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Billet de blog 2 mai 2016

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Lettre d'un bâtard à la République de sa mère - Partie 2.

Mes grands-pères étaient fonctionnaires tous les deux. L’un indigène-noir (comme l’ébène), l’autre métropolitain-blanc (comme la neige) ; ils t’auront servi avec zèle et empressement. Peut-être avec une certaine « foi » en ces valeurs que tu prétends fallacieusement représenter depuis toujours. Voir même : un amour sincère, quelque part. Va savoir...

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Pour toi : mère France, ils auraient été prêts à donner leur vie, eux aussi… Même s'ils ne l’ont pas fait. Réalistes et malins qu’ils étaient. Eux. Sinon je ne serais peut-être même pas là pour en témoigner.

Illustration 1
Afrik - Illustration Copyright Zet'R

« TéTéTé ! » : Toujours Tout pour Toi… Notre vieille mère Patrie. Symboliquement souvent évoquée comme étant presque maternaliste, dans le rapport à ses colonies, et à ses habitants en général. A Nous. Et nos ancêtres. Foutaises oui !... Perverse polymorphe que tu es ! Mythes et balivernes sont tes armes de prédilection, Maman ! L’extrapolation subjectivante est chez toi un réflexe récurrent, que tu te plais à dénoncer, chez nous, soit-disant par la « réflexion intellectuelle ». En fait par le dogme infantile de l’« effet miroir ». Concept indispensable à toute stratégie hégémonique. Outil implacable de toute affirmation totalitaire. Pourtant, ne dit-on pas : « Qui n’a jamais pêché… » ? Aujourd’hui comme hier, le sens commun ne saurait nager en ces eaux troubles. Il se noie. Et tu contribues grandement à lui maintenir la tête sous l’eau, maman. Nous, tes bâtards, nous le savons bien ; peut-être mieux que d’autres, et sans plus aucun doute… Ainsi, ils passèrent leur vie à chercher à te plaire, ces deux grands-pères « patriotes ». Victimes qu’ils étaient d’un véritable attachement sacerdotal. Toi : leur « Eglise » prétendue républicaine. Eux, respectivement athée et musulman, t’ayant prêté serment d’allégeance, en prononçant leurs « vœux » d’agents intermédiaires de ton administration. Au point que j’éprouve parfois de l’empathie pour l’histoire familiale d’Alexandre J., et pour le rapport tendancieux que sa famille, elle aussi, aura entretenu avec la collaboration, sous Vichy. Et une certaine détestation pour le « syndrome de Stockholm »; en tant qu’il est aujourd’hui travesti en une injonction légaliste ; absurde et déplacée, autant qu’inégalitaire.

Car, bizarrement, ces deux grands-pères, dont je n’ai eu la chance de connaître qu’un seul, avaient la même fonction à ton service : collecter ton impôt. Le fameux nerf de la guerre.

L’un dans l’administration fiscale métropolitaine, en tant qu’ « Inspecteur » ; l’autre dans l’administration coloniale, en A.O.F., en tant que « Chef de canton ».

On m’a dit, au bled, à propos de mon grand-père africain, qu’il était « juste mais ferme » envers les indigènes, ses « compatriotes », dont il avait la charge. Ce qui lui permit de se maintenir longtemps, plus de vingt-cinq ans, dans son rôle de « Chef »; adoubé, et même révéré par l’administration coloniale ; qui voyait en lui un fidèle serviteur, prêt à mystifier son propre « peuple » ; ponctionner son propre sang, pour ton honneur et ta gloire. Pour ton intérêt supérieur. Par essence. Toujours. Toi d’abord. Toi : matrice bénie qui inondait ces peuples d’un rayonnement culturel qu’il n’avait pas demandé. Tous également irradiés par ta « Civilisation des Lumières » ; ancêtre de ce qu'on nomme aujourd'hui la « Coopération »; et qui consistait déjà, en fait, en grande partie, à rapatrier leurs richesses dans ta métropole. Lumière insufflant, non pas l'Inspiration, mais l'Aspiration. Et t'amenant à construire, certes, quelques ponts et routes. Mais essentiellement dans un but : mieux piller les matières premières valorisables de ces contrées lointaines et « sauvages ». Certainement pas pour permettre aux populations indigènes colonisées de se « cultiver » ; de s’émanciper, d’accéder au confort, au progrès ou au développement économique autonome ; indépendamment de tes intérêts de « Puissance civilisatrice ». En réalité puissance néo-esclavagiste. Souhaitant avant tout « rayonner » et « peser », sur la scène macabre où se joue le partage des zones d’influence des grandes puissances mondiales. Nous donnant à voir le spectacle désolant de la crucifixion à répétition de toutes nos valeurs humanistes, depuis des siècles. Et de tous les Droits des Peuples. Surtout ceux non-militarisés.

Un agent « servile », mais tout de même rusé. Sachant tirer partie de l’intérêt du plus fort. Ce grand-père africain, qui était comme « moi-même » l’homonyme du second calife de l’Islam ; fidèle compagnon de son Messager (PSL). Un chef traditionnel, religieux musulman, gentiment « corvéable ». Moderno-compatible. Presque tel que BHL en rêverait, peut-être. Adhérent du parti de la chèvre, et de celui du chou à la fois. Suffisamment « civilisé », pour pouvoir se conformer à tes ordres, et participer efficacement à ton bon développement. Développement, encore une fois, métropolitain avant tout. Le Vieux : presque un « Nègre de maison » en fait ? Formé dans tes écoles destinées à recruter des « cadres-indigènes »… Pour gérer servilement leurs propres congénères. Comme les Senghor ou les Félix H. Boigny, par exemple. Redressé, reformaté, mis en garde, lobotomisé. Dénégroïfiés, évangélisés, démusulmanisés ou même, tant que possible, laïcisés.Et pour l’essentiel : désindigénisés… Acculturés et amoralisés. A Saint-Louis du Sénégal entre autres. Au début du siècle dernier. Amené qu’il fût à gérer lui aussi, mais à une moindre échelle, l’une des de tes espèces de succursales. L’une de tes représentations ou franchises commerciales qui constituaient l’A.O.F. au cours du XXème siècle. Assermenté par ton Ordre pseudo-républicano-universaliste (en fait une S.A.R.L., une multinationale tout au mieux ; et certainement pas une « glorieuse » ou « valeureuse Nation »…). Formaté à ton dogme racialiste. Par souci de réalisme et de réussite. Pauvre (et en fait riche, du coup…) grand-père africain ; ayant choisi de collaborer, plutôt que de ne pas se résoudre… Et d’éventuellement combattre un Ordre pourtant inique et oppressif. « Colonial », en étant l’appellation voulue acceptable. Bien qu’à jamais intolérable, autant qu’injustifiable ; autrement que par l’apologie de la Barbarie. Ce grand-père, réaliste et pragmatique, vit clairement tout l’intérêt d’une certaine « Soumission ». A l’exact opposé, elle, de celle évoquée par Michel H, dans son roman de prospective alarmiste ; teinté d’une haine de l’indigène semblant assez évidente ; pour quiconque pensant que deux plus deux ne font pas vingt-deux. Soumission; mais pas à la façon irlandaise donc. A cinq mille kilomètres de ta capitale. En plein « Fouta Toro ». Région Sub-Sahélienne, à cheval sur le Sénégal, le Mali et la Mauritanie… Soumission, de Lilles jusqu’au Cap… De « Bonne Espérance ».

Illustration 2
Afrik (Original) - Illustration Copyright Zet'R

Ce grand-père africain, celui que je n’ai pas connu, avait semble-t-il l’habitude ; du moins est-ce une rumeur qui me fut rapportée en ses terres ancestrales ; d’exposer en place publique, sous le soleil sahélien ; dont le moins qu’on puisse dire est qu’il est meurtrier ; quelques rares indigènes rétifs au paiement de l’impôt à ton administration. Anecdote charmante, qui m’aide grandement jusqu’à ce jour, à conceptualiser la notion de Patriotisme, au sens noble du terme. C'est-à-dire colonial…

Mais dans le même temps, je dis bien le même temps ; fort troublé en l’occurrence ; mon autre grand-père, maternel celui-là obtenait deux promotions. Entre 1941 et 1943, au sein de ton administration fiscale. Dirigée à l’époque à Vichy je crois... Par Pierre L. et Le Maréchal P… Il me fallut attendre son décès, pour découvrir, en vidant en famille l’appartement de cet ancêtre patriote ; bien français, lui ; bien blanc ; les documents d’époques, cachés pour ne pas dire enfouis ; jaunis, eux ; évoquant cette période de l’Histoire, nationale et familiale, que l’on se plaisait à taire. A me taire. A nous taire à tous. Combien sommes-nous, à taire ce genre de dossier, dans notre beau pays ? Juste parce que tu nous l’ordonnes, Maman! Mais sans autre raison, et à grand prix. Cessons là les refoulements idiots, veux-tu !?

Deux promotions, pour le moins tendancieuses, ouvrant aux héritiers intellectuellement honnêtes, ou peu adeptes du refoulement et du « Secret de famille », un immense champ interrogatif. Il y avait aussi, dans ces documents immergés par une mégarde post-motuaire, entre autres choses, un ordre signé par les autorités de la Kommandantur, d’effectuer des patrouilles, pour le compte de l’occupant allemand. En tant qu’agent de l’administration fiscale… Dépendant… De Vichy !

Bizarrement, lorsque je découvris par moi-même ces documents historiques familiaux, fort intéressants, pour ne pas dire édifiants ; mon oncle, frère de ma mère, devenu chef de famille suite au décès de son père, décida de les récupérer. Peut-être parce que potentiellement compromettants, ou dérangeants. Pour les cacher à son tour, dans son grenier, pour quelques années supplémentaires. Et hop ! On n’en parle plus. Secret défense. Secret de famille. C’est mieux. C’est plus sain ! Mais que pouvait-on donc bien être en charge d’inspecter, du point de vue fiscal, entre 1939 et 1945, dans l’administration française ? Je ne le sais ni…

Et si je te dis tout ça, n’est-ce pas seulement parce que peu des tes filles et fils pourraient te le dire de la même façon, à ma place ? Avec une telle acuité, un tel background, une telle obsession, une telle franchise, une telle emphase, une telle conviction, une telle légitimité.

Un tel niveau de conscience de ce que « patriotisme » et « soumission » son intimement liés. Imbriqués. Interpénétrés. Interdépendants.

Des notions irréconciliables : « Patriotisme » et « Soumission ». Deux injonctions, souvent contradictoires, décrites par Stéphane H., l’auteur du célèbre « Indignez-vous » ; mieux que par Michel, H. lui aussi, auteur du roman éponyme ; dénaturant et travestissant ce concept ; comme des motifs premiers de « soulèvement populaire ». Quand leurs applications deviennent aveugles, néfastes, aliénantes. Situation, apparemment récurrentes, chez toi, maman… (à suivre).

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