Mère France,
Mon nom est Bokar X. Et tu ne me connais pas.
J’en viens aujourd’hui à m’ouvrir à toi de la sorte, car il est temps de porter à ta connaissance le fait que j’existe.
Tu as certes daigné me reconnaître comme un de tes fils, mais tu sembles malgré cela ignorer qui je suis. Au point que je finisse par pressentir de ta part comme une forme de désintérêt, de mépris, mêlée de pitié, voir de dégoût. Ce ressenti, tout relatif et discutable ; tout paranoïaque ou valable qu’il puisse être, doit pourtant absolument être distancié, distingué de toute propension à la victimisation.
Je suis l’un de tes enfants monstrueux, l’une de tes créatures : mi-homme, mi-démon ; que certes tu n’as pas vraiment souhaitée, encore moins désirée. Mais malheureusement pour toi - « Pauvre France ! » dirait Eric Z. -, issu des nombreux rapports incestueux que tu as entretenus, chère mère Patrie, avec les fils de tes anciennes colonies, et territoires d’outre-mer. Comme au sortir de la deuxième guerre mondiale, tes femmes avaient eu pour certaines, tendance à s’encanailler, au mépris de tes conventions sociales et culturelles ; flirtant avec de bien nègres GI américains, dans les boîtes de jazz de Saint-Germain des Prés… Curiosité, attirance pour l’exotisme et l’altérité, goût du fruit défendu ; recherche à la marge d’un air moins vicié ? En tout cas, une certaine propension à marquer une rébellion à l’égard des coutumes nationales, des injonctions parentales, et des accords tacites instituant une endogamie traditionnelle, véritable ciment sociologique du pacte républicain français.
Ou peut-être, si l’on doit inverser les responsabilités, du point de vue zemmourien, suis-je plutôt le rejeton d’un grand méchant loup des colonies, ayant malicieusement et pernicieusement réussi à te détrousser, et ainsi à s’accoupler avec sa propre « génitrice » ; innocente et pure ascendante que tu es ; comme par la même violée.
Je suis en tout état de cause le produit d’un viol à caractère incestueux.
Ce grand méchant loup, mon père, est pourtant né et a grandi dans tes jupons, au milieu de tes colonies, découpées plus tard par tes soins, par ton autorité, par tes règles et stylos, à l’heure de « concéder », souvent à regret, l’indépendance à tes « anciens » pré-carrés en Afrique, il y a maintenant plus d’un demi siècle.
Mon père n’a jamais émigré en tes terres métropolitaines, et je ne suis donc pas le fruit de l’Immigration. Mais bien celui d’une rencontre charnelle, spirituelle, culturelle autant que sentimentale et physique ; empreinte du sceau de l’altérité et de la mixité.
Dans tout les cas, peu important le parti pris, en définitive oui ! Tu es cette Mère indigne ! Et il me semble largement temps de te l’indiquer, et de tenter de t’éclairer sur toi-même. Dans une optique thérapeutique. De franche conciliation, ou réconciliation ; de médiation ; de révélation de la parole refoulée ; qui me semblent seules salvatrices et de nature à éviter d’aller droit dans le mur. Toi comme nous : tes bâtards.
Ce « nous » se veut inclusif, représentant tous mes frères et sœurs, qui sauront bien là se reconnaitre, issus qu’ils sont aussi de ces innombrables viols. Car quel que soit le point de vue d’où l’on se place ; de droite comme de gauche, du tien comme du nôtre, de manière plus ou moins extrêmement inclinée ; force est de reconnaître que les deux parties se plaignent d’importantes atteintes à leurs intégrités respectives… physiques, corporelles même parfois, psychiques, culturelles, identitaires, nationales, territoriales, religieuses, morales… Causant des préjudices importants à la bonne entente entre nous tous, et au Vivre-ensemble dans l’espace démocratique.
C’est pain au chocolat interdits pendant le ramadan, mosquées sauvages et incontrôlées, minarets défigurant la fille aînée de l’Eglise, prières de rue, jihadistes, barbus, AQMI, cellules dormantes, voiles à l’école, à l’université ou à la crèche, Burkas, lapidation, décapitation, excision, antisémitisme, attentats de Toulouse et Montauban, violence dans les cités, zones de non-droit, immigration, problèmes des Roms et des gens du voyage, réfugiés, terrorisme et islam entremêlés…
Contre incarcérations massives de personnes d’origine immigrée extracommunautaire, contrôles au faciès, discriminations à l’éducation comme à l’emploi, difficultés d’accès aux droits administratifs, ghettoïsations, restrictions des libertés fondamentales sur des critères ethnico-religieux, focalisations anti-immigrationnistes, islamophobie galopante, sous représentations démocratiques comme médiatiques de certaines composantes minoritaires de notre nation…
Mais, c’est ton incohérence pathogène, maman, qui est à l’origine de tous les maux que tu entends dénoncer comme en étant victime. C’est ton indicible contradiction structurelle depuis cinquante ans ou plus que tu as daigné nous « accueillir » et nous « élever » en ton sein et que tu ne nous supportes que peu. Pas plus que ton bon Général ne supportait, à l’orée des années soixante, de voir tant de « nègres » fraichement désignés chefs d’états « indépendants » africains, défiler dans les couloirs de l’Elysée. Si l’on en croit les propos que rapportait son brave Foccart lui-même.
Ta réticence quasi allergique à l’égard de notre altérité congénitale est notable en ce que tu témoignes en permanence de ton dédain, ton désintérêt et ton mépris à notre égard. Quand il ne s’agit pas même d’une condescendance anachronique, découlant certainement de cet atavisme racialiste pluriséculaire, qui a su s’exprimer et s’inscrire tout au long de ta glorieuse Histoire; jusqu’à même encore très récemment. Et que tu ne peux ni ne dois plus reculer d’assumer, ou de questionner pour le moins. Maman.
Dans ta bouche, depuis toujours, un Indigène reste un Indigène : il a ses spécificités.
Ces indigènes de tes colonies, par toi massivement mobilisés, tirailleurs Banania, sénégalais, « métèques » et autres « bicots », n’ont-ils pas fait office de chair à canon poussée en première ligne, sur tous tes champs de batailles ? Ces mêmes indigènes n’ont-ils pas été évincés délibérément des défilés lors de la libération de Paris, parce que trop atypiques, trop exogènes, trop basanés, trop exotiques. N’ayant pas la couleur requise pour la page d’histoire qui devait là s’écrire ?
Indigènes, souvent d’ailleurs musulmans, en première ligne au combat, mais pas sur la photo. Ayant attendu, pour beaucoup d’entre eux jusqu’à la mort, une digne revalorisation de leur pension militaire. Un geste fort et symbolique, de reconnaissance d’égalité de citoyenneté, de valeur, dans le combat patriotique qui, au prix de lourds sacrifices, permit de te libérer.
Ce geste, en direction des enfants qui t’avaient le plus chéri, bien que n’étant pas reconnus par toi comme citoyens à part entière ; ce geste envers ceux qui étaient prêts à mourir pour toi ; tu ne le fis jamais, et n’est toujours pas prête à le faire. Il t’en coûterait trop de dire merci, ou bien de dire pardon. Ça t’écorcherait la gueule, comme on dit trivialement.
Pas plus que pour les polynésiens que tu as thermo-nucléarisés. Non ! Pas Pardon. Jamais.
Tu es bien au-dessus de ça. Toi, ma chère mère Patrie de France.
La « reconnaissance » est déjà douloureuse, presque au-dessus de tes forces ; donc amplement suffisante pour toi. Toujours… ( à suivre).