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Billet de blog 28 mars 2021

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Une révolution de l’intime portée par les femmes et le féminisme

Dans la sphère de l’intime et de la sexualité éthique, en particulier dans les relations hétérosexuelles, les féministes sont les véritables actrices et acteurs révolutionnaires. Ils et elles ont montré comment la libération de la parole et le refus de la loi du silence sont centraux dans toute lutte égalitaire.

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Illustration 1
"femmes, qui parle ? femmes qui parlent" © ABK

Comme l'affirme le philosophe Gilles Deleuze, “la violence est ce qui ne parle pas”. Les violences sexistes ne peuvent pas se décrire simplement, car elles prospèrent dans le tabou et le non-dit. Comme les violences racistes, elles sont systémiques et multiples, présentes dans le quotidien mais aussi dans des évènements de leur histoire personnelle, des événements qui font date dans la vie d’une femme, où le degré de violence se décuple jusqu’à dépasser le seuil du tolérable.

Dans leur vie quotidienne, les femmes (qui étaient, il n’y a pas si longtemps, encore très communément réduites à LA femme) ont été assigné par les sociétés patriarcales à des tâches particulières, souvent dérivées de leur fonction maternelle. Grâce aux luttes des siècles précédents et de ce siècle-ci, les femmes sont arrivées à conquérir toujours plus de droits et de reconnaissance de leur humanité à part entière, en bousculant de nombreux domaines touchant à l’intime. Les luttes féministes, qui comptent également dans leurs rangs des hommes qui seront certainement de plus en plus nombreux, ont encore du chemin à faire pour achever la révolution de l’intime qu’elles ont entamé. Elles devront sans doute en passer par une remise en question de leurs impensés, de leurs conflits internes ou encore de leurs visions en matière de convergence des luttes sociales.

Malgré leurs divisions internes, les luttes féministes contemporaines sont cependant parvenues à mettre en évidence des problématiques sociétales cruciales en matière d’inégalités entre hommes et femmes, notamment dans le domaine de la vie privée. Par exemple, celui des écarts salariaux : en considérant les conséquences concrètes sur leur vie, on peut tout à fait considérer ces écarts comme une forme de violence quotidienne faites aux femmes. De même, une autre violence sexiste quotidienne dont on parle de plus en plus est la charge mentale, ou la « double-journée » qu’accomplissent de nombreuses femmes en prenant de leur temps et de leur énergie pour s’occuper des tâches ménagères du foyer ou des enfants. Ces violences ont la caractéristique d’être invisibles, de « passer comme une lettre à la poste » dans le cours du quotidien. Elles ne font pas événement et sont constitués d’agrégats de petits faits qui s’additionnent les uns aux autres et se fondent dans le système économique ou domestique.

D’autres violences, avec une autre intensité et un degré supérieur, font souvent irruption, voire événement, dans la vie des femmes. La violence subie lorsque l’on doit repousser incessamment des avances dont on a bien fait comprendre qu’elles ne sont pas les bienvenues, la violence subie lorsque l’on doit éviter certains endroits parce qu’on ne veut pas y croiser un agresseur avéré ou potentiel, la violence subie lors d’une agression sexuelle, d’un viol ou d’une tentative de viol, d'un féminicide ; toutes ces violences sont celles qui ont émergé massivement à la faveur des mouvements #Metoo et d’autres dérivés ou semblables. Les nouveaux médias de communications ont permis à de nombreuses femmes de sortir du silence, dans des espaces numériques où elles se sentaient en sécurité. Ces femmes, combattantes derrière leur écran, ont révélé une part de l’intime que l’on ne veut pas voir, que l’on préférait autrefois passer sous silence. Il en est ainsi : le silence est un terreau fertile pour beaucoup de violences, pas uniquement celles à l’encontre des femmes.

Avec ces mouvements de libération de la parole qui ont dépassé les frontières numériques, les victimes ont pu commencer à faire bien plus que confronter leurs agresseurs. Elles ont pu mettre des mots sur leur vécu et se le réapproprier. Elles ont pu comprendre leurs réactions, leurs ressentis et verbaliser leurs traumatismes en écoutant les autres parler des leurs propres histoires.

De telles paroles se sont réunies et renforcées, se faisant les échos les unes des autres pour venir décrire des phénomènes dont on commence enfin à comprendre l’ampleur et l’emprise sur nos sociétés toute entières, du sommet de l’Etat jusqu’au fond de notre lit. Les paroles sont parfois devenues une parole écrasante, infâmante, terrible, nécessaire, comme celle de Camille Kouchner qui a entrainé avec la sienne celles de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants. Portées par un élan inédit, les paroles féministes s’imposent à présent chaque jour plus dans la sphère médiatique pour venir conquérir des bastions masculins, et même de solidarité masculiniste, comme l’illustre un récent scandale visant un journaliste sportif bien connu du grand public, dont les agissements ont été longtemps banalisés avant qu'ils ne refassent surface. Les prises de parole féministes sont également très nombreuses, et sans doute plus diversifiées, sur les réseaux sociaux (et sans doute plus libres que sur les canaux habituels) : on peut ainsi citer les comptes Instagram comme « tasjoui » de Dora Moutot, ou la version plus tournée vers le genre masculin « tubandes »…) comme de véritables espaces de pensée innovante et de débat féministes.

Ensemble, ces voix qui se sont élevées contre des violence maintenant considérées comme intolérables ont réaffirmé le pouvoir des mots pour faire changer les temps et nos sociétés. En France, les institutions de l’Etat, de même que les institutions judiciaires et l’administration policière, n’ont pas pu ignorer ces sursauts féministes. L’Etat et ses représentants se sont donc résolus à réaffirmer leur combat plus pour la reconnaissance des violences faites aux femmes, tout en conservant des positions ambigües par ailleurs, notamment en ce qui concerne des polémiques visant des fonctionnaires en exercice au plus haut niveau. Dès lors, sans aller jusqu’à la remettre totalement en cause, il n’est pas absurde de s’interroger sur la sincérité de ce souci institutionnel pour l’émergence d’une prise de parole féministe de la société civile.

Pour autant, reste que la grande qualité de cette révolution féministe de l’intime, qualité qu’on ne peut lui enlever, est sa non-violence, qu’elle impose comme nouvelle norme, dans des sphères où le non-dit facilitait justement des violences considérées comme norme, et « normales ». Loin d'une "guerre sans pitié menée contre les hommes", les paroles et pensées féministes veulent investir des espaces troubles, aux frontières du conscient et de l’inconscient. Elles dessinent des mondes possibles en dehors de celui qui autorise et légitime les violences sexistes ordinaires comme "extraordinaires". N'est-il pas grand temps que l’on se rendre compte, collectivement, combien les violences sexistes ou leurs avatars ont investi nos vies intimes, nos désirs, nos imaginaires, et les ont bridés, sans que nous ne nous en rendions compte ? Nul doute que les femmes et les féministes sauront être force de propositions alternatives, créatives, intelligentes pour réinventer la sphère de l’intime, sans pour autant lui retirer son aspect privé mais en choisissant d’en faire un espace d’égalité, de respect, d’humanité à part entière.

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