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Billet de blog 7 mai 2016

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La France que j’aime. Et celle que je n’aime pas.

Pour que cela soit dit : « j’aime la France ». Profondément. D’un amour singulier. Mais ambivalent. Qui s’incarne presque intégralement dans l’appréhension que j’ai d’une figure hautement tutélaire de notre belle Nation : Victor Hugo. Notre idolâtrie commune le concernant, est certainement symptomatique d’un certain « malaise français »… Me semble-t-il.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il y a, selon ma pauvre opinion, à considérer à la fois : le Hugo réactionnaire ; ou pour le moins conservateur, à tendance girouettique. « Voile et vapeur ». Issu de la bourgeoisie hautaine et défiante. De la terreur révolutionnaire, par son père : le Général d’Empire Hugo. Au surnom évocateur : « Brutus » (dixit Paul Lafargue). Un temps républicain de la première heure. « Scalpeur » de chouans et autres royalistes, cléricaux et nobles de tous ordres. Guillotinant. Mais s’adaptant par la suite à l’Empire, comme à la Restauration. Traversant les crises et les rebondissements politiques avec une dextérité et une souplesse qui confinent au contorsionnisme. Hugo fils, le benjamin de la fratrie. Frère cadet d’Abel et Eugène. Enfant du Napoléonisme. Est finalement devenu Républicain. Presque par dépit. Empêché qu’il fût, par divers calculateurs rusés, de porter appui, comme il l’aurait voulu, au futur Napoléon III. Si toutefois ce dernier l’avait sollicité. Le Hugo défendant avant tout ; au prix de nombreuses compromissions, ou de certains renoncements forts « coûteux » en termes de probité ; sa caste et sa carrière personnelle. Sa famille et son rang. Sa rente et son niveau de vie. Gérant ses entremises et réseaux d’influence, avec mesure et sagesse. Le « Hugo » pour qui les pauvres sont un sujet d’étude, d’indignation et de littérature. Un sujet suscitant chez lui l’emphase, dans de nombreux élans poétiques, et lyriques. Parfois même à caractère politique. Mais le « Hugo » pensant que dans l’Ordre des choses, un pauvre n’a pas vocation à s’exprimer de trop. Ni à représenter sa « sous-caste », dans les instances politiques du régime, tel qu’il l’estime souhaitable pour le pays. Puisque lui-même, et ses semblables : « gens de biens », sont là pour le représenter ; ce pauvre… Avec davantage de brio, de compétence et de légitimité à la fois. Et que, si ce pauvre décide de se révolter, ou de revendiquer par lui-même ses droits ; s’il s’avise de monter sur des barricades ; il faut alors le « réduire » sans pitié à sa plus simple expression. C'est-à-dire : le Néant… Ce pauvre qu’Hugo souhaitait voir être éradiqué, comme un membre gangréné, dans tous ses éditos de l’Evènement : journal créé avec ses fils. Le « Hugo » qui combattit fermement tous les mouvements d’émancipation populaire. Au profit de l’Oligarchie du moment. A laquelle il a de tout temps appartenu. Le Hugo qui écrivit des mots résonnant avec stridence ; dans le tympan de notre recul historique ; tels des acouphènes ; à propos de juin 1948, et de mars 1871. Deux mouvements tués dans l’œuf. Et dans le sang. Par ceux qu’il soutenait, lui : « Hugo le Grand ». Le « National ». A ce jour, tel Jeanne d’Arc, inamovible en nos mémoires patriotes, bien que diverses. Pendant un temps au moins, par certaines productions, par certaines phraséologies, Hugo fût tendancieux. Est-on en droit de penser ? Son soutien à certains potentats, bien utiles à sa propre cause… Indépendamment de leurs œuvres de répression aveugle. Reconnaissables à ce jour, par certains d’entre nous, comme étant d’essence totalitaire et archaïque. La répression des mouvements de libération des masses populaires, par les Ordres que donnent les classes dominantes, et les autorités politiques, à leurs bras armés, que sont l’armée et la police, est un sujet intemporel. Et relevant donc de notre Actualité, bien évidemment. « Chez nous », en France. Et bien plus largement à l’échelle mondiale… Hugo n’est qu’un prétexte. Une poussière…

Il y a aussi, ce Hugo complètement ethnocentré. Complètement désintéressé de la cause d’autres peuples que le sien !... Au point de fournir à notre Culture littéraire des éléments rhétoriques, que je considère être plus « dangereux » même que tendancieux. Des diatribes consistant à indiquer au monde entier, que Paris : « c’est le Monde ! ». Et que le Monde se résume en Paris. Capitale de la Culture prétendument Universelle. Culture Suprême : celle-là même que nous nous employons depuis lors à répandre à grand coups de canons. Producteur d’armes ; « excellant dans cet Art », jusqu’à très récemment. La France. Nation civilisatrice, irradiée d’une Lumière bénie. Comme investie d’une charge fantasmagorique, à l’égard de tous nos congénères sur la Planète. Au mépris, bien sûr, de leurs Cultures diverses. La nôtre étant prédominante. Comme sut si bien le dire : ce « Hugo » là. Celui qui m’indispose. Et qu’on cite en pagaille, à foison, sans retenue ; en un hommage, aussi symbolique que touchant, aux victimes malheureuses des attentats de Paris. Victimes dites « du Bataclan »… « Des terrasses », et du « Stade de France ». Hommage nationale, extrêmement important et émouvant pour nous tous. Rendu aux invalides je crois… Communion de la Nation, sous l’égide de cette sagesse hugolienne, qui nous inonde, tous ou presque, depuis ses funérailles nationales de 1885. Et sa panthéonisation républicainement profitable…

« D’autres hugolâtres, panégyristes maladroits, prenant au sérieux les déclarations de dévouement et de désintéressement du poète, le représentent comme un héros d’abnégation ; ils le dépouillent de son prestige bourgeois, par simplicité. A les entendre, il aurait été un de ces maniaques dangereux, entichés d’idées sociales et politiques, au point de leur sacrifier les intérêts matériels ; ils voudraient l’assimiler à ces Blanqui, à ces Garibaldi, à ces Varlin, à ces fous qui n’avaient qu’un but dans la vie, la réalisation de leur idéal. Non, Victor Hugo n’a jamais été assez bête pour mettre au service de la propagande républicaine même quelques milliers de francs de ses millions ; s’il avait sacrifié n’importe quoi pour ses idées, un cortège de bourgeois, aussi nombreux, ne l’aurait pas accompagné au Panthéon ; M. Jules Ferry lui souhaitant sa fête, deux ans avant sa mort, ne l’aurait pas salué du nom de « maître ». Si Victor Hugo avait fait de cette politique de casse-cou, il serait sorti de la tradition bourgeoise. Car la caractéristique de l’évolution dans les pays civilisés est de débarrasser la politique des dangers qu’elle présentait et des sacrifices qu’elle exigeait autrefois.

En France, en Angleterre, aux Etats-Unis, les ministres au pouvoir et les élus à la Chambre et aux conseils municipaux ne se ruinent plus, mais s’enrichissent : dans ces pays on ne condamne plus les ministres pour tripotages boursicotiers, malversations financières et abus de pouvoir. La responsabilité parlementaire couvre leur faute et les protège contre toute poursuite. »

Paul Lafargue – « La légende de Victor Hugo » - Texte paru en 1885.

Mais il y a aussi le Hugo humaniste contrarié… Philanthrope par nature, par intuition, par génie… Mais vaguement misanthrope quand même. Par le fait de contraintes variées ; touchant au réalisme. Le « Hugo » qui a essayé de dire l’aspect tragique de l’indifférence de notre caste dirigeante de l’époque (1849), à l’égard de la Misère de notre pays. Dans un discours historique. Rebelle à l’Ordre du moment, et pourvoyeur d’une Humanité réellement Universelle ; dont on ne saurait dénier l’éloquence et la pertinence. Juste quelques mois après avoir concouru à réprimer dans le sang, la Révolution de 1848… Le « Hugo » des Misérables. De Fantine, de Gavroche, de Cosette, des barricades de 1832... Et de Quasimodo… Pour mémoire : « Notre-Dame de Paris » : parution en 1832. « Les misérables » : 1862…

De l’Histoire d’Hugo, je ne suis pas spécialiste. Je ne suis, certes, qu’un amateur moyennement éclairé. Mais me permets, tout de même, d’en penser quelque chose. A mon humble niveau. Car notre Hugolâtrie, comme l’entendait Lafargue, n’a à ce jour plus de limite… Il semblerait que les travers d’Hugo ; datant d’un autre siècle, réhabilités à grands cris, par les néo-identitaristes-laïcistes, pourfendeur d’Islam, et autres promoteur du « Choc des Civilisations » ; doivent être mis en évidence. Plus que jamais. Pour ne pas reproduire les bains de sang dont il aura pu se rendre le « coupable »; ou au pire le complice; dans l’Histoire parfois chaotique, de notre pays. L’exégèse de son œuvre ne semble pas être au goût du jour. Pour le moins, il n’y a pas de place pour une analyse suffisamment fouillée et critique, pour nous permettre de tirer le meilleur parti de cet héritage prestigieux ; tout en procédant, dans un souci de pacification de nos débats actuellement passionnés, au travail intellectuel et psychologique de filtrage de ce que sa pensée et son œuvre pouvaient avoir de contradictoires. Une vision honnête. Souhaitable là encore. Permettant de mettre en exergue certains de nos atavismes regrettables. Certaines des dérives évidentes de notre structure démocratique de ploutocrates. Perdurantes. Enarquo-bourgeoises. Crypto-mafieuses. Démocratico-fascistes. A quand la « Fin de Satan » donc ?

Etant entendu que Victor Hugo, notre « Maître » (dixit Jules Ferry), notre « Pair », est assurément plus intéressant dans sa dimension polémique et ambivalente, que dans la vision consensuelle ; nationaliste, hagiographique, hugolâtre, néo-républicaniste, identitariste ; dont certains cherchent à affubler sa mémoire. Pourtant si complexe. Si riche de fêlures et de fissures diverses. Qu’on se plairait à ignorer. A quoi bon ?

Hugo était donc plusieurs… Poly et poli ; comme nous tous. Comme en particulier un autre personnage moins connu, qui fût son contemporain et collègue d’assemblée, son homonyme aussi ; Victor ; Duc ; de Broglie (Victor de Broglie, 1785-1870). Moins connu et pour cause. Prince de naissance. Représentant ouvertement, lui, la droite chrétienne royaliste de l’époque. Ultra-compatible. Mais pourfendeur inattendu de l’esclavage et de la traite négrière. Qu’en penser ? A l’aube de la commémoration du 10 mai… Hugo ou de Broglie ? Binarisme infertile, encore une fois !...

Illustration 1
Carthage - Illustration Copyright Zet'R

« Depuis quatre mille ans il tombait dans l’abîme.

Il n’avait pas encor pu saisir une cime,

Ni lever une fois son front démesuré,

Il s’enfonçait dans l’ombre et la brume, effaré,

Seul, et derrière lui, dans les nuits éternelles,

Tombaient plus lentement les plumes de ses ailes.

Il tombait foudroyé, morne, silencieux,

Triste, la bouche ouverte et les pieds vers les cieux,

L’horreur du gouffre empreinte à sa face livide.

Il cria : - Mort ! – les poings tendus vers l’ombre vide.

Ce mort plus tard fut homme et s’appela Caïn.

Il tombait. Tout à coup un roc heurta sa main ;

Il l’étreignit, ainsi qu’un mort étreint sa tombe,

Et s’arrêta.

Quelqu’un, d’en haut, lui cria : - Tombe !

Les soleils s’éteindront autour de toi, maudit ! - 

Et la voix dans l’horreur, immense se perdit.

Et, pâle, il regarda vers l’éternelle aurore.

Les soleils étaient loin, mais ils brillaient encore.

Satan dressa la tête et dit, levant le bras :

- Tu mens ! – Ce mot plus tard fut l’âme de Judas.

Pareil aux dieux d’airain debout sur leurs pilastres,

Il attendit mille ans, l’œil fixé sur les astres

Les soleils étaient loin, mais ils brillaient toujours

La foudre alors gronda dans les cieux froids et sourds.

Satan rit, et cracha du côté du tonnerre.

L’immensité, qu’emplit l’ombre visionnaire,

Frissonna. Ce crachat fut plus tard Barrabas.

Un souffle qui passait le fit tomber plus bas.

La chute du damné recommença.- Terrible,

Sombre, et piqué de trous lumineux comme un crible,

Le ciel plein de soleils s’éloignait, la clarté

Tremblait, et dans la nuit le grand précipité,

Nu, sinistre, et tiré par le poids de son crime,

Tombait, et, comme un coin, sa tête ouvrait l’abîme.

Plus bas ! plus bas ! toujours plus bas ! Tout à présent

Le fuyait ; pas d’obstacle à saisir en passant,

Pas un mont, pas un roc croulant, pas une pierre,

Rien, l’ombre, et d’épouvante il ferma sa paupière.

Quand il rouvrit les yeux, trois soleils seulement

Brillaient, et l’ombre avait rongé le firmament.

Tous les autres soleils étaient morts.

Une roche

Sortait du noir brouillard comme un bras qui s’approche.

Il la prit, et ses pieds touchèrent des sommets.

Alors l’être effrayant qui s’appelle Jamais

Songea. Son front tomba dans ses mains criminelles.

Les trois soleils, de loin, ainsi que trois prunelles,

Le regardaient, et lui ne les regardait pas.

L’espace ressemblait aux plaines d’ici-bas,

Le soir, quand l’horizon qui tressaille et recule,

Noircit sous les yeux blancs du spectre crépuscule.

De longs rayons rampaient aux pieds du grand banni.

Derrière lui son ombre emplissait l’infini.

Les cimes du chaos se confondaient entre elles.

Tout à coup il se vit pousser d’horribles ailes ;

Il se vit devenir monstre, et que l’ange en lui

Mourrait, et le rebelle en sentit quelque ennui.

Il laissa son épaule, autrefois lumineuse,

Frémir au froid hideux de l’aile membraneuse,

Et croisant ses deux bras et relevant son front,

Ce bandit, comme s’il grandissait sous l’affront,

Seul dans ces profondeurs que la ruine encombre,

… ».

Victor Hugo – « La fin de Satan ». Paru en 1886.

Républicainement vôtre. 

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