs aux rencontres Guéant-Hortefeux-Senoussi en 2005, relient directement le régime libyen à des intermédiaires de Sarkozy comme Takieddine et Djourhi, experts en dissimulation.
Ce sont ces virements – traçables, bancarisés – qui scellent l’association de malfaiteurs. Les reléguer au second plan revient à fragiliser la compréhension du verdict.


Le leurre du « document Moussa Koussa »

Maître Darrois sort ensuite une carte connue : le « document Moussa Koussa », censé prouver une promesse de financement. Il le présente comme pièce maîtresse… alors qu’il a été éliminé des réquisitions finales du parquet.
Patrick Cohen ne rectifie pas. Il aurait pu rappeler que ce document a été jugé crédible à trois reprises lors des instructions, mais que, même contesté, il n’était pas nécessaire au verdict.
En laissant cet argument prospérer, l’émission accrédite l’idée que le procès se résumerait à un papier douteux – ce qui est faux.


L’angle mort du cash : une évidence ignorée

La défense martèle qu’« il n’y a pas de preuve d’argent liquide ». Mais tout journaliste habitué aux dossiers de corruption sait qu’il est presque impossible,  des années après, de retrouver des traces de cash dans un compte de campagne.
Les accords de corruption sont oraux, les circuits opaques, et Mouammar Kadhafi distribuait ses valises sans reçus.
Cohen, au lieu d’expliquer cette réalité au public, reprend la formule de la « grande faiblesse du dossier » sur les « centimes ». Cette omission légitime le doute, alors même que les virements bancaires – des preuves « dures » – sont bel et bien là.


Quand l’équilibre devient un déséquilibre

Résultat : un plateau où l’avocat déroule son récit de « complot des juges », où l’animatrice relaie les formules-chocs sous couvert de relance, et où le seul contrepoids – un journaliste du Parisien – reste en retrait.
Le service public, censé exposer la hiérarchie des faits, a offert un terrain de jeu à la défense. Loin d’une partialité ouverte, c’est un biais d’incomplétude : le silence sur les virements bancaires, la complaisance devant le « document Moussa Koussa », le « forcément » de Cohen, tout cela a dilué la force d’un verdict pourtant étayé.


Conclusion

La condamnation de Nicolas Sarkozy ne repose ni sur des rumeurs ni sur un seul papier contesté, mais sur des preuves multiples et concordantes, dont des flux financiers précis sortis de Libye après des rencontres secrètes.
En négligeant de le rappeler avec force, C à vous a laissé s’installer une perception faussée : celle d’un procès politique aux preuves fragiles.
Informer, c’est nommer les faits essentiels. Ce soir-là, le service public a manqué son rendez-vous avec la clarté.

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