Pour comprendre le cynisme de ces réjouissances, il faut revenir aux sources du Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée. Inauguré en 2013, ce dernier représente le transfert depuis la capitale du Musée National des Arts et Traditions Populaires. Il devient ainsi le premier musée de société décentralisé tourné vers la Méditerranée. Fondé pour porter aux yeux du public le patrimoine et la mémoire populaire, le Mucem est-il autre chose aujourd'hui qu'un énième bâtiment voué à la promotion d'une culture élitiste ?
Agrandissement : Illustration 1
Derrière la résille de béton, la réalité des travailleur.euse.s du Mucem est scandée par le recours à outrance aux stages et aux services civiques, aux contrats dits aidés, à la reconduction illégitime des CDD, au salariat déguisé, au SMIC pour tous.tes. Suivant la mode néo-libérale, les tâches autrefois réalisées par des fonctionnaires ont depuis systématiquement été données à des sociétés prestataires privées, aux logiques forcément éloignées de celles d'un service public. Des conditions de travail éloignées des valeurs éthiques que prône l'institution (voir l'article de Marsactu)
Des pratiques encouragées par un cadre législatif qui a décidé de faire la part belle au profit. Comme l'expliquait en octobre 2022 le journal Le Quotidien de l'Art : « Depuis les années 2000, les établissements publics ont vu leurs contraintes s’accroître. Promulguée en 2001 et appliquée à toute l’administration depuis 2006, la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) impose une contrainte de masse salariale et un plafond d’emploi. En 2007, la révision générale des politiques publiques (RGPP) oblige, quant à elle, au non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant en retraite. »
Derrière le vernis intellectuel et les opérations de communication, c’est, pour les employé.e.s des prestataires, le fonctionnement d’une entreprise privée qui prévaut.
Par ailleurs, c’est bien un fantastique laboratoire de la culture néolibérale qui a été inauguré en 2013 avec la désignation de Marseille en Capitale Européenne de la Culture, célébrée en grande pompe lors de l’inauguration du Mucem par François Hollande.
À la mainmise des pouvoirs publics nationaux s’associe un vaste programme de gentrification de Marseille, lui aussi piloté d’en-haut. En 2023, le bilan est sans appel : sous couvert de renforcer l’attractivité ou de dynamiser les quartiers, la mise en œuvre de projets tels qu’Euromed, les Terrasses du port ou la prochaine Cité scolaire internationale « Jacques Chirac » (par Bouygues construction et les architectes du Mucem Ricciotti & Carta) n’a conduit qu’à lisser le paysage urbain, homogénéiser les populations et exclure des marseillais.e.s de leurs propres quartiers.
A l’occasion des dix ans du Mucem, le personnel des secteurs culturel, associatif et de l’éducation, des étudiant.es des Beaux-Arts, avec le soutien des syndicats Sud Culture et Sud Éducation, et l'appui de la CGT-Culture, ont envahi les festivités d’anniversaire du musée, pour prendre la parole, déployer des banderoles et distribuer des tracts. Des bateaux, embarqués par le collectif Marseille contre la loi Darmanin, se sont aussi invités à la fête, affichant leurs revendications sur voiles et bannières. Comme en suite aux actions portées au cours des derniers mois par divers syndicats et collectifs marseillais de la culture, le samedi 3 juin a été l'occasion d'une critique politique de la vitrine "Mucem" et des institutions culturelles de la ville.
Agrandissement : Illustration 2
Profitant d'un plateau radio de France Bleu Provence, se tenant sur la Place d'Armes, les manifestants ont scandé leurs slogans sans visiblement perturber les péroraisons de Robert Guédiguian. Puis, la passerelle du J4 a été occupée, permettant le déploiement de banderoles au-dessus de la darse du Mucem – objet d'un projet de piscine olympique. Les riverains et touristes, venus profiter du beau temps ont pu voir s'étendre les mots « Fête de la privatisation / Service Public / Retraite / Culture » ainsi que « Marseille Unie Contre l'Exploitation et Macron ». Pour parachever cette contre-fête, des fumigènes ont été brandis dans le ciel bleu. Le cortège, composé d'une centaine de personnes, s'est ensuite retiré du musée, non sans distribuer quelques tracts à des visiteur.euses, majoritairement sympathiques à l'action en cours.
Pierre-Olivier Costa, nommé par Emmanuel Macron - et neveu de Brigitte - à la Présidence du musée, indifférent à la clameur, a maintenu, le soir-même, la célébration initialement prévue pour les 10 ans de l'édifice. Bals, concerts, spectacles ; ne se refusant rien, le gros du spectacle fût même donné par le Groupe F, poids lourd international de la pyrotechnie, lors d'un feu d'artifice dont on a peine à imaginer le coût - à charge du contribuable.
Quelques jours plus tard – le 27 juin 2023 - Emmanuel Macron, de passage à Marseille, donnait une réception au Mucem, avec plus de 500 invités. Négligeant l'exposition Barvalo – consacrée à l'histoire et à la diversité des populations romanis d'Europe -, le Président a préféré discourir, depuis le fort Saint-Jean (partie intégrante du Mucem) sur les perspectives d'investissements financiers que lui inspire la cité phocéenne – port, écoles privées, transition numérique et énergétique, etc. « L'art peut redonner le goût de l'avenir », conclut-il, sans ciller.
Face à ces discours creux et pour la reprise en main d'une ville dont la colonisation culturelle ne cesse d'avancer, d'aucun.es souhaitent faire converger les colères, et continuent de dénoncer le passage en force de la réforme des retraites, la destruction du code du travail, de l’assurance chômage, la précarité généralisée des travailleur.euse.s avec ou sans papiers, le démantèlement de l’école publique, le RSA sous conditions, la Loi Asile et Immigration. La liste est longue et la logique toujours la même : s’assurer une main d’œuvre corvéable et flexible à laquelle on imposera de travailler toujours plus longtemps, dans des conditions toujours plus dégradées.
Refusons de tourner la page, non pas pour nous accrocher en vain au mirage d’un mouvement social fantasmé, mais parce que les enjeux vont au-delà de la réforme des retraites. Nous refusons ce monde d’expulsions, de gentrification et de précarisation; l'Etat policier et l'autoritarisme social et culturel bourgeois. Nous exigeons de nos impôts et de nos insitutions qu'ils façonnent des musées réellement populaires, aux logiques incluantes et proches des populations urbaines et rurales dont elles occupent le territoire.
Merci à Primitivi pour leur savoureux podcast en direct de la mobilisation du 3 juin 2023, à découvrir ici :
https://www.primitivi.org/Gacher-la-fete-1120
Liens citations :
Marsactu : https://marsactu.fr/depuis-le-mucem-emmanuel-macron-offre-a-marseille-un-marketing-mediterraneen/
Le Quotidien de l'Art : https://www.lequotidiendelart.com/articles/22528-dans-les-musées-la-précarité-généralisée-de-l-emploi.html