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Billet de blog 21 janvier 2025

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Bégaudeau & Bégaudard

François Bégaudeau, écrivain français connu pour ses romans et essais politiques, un camarade de la gauche radicale, est aujourd'hui boycotté et vilipendé dans nos rangs pour avoir commis une blague sexiste sur Internet. D'intellectuel prisé et admiré, il est soudainement devenu méprisable. Au nom du féminisme ? Pas si sûr.

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Illustration 1
François Bégaudeau © Bob Télé Chez Moi

Lors d'une récente manifestation féministe à Nice, un copain me dit chuttttt en regardant autour de lui, gêné, je venais d'évoquer une théorie de François Bégaudeau. À la librairie féministe où ses livres sont habituellement en vitrine, « Comme une mule » (Stock, octobre 2024) est caché au fond d'un placard sous un présentoir, la féministe s'est accroupie pour me le récupérer. Lors d'une soirée Mouais, j'évoque l'auteur lors d'un tour de parole ce qui fait bondir une jeune fille, et je m'engueule ensuite avec un membre de la rédaction qui ne souhaite même pas connaître le contenu de l'ouvrage. T'es au courant des viols de Mazan ? m'admoneste une connaissance, les VSS (violences à caractère sexuel) sont en augmentation ! Oui je sais, une centaine de féminicides par an en France. Mais Bégaudeau-VSS, quel est donc ce raccourci ?

Au feu !

Brûlons le phallocrate Bégaudeau avec ses bouquins ! En cause deux lignes pondues en 2020 sur le forum de son site francoisbegaudeau.fr, il répond à un interlocuteur familier : « Dans le milieu radical parisien, Ludivine [Bantigny] est connue pour être jamais la dernière. Tous les auteurs de La Fabrique lui sont passés dessus, même [Geoffroy de] Lagasnerie ». Quatre ans après, à l'issue du procès que l'historienne Ludivine Bantigny lui a intenté, la 17e chambre correctionnelle statue : « affirmation inélégante (…) sur un registre obscène (…) propos indéniablement empreints de sexisme [qui] ne revêtent pas les caractéristiques de la diffamation ». Les deux plaignantes, l'historienne et l’association féministe Chiennes de garde ont donc été déboutées, Bégaudeau blanchi. Ludivine Bantigny expliquait à la barre avoir ressenti « une souillure », elle a été rabaissée en tant que femme, considérée comme une créature à la sexualité exacerbée, une pute-paillasse. Il ne reste que le boycott des livres de l'accusé, ses pièces podcasts et conférences, pour dénoncer son ignominie.

Précaution : nul doute que Ludivine Bantigny ait été blessée, nul doute sur le sexisme de la blague.

Autre précaution : Bégaudeau n'est ni au-dessus des lois, ni du patriarcat, il en est pétri comme chacun d'entre nous.

Précision : l'auteur de ces lignes a lu « Comme une mule » et à peu près tout ce qu'a publié l'auteur depuis « Histoire de ta bêtise » (2019), et écoute assidûment son podcast ciné-littéraire « La gêne occasionnée ».

Mise en garde : si vous pensez déjà que le « membré » que je suis considère FB comme un génie gourou maître, que sa blague se suffit à elle-même - pas la peine de réfléchir plus que ça - merci d'être passé.e. On me dit que des féministes se sont glissées dans la salle, vous pouvez rester.

Boycott

Chuttt... Le copain insoumis sur la place Massena a bien résumé l'épisode, chuttt et rideau. Bégaudeau a commis l'irréparable. Car on commence par des blagues sexistes, qui deviennent des agressions verbales, qui peuvent libérer des agresseurs physiques, et à la fin les femmes n'ont plus le droit de sortir de chez elles, réduites à assouvir les fantasmes sexuels de leur époux et amis d'époux. L'auteur écrit, c'est un écrivain, donc chaque mot est pesé, l'image mentale véhiculée est délibérée : une honnête femme, brillante intellectuelle, « historienne géniale » disait d'elle Bégaudeau, camarade marxiste irréprochable, représentée en carpette à foutre. Peut-on imaginer plus horrible de la part d'un compagnon de lutte anarchiste-féministe-antiraciste-anticapitaliste ? Chuttt ne m'en parle pas, je ne ne veux plus rien savoir de ce monstre ! Quoi ? En plus il a écrit un bouquin là-dessus ? Il s'excuse j'espère !

Non. Il ne s'excuse pas, s'excuser serait reconnaître une faute, il ne s'excuse que lorsqu'il est sincère, il ne le serait pas. Il ne comprend pas, ou comprend trop, reste abasourdi par le shitstorm, par le merdier. Il dit ne pas en avoir souffert, cela l'aurait plutôt amusé et stimulé intellectuellement, on le sent pourtant déçu. Déçu par sa « famille » politique, par le « chœur des choristes » qui légitimement ou non prennent la défense de la personne blessée, surpris par les annulations de dernière minute de rencontres publiques programmées, l'émission Youtube enregistrée jamais diffusée, par des proches qui ont pris parti pour la victime. S'il y a victime, il y a agresseur.

Bouquets de mots

Illustration 2
Comme une mule © François Bégaudeau

« Et dans les flaques d’eau boueuses de la saison des pluies, des petits poissons ». L'ouvrage est parfois interrompu par des bouquets de mots, comme cette phrase empruntée à la romancière Jane Sautière ; certains commentateurs ont pris ces interludes pour des allusions pornographiques, peut-être est-ce également vrai, disons qu'elles peuvent imager en nous des représentations graveleuses. Ces citations sont là pour rien, rien de politique, rien de féministe ou d'anti-féministe, rien que l'on puisse juger à l'aune de la morale, elles illustrent donc tout le propos de Bégaudeau.

« Comme une mule » n'est pas un essai sur le féminisme, mais sur l'art et l'humour, l'art et la morale, l'art et la politique, l'art et la cruauté, l'art nourri de cruauté, tout comme l'humour. Oui tout est politique ! Même l'art et l'humour. Mais tout n'est pas forcément à politiser, maladie souvent répandue dans nos milieux de gauche peuplés de « politimanes ». Pas de chocolat pour celui qui n'a pas de bras, c'est cruel ; imaginer une historienne attachée à des rails en attente qu'un train rempli d'hommes lui passe dessus, c'est cruel, c'est odieusement sexiste, c'est absurde, c'est ce qui en fait une blague.

Mais oublions l'explication du texte de surcroît garni d'un gag homophobe qui surligne le burlesque, disséquer ces deux lignes semble inutile. La blague est marrante pour qui en rit, s'autorise à en rire. Il semble que le problème soit le lieu de la blague : public. Chutttt, ce genre de pantalonnade machiste ne se formule qu'à voix basse, entre amis proches, on en rigole avec plaisir mais sans oreilles extérieures. C'est la morale qui le dit, pas le féminisme.

Morale et moralisme

L'auteur développe l'idée qu'un féminisme moral peut sournoisement se glisser dans les luttes jusqu'à se substituer au féminisme émancipateur. Le féminisme vise à mettre fin au sexisme structurel, à la domination systémique de l'homme sur la femme, et aspire à la pleine égalité de genre en droit et en pratique. Son but n'est pas de distribuer des mauvais points en humour, juger du nombre de signaux positifs qu'il y a dans le rose blockbuster Barbie, ni d'attaquer une blague en justice ; compter sur notre justice patriarcale pour punir le malotru est d'ailleurs aussi vain que l'inculper pour trop grande arrogance. Bégaudeau vous semble suffisant et ivre de sa personne ? La belle affaire. C'est un jugement moral dicté par des sensibilités. En rien basé sur un fait.

La morale n'est pas pour autant à étouffer ou reléguer. Les procès de Mazan suscite une unanime condamnation morale des auteurs, c'est heureux, cela signifie que comme l'écrasante majorité des être humains nous sommes contre la barbarie. Ce réflexe moral est identique chez le droitard et chez l'anarchiste, chez le dégenré et le mascu bodybuildé. Les peines requises ne seront pas les mêmes par contre, le Ciottiste appellera peut-être à la peine de mort alors que le Mélenchoniste optera pour une peine de prison avec réinsertion, la politique s'est ainsi invitée dans le débat. Le systémicien, lui, se demandera quelles sont les structures qui ont permis aux violeurs de se sentir libres : cruauté brute et déconnectée des criminels ou bien ensemble d'éléments coordonnés ayant permis leurs crimes ? L'inceste procède-t-il d'une pulsion inhérente à l'homme ou inhérente au système familial, à la structure du foyer où il est admis que le père règne en maître ?

La mule

La mule dont il est question dans le livre est ce fait objectif, le réel, cet obstacle en centre-ville qui contraint toute la circulation a être déviée, on ne peut pas le faire disparaître, mais on peut le contourner.

Ce qu'est le fait : une blague sexiste publique.

Ce que le fait n'est pas : un appel à conditionner les femmes en esclaves sexuelles, une propagande criminelle. Il n'est pas une injure, pas une diffamation pour le tribunal, ne contrevient à aucune règle sociale.

Ce que certains aimeraient que le fait soit : une affirmation suprémaciste de l'homme sur la femme par le biais d'un cliché infamant.

Ce que d'autres ou les mêmes chériraient que le fait soit : enfin la preuve tant attendue de la misogynie patente de son auteur qui nous l'a mise à l'envers depuis quarante ouvrages en vingt ans de prises de positions publiques, le masque tombe !

Le fait importe finalement peu lorsqu'on attendait le bâton pour battre le vilain mâle. Est-ce une démarche féministe ? Oui, diront les loups et les Chiennes, on ne laisse plus rien passer, et on vous rappelle qu'il y a une victime. C'est l'autre mule. Ludivine Bantigny a été blessée, c'est un fait. Tellement qu'elle a investi quatre années de sa vie dans une démarche judiciaire. En quoi la blague alimente-t-elle le sexisme systémique ? L’œuf et le bœuf, fumer un joint devant un collège amènera inéluctablement certains élèves à se livrer au cannabis, puis à l’héroïne. Critère moral, loin des faits, des études et analyses sérieuses.

Pour Bégaudeau, le féminisme moral est une branche du féminisme libéral illustré par Léa Salamé qui écrit sur « Les femmes puissantes », des femmes de pouvoir qui ont su prendre la place des hommes à des postes de pouvoir. Des femmes patriarcales ou matriarcales qui savent poser leurs couilles sur la table. Par le biais d'un procès pour diffamation sexiste, c'est le féminisme policier qui met en accusation, au nom de toutes les femmes pour admonester tous les hommes, grâce à des femmes qui utilisent leur puissance pour faire régner l'ordre moral. Puisque tous les hommes sont du même sexe, ils sont forcément corporatistes, se soutiennent entre paires de couilles, de près ou de loin. Forcément soupçonnables à minima de potentiel virilisme-masculinisme-machisme. On flirte avec l'essentialisme, on l'embrasse. Et on valide l'idée du continuum : blague sexiste, agression sexuelle, même système donc continuité. Ce serait parce que des jeunes meurtriers américains ont joué à GTA qu'ils se sont livrés à des crimes de masse, c'est pour cela qu'existe une « puce anti-violence » dans un demi million d'écrans canadiens (brouillage automatique des images). Le refrain est connu mais purement spéculatif car improuvable. Le féminisme moral ne fait pas dans le détail, ni dans le systémique référencé, il est pétri de préjugés, comme l'antiracisme moral.

Art ou infamie ?

Chuttt... Mouais n'était pas très chaud pour que j'écrive sur Bégaudeau : avant même de savoir ce que j'allais en dire, le journal m'imposait un « droit de réponse » et me spécifiait que concernant l'éventuelle diffusion du présent texte « ça dépend de la rédac, on verra ce qu'iels décident ». En général mes articles sont vérifiés par une seule personne. Sujet trop délicat. Et puis la librairie féministe où j'ai acheté mon exemplaire diffuse également notre journal, comme dirait Hanouna « on ne mord pas la main qui nous nourrit ». Sait-on jamais, Mouais pourrait être banni de la sphère gauchisante niçoise, des rencontres de la presse pas pareille, d'événements féministes. Sujet qui pique, pas clair, trop clair pour certaines personnes définitives, les mêmes qui se plaignent que la littérature d'aujourd'hui est trop lisse et ne fait plus réfléchir, manque d'aspérités et de piquant.

L'art n'est pas lisse, même s'il ne contient pas forcément de messages politiques ; l'art lisse c'est de la culture répond Bégaudeau. La culture subventionnée, agréée, validée par les villes et le ministère. Majoritaires sont les intermittents qui ne vivent pas de leur art, mais de la culture. C'est l'art mis en bouteille, l'art qui ne choque aucune morale. L'art emmerdant, aussi ennuyeux qu'un récit de vacances dans le Vercors par exemple. Selon l'écrivain, « j'ai passé mes vacances dans le Vercors et j'ai sauté à l'élastique » n'est pas de l'art, contrairement à « on m'a vu dans le Vercors sauter à l'élastique », formulation qui pose moult questions et laisse l'auditeur cheminer dans ses conjectures. La morale politique pourrait sermonner : sur-tourisme dans le Vercors, les vacances c'est pas pour les pauvres, cent balles le saut c'est pour les bourgeois, le caoutchouc de l'élastique est fait d'hydrocarbures fossiles. Greenpeace n'a pas porté plainte contre Bashung pour apologie des crimes de Total.

Défendre la pensée de François Bégaudeau serait accabler Ludivine Bantigny. Il faut prendre parti, trancher, pour lui c'est contre elle, donc ne plus lire sa prose. De fait c'est ce qu'elle demandait à la justice, trancher. Chacun voit la différence entre un Zemmour qui déclarerait chez Valeurs actuelles « Bantigny, toute la Fabrique lui est passée dessus » et une blague d'un auteur de gauche sur son forum. Donc dans notre affaire ce n'est plus la blague qui est visée, la mule se met à bêler. Lors d'une séance de signatures à la librairie Les guetteurs (Paris, 4 octobre 2024), une dame interpelle l'auteur en tentant de refréner sa colère rentrée et son dégoût du sale type qui se la pète, elle est visiblement bouleversée : « Ludivine est une amie ». C'est également ce que m'a dit le membre de la rédac de Mouais avec qui je m'engueulais. Ces quatre petits mots interdise toute contradiction, sont sensés solder la penser et la discussion. Message : j'ai vu mon amie souffrir à cause de ce type. La dame de la librairie est une femme très émue, elle cherche ses mots « juste t'excuser, je ne lirai pas le livre, énorme malaise ici, vraie colère en moi, incroyable ego en toi, franchement hein... », une boule d'affects. Aucun argument ne saurait l’apaiser car on ne raisonne pas avec un si brûlant ressenti, aucune parole ne parviendrait à la décentrer de ses affects, Bégaudeau n'est pas son psy. Échange impossible.

Politimanie

La morale est là et le politimane est en embuscade pour asséner son discours tout prêt. Les Chiennes de garde ne devraient pourtant pas être les dernières à agréer. Sur le forum, elles auraient pu répondre sur le même ton « qui pour jeter un seau d'eau froide au bigorneau sénile ? », l'historienne aurait pu enchérir « depuis son andropause, c'est son seul moyen d'excitation au bEGOdeau, qu'on lui mette sa couche d'incontinence ! Une couche bio bien sûr ». On ne leur reprochera rien puisque l'humour n'est pas leur mode de communication. Plutôt la contre-attaque : Bégaudeau est un connard à gros dard. La justice ne tranchera pas là-dessus.

Sus aux blagues sexistes ! Pourquoi ? Je suis homosexuel et des blagues homophobes me font pourtant rire. Sus aux blagues racistes, validistes, aux blagues sur les nains, sur les chauves car Vin Diesel et mon frère pourraient mal le prendre. Pas de blague sur les historiennes, ce serait insulter les femmes et l'Histoire, les politimanes ont un discours là-dessus. Patrick Timsit n'a pas le droit de rire des « mongoliens », alors que Jérémy Ferrari peut se moquer des nains difformes parce qu'un Guillaume Bats consentant est face à lui. Le consentement de Guillaume Bats vaut-il pour tous les nains difformes ? Desproges devrait avoir honte de blaguer sur le cancer en 1986 !, on apprendra deux ans plus tard qu'il avait un cancer. Qu'en disait la morale panurgique ? Desproges n'a rien avoué à l'époque, mais n'a rien lâché non plus.

Bégaudeau n'est pas Desproges. La phrase incriminée n'est pas de l'art ! Pourquoi ? Parce qu'elle n'est pas tirée d'un livre au bandeau « ceci est littérature ». Ce n'est pas une blague car elle n'est pas issue d'un forum comique. Pourtant dans ce forum « Chantier autonome » on y parle quasi-exclusivement d'art en faisant des blagues. La victime s'est sentie salie et humiliée, oui, c'est regrettable, on peut en être chagrinée, et rire quand même. Non ? Chuttt...

Loin de s'excuser, il affûte donc son dard, pariant sur la sélection naturelle littéraire qui amènera une partie de son lectorat à le fuir (comme du temps de « Notre joie »). Et il découpe, décortique, tire les fils tellement emmêlés, certain.es démêleur.ses les emmêlant encore plus. La mule disparaît au profit des affects de chacun enchevêtré dans sa propre pelote. Si Marie-Noëlle est une proche de l'historienne, si elle a subi toute sa vie des railleries sexistes jusqu'à l'overdose, se mettant parfois du côté des rieurs pour ne pas passer pour une frigide, si elle a été agressée sexuellement, a soutenu des victimes, compte les féminicides, a peur le soir dans les rues, ses affects à la lecture de la blague seront évidemment très éloignés des miens, homme cisgenre qui n'ait jamais subi de plaisanterie misandre dans une société qui inférioriserait les hommes. Vouloir proscrire l'irrévérence aidera-t-il Marie-Noëlle à démêler ? À brûler la pelote ?

L'écume

« On me dit que des juifs se sont glissés dans la salle... Vous pouvez rester » lançait Desproges en début de sketch (1986), expliquant à la télé « les antisémites n'osent pas rire à ce sketch, et les juifs se croient obligés de rire », chacun se questionnant sur ce que la morale dicte en pareille plaisanterie avant de lâcher ou forcer le rire. On peut rire de tout mais pas avec n'importe qui évidemment. « Tous les auteurs de La Fabrique lui sont passés dessus, même Lagasnerie » ne fait pas rire les Chiennes de garde, moi c'est la chute qui me fait sourire, d'autant que j'affectionne Lagasnerie.

La quête de la vérité est le cœur de la philosophie, pas de la justice. S'il est d'emblée évident pour n'importe quel juriste que le texte n'est pas délictueux, ce que le tribunal a entériné, pourquoi quatre année de procédure et un procès ? Qui gagne quoi dans cette histoire ? La vérité se dérobe au moment où la mule est nommée étalon. Bégaudeau ne connaît aucune vérité sur la vie sexuelle de l'historienne et n'en a cure, il apprendra au procès qu'à ce moment-là elle était dévastée par une rupture amoureuse. Encore une fois, c'est triste pour elle, mais quel est le rapport avec l'accusation ? L'avocate des Chiennes de garde y répondra en plaidoirie : rabaisser une femme c'est rabaisser toutes les femmes. Continuum et essentialisme.

L'écume c'est ce qui reste de ces quatre années de polémiques, car les excuses attendues par certain.es ne sont jamais venues.

L'impact sur la vie de l'auteur : boycott, mais aussi une invitation personnelle à la réflexion, un cadeau pour articuler son essai.

L'impact sur la vie de l'historienne : des milliers de mecs bave aux lèvres l'ont harcelée jour et nuit, la traitant de salope et de Marie-couche-toi-là ? Plutôt une marée de soutiens inconditionnels, de messages d'amour de réconfort et de protection, des flots de dithyrambes sur son travail conduisant de nouveaux lecteurs à lire ses œuvres.

L'impact sur l'auteur de ces lignes : un grand étonnement qu'après ma lecture attentive de « Comme une mule », la dizaine d'heures englouties dans l'étude d'articles et autres textes sur le sujet, le visionnage de vidéos, l'écoute intéressée d'arguments dans tous les sens et le temps conséquent dévolu à l'écriture, un autre membre de la rédaction me dise d’emblée au téléphone « ah non, on ne va pas défendre Bébaudeau dans Mouais, ça la foutrait mal ». Il acceptera néanmoins de lire en se pinçant le nez le fruit de mes réflexions présentes, on est comme ça à gauche, princiers.

L'impact sur les luttes féministes : cette histoire nous augmente-t-elle ou nous mutile-t-elle ? Se sent-on grandi.es ou amputé.es ? Les couillus se sentent-ils castrés ?

Il arrive que la morale demande à la justice de trancher sur l'humour, qu'une historienne convoque devant la Grande aveugle un écrivain qui se dit camarade et dont elle déteste l'ironie bourgeoise : sa sensibilité féminine lui indique que ce salaud usurpe et cache. Sensibilité politique ou épidermique ? Sensibilité d'amoureuse en deuil ou de militante intellectuelle choquée et déçue ? Sensibilité de l'insensibilité à l'humour ou hypersensibilité au sexisme ? Si la vigilance, l'alerte et l'éducation populaire sont bien sûr indispensables en matière de lutte contre les VSS, prenons tout de même garde, contrairement aux Chiennes, à ce que la sensibilité à un pas-bon mot sexiste tombé au mauvais moment ne conduise pas le féminisme à se dissoudre dans une bouillie morale et libérale par manque de discernement.

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