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Billet de blog 28 avril 2016

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Ethique et Cosmologie de la Fourmi.

Tout est Un ! Nous ne sommes, chacun, qu’une partie infime d’un grand Tout, qui n’a de sens qu’appréhendé globalement. Quelques globules, cellules, sous-atomes, virus ou synapses que nous puissions bien être ; ou imaginer être ; au sein de ce corps Total ; sociétal, planétaire, et même cosmique ou mystique… Nous ne saurions même pas nous définir nous-mêmes, s’il n’en était pas ainsi.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La fourmilière s’agite autour d’un trognon de pomme. La Reine de notre colonie a des rêves de grandeur en ce moment. Encore une fois… Elle nous commande à toutes de : « …le mettre en pièce sans délai, ce trognon ». Elle a faim. Et il faut qu’elle accouche. Toujours. Sans cesse. Qu’elle « produise », dit-on chez nous. Elle est Tayloristo-stakhanoviste de la ponte, la reine… Notre Matrice sacrée. Notre unique source de Vie. Elle est : notre Providence bénie. A ce qu’on dit en ce moment, il paraît qu’elle prévoit de s’étendre, géographiquement. A l’est, comme à l’ouest. Elle envoie des éclaireuses en tous sens, chargées de lui rapporter des informations sur les territoires où elle souhaite créer de nouvelles colonies ; et à terme s’établir. La reine reçoit en permanence des mémos circonstanciés sur les stratégies des colonies voisines. Tout porteur de message issu de ces « tribus » ennemies est, tant que possible, intercepté et soumis à la question. La fourmi sait être cruelle et efficace ; sans aucun scrupule même ; lorsqu’il en va de la « survie » de sa colonie, ou de l’exécution aveugle d’un ordre royal. Y compris, dans le seul intérêt de la reine. Et il en fût ainsi de tout temps. C’est ce qui fit notre longévité : la validité pragmatique de notre structure sociale. Un ciment : l’obéissance aux codes et le désinteressement. Un atout : la complémentarité des membres. Du moins, ainsi en aura-t-il été de la grande Civilisation formique, tant qu’elle ne fût pas pervertie par le virus du « Tout pour soi ». Tout pour soi-même… Ne naît pas fourmi-rouge d’Amazonie, qui veut…

A ce jour, elle envisage même de devenir immortelle, notre Reine, à ce qu’on dit ! On dit aussi que c’est un secret… Mais en fait, dans la colonie, tout le monde le sait, et tout le monde s’en fout. Plus important je crois : voilà que depuis quelques temps, on dirait que chaque fourmi, ouvrière, soldate, ou même « nurse » à la pouponnière, se désolidarise des projets royaux, des codes communs à nous toutes ; et voudrait se faire Reine. Elle aussi… « Et pourquoi pas moi, plutôt que l’autre là ? ». Entend-on ça et là… « Pourquoi pas moi avant ; moi plus que l’autre ? « Moi », « Moi », « Moi »… Moi au-dessus de quiconque voudrait se dresser sur le chemin de ma gloire potentielle »…. « C’est sûr, j’ai vocation moi aussi à m’imposer comme cheffe ou régente, « parce que je le vaux bien », et que je suis de la lignée des seigneurs, rois et reines, qui ont fondé notre colonie… Je le mérite, autant qu’une Autre. Et peut-être bien plus que cette reine fantoche, que je m’attacherai à destituer en temps et en heures…. ». « Tu verras bien… ». Chacune se croit capable donc d’être, elle aussi, une « parvenue » à tendance mégalo-dominante. Très bien. C’est ainsi.

Jusqu’à récemment, le « Moi » était inconnu chez les fourmis. Le Nous prévalait, comme de juste. Mégalomanie et rêves omnidirectionnels de grandeurs diverses se sont répandus comme la peste toutes ces dernières années. Tellement d’égos protubérants et difformes ont poussé. Hypertrophies variées ; toutes autant préjudiciables au Corps Formique dans son ensemble. C’est l’Anarchie. C’est la Guerre. A cause de quelques-unes seulement, en fait. Quelques rares déviantes, mais devenues inatteignables. Intouchables. Trop Puissantes. Presque irréductibles, ou invincibles. Génétiquement modifiées, ou en voie de modification. Surarmées. Quelques Super-Fourmis. Pendant ce temps, les fourmis anonymes et soumises de la colonie meurent chaque jour par milliers. La fourmilière s’autodétruit donc par le virus de cet individualisme contre-nature. De cette néo-chefferie d’obédience sataniste. A cause de ce carriérisme nauséabond, et de cet opportunisme égotique, profondément antinomiques de la Société des fourmis. Depuis qu’il s’est introduit, ce fléau ; ce virus du « Un, se voulant plus unique que d’autres, parmi le Grand Tout ; qui lui seul, pourtant, est réellement Un ». Qualifié à l’origine de « Grand Libérateur de la colonie », ce « Un » glorifié, sanctifié unanimement comme chantre du renouveau de la Fourmi ; tous les liens se délitent. Exponentiellement. On ne peut que l’observer. En être désolé. Ou « bénéficiaire ». Au « choix ». Et il n’est pas donné à chaque fourmi de choisir en son fort intérieur s’il vaut mieux : s’y adapter, s’en prémunir, ou s’y soumettre. Y souscrire. Ou le combattre sans relâche. Ce virus ravageur. On peut le vivre, le subir, mais on ne peut pas le dire… D’abord parce qu’on est que des fourmis et qu’au sein de la colonie, on ne parle pas. On agit. On communique. Par signe. Par attitude. Par "phéromones" éventuellement. Pas par des mots. Les mots ne veulent rien dire chez nous. Ensuite, parce qu’il est tellement complexe et évolutif ce Virus intraitable ; mutant en permanence ; qu’il a su développer des systèmes de défense qui lui assurent aujourd’hui une immunité totale. Et une capacité de résistance sans limite à toute tentative de thérapeutique. Quant à « réfléchir », chez les Fourmis, on ne sait pas trop ce qu’il en est non plus… Chez nous, ça se limite souvent à deviner comment contourner l’obstacle, ou porter correctement le matériau qu’on nous commande de porter. Dévouées corps et cris à la colonie. Plus que patriotes ou grégaires ; les fourmis sont objectivement spécistes. Elles aussi. Industrieuses et sectaires par nature. Ne tolérant que les congénères de leur propre colonie. Reconnaissables à l’odeur. A quoi cela nous servirait-il donc, nous fourmis, de réfléchir en plus d’être utile ? On laisse ça à la reine, nous. Il n’y a pas de Religion ou de Science de l’abstraction chez nous autres les fourmis. Nous sommes bien ancrées au sol. Baignées dans le Réel : notre travail prédéfini, répété quotidiennement, nous prémunit, plus que d’autres des pensées perverties. Le Travail, nous, c’est notre raison de vivre. Pour notre plus grand bien. Pourquoi se prendre la tête pour rien ? Puisqu’on doit bien travailler. Tous autant que nous sommes. Ce serait surement du temps perdu pour la colonie, si chaque fourmi se mettait à réfléchir. « Comme les autres là ! Ces clowns égocentriques !... ». A savoir pourquoi…. Et comment on travaille. Ce serait vite le bordel… Encore plus. Donc évitons. Et travaillons seulement. Puisqu’il le faut bien. Résignées. Ouvrières consciencieuses et corvéables, comme au bon vieux temps de notre soumission à l’Ordre ancien. « Fuck New Order ! ». « Fuck les gauchistes ! Et fuck la Révolution ! ».

Pour que l’individu prime sur le collectif, il faut bien un Chef, non ? Un guide qui soit notre libérateur-aliénant. Nous ne saurions faire sans. Sinon où aller ? Que semer, que récolter, que voler ? Qui agresser, qui tuer, qui dépecer ? Qui nous l’indiquerait; sans chef, ou sans Reine ? On ne saurait en décider par nous-mêmes. Depuis toujours nous exécutons les ordres de la Reine, transmis par notre hiérarchie. Et c’est très bien comme ça. Ça c’est l’Ordre ancestral des fourmis ! Ça, c’est ce qui jusqu’à présent nous a semblé normal. Mais depuis que le Progrès et l’Individu sont apparus, en tant que concepts phares des mouvements d’émancipation et de libération des fourmis, notre société, notre organisation séculaire et notre culture formique, telle que nous les avions connues, semblent ne plus avoir de sens, ni voix au chapitre. Toutes nos traditions anciennes, sont déclarées « has been », sans distinction, ni réserve. Pauvre fourmilière ! Nous sommes assurément toutes devenues folles. Nous mourrons donc bientôt. Vouées à disparaître. Car à ce rythme, c’est inévitable. Et bien désolant pour une vieille fourmi nostalgique comme moi. Refuser ce qui s’appelle maintenant le Progrès, ou l’Emancipation de la fourmi, devenue « individu-fourmi » ; contrôleur ou contrôlable ; c’est s’exposer à divers procès de la part de la Communauté-fourmilière, qui dans sa majorité a été infestée par le virus, et adhère à cette vision d’une société des fourmis, faite d’une apposition de multiples entreprises individuelles égoïstes et non coordonnées. Quel gâchis, selon « Moi ». On me dit donc réactionnaire. Et parfois même conservatrice-intégriste, prédicatrice d’un Ordre révolu. On me dit passéiste. C’est que : ce qui servait de code aux fourmis depuis des siècles et des siècles, a définitivement été enterré. A la va-vite. L’éthique fourmilière fut jetée aux ordures, il y a déjà bien longtemps. Aujourd’hui être une fourmi solidaire, c’est être communautariste, gauchiste, écolo-utopiste, sur-moralisatrice, parano-comploto-baba-cool… Le chacun pour sa gueule est notre nouveau mot d’ordre. « Démerdes-toi comme toi-même. » est notre nouvel adage. Il faudrait s’y plier. Mais le simple fait d’être attaché à nos traditions de fourmis, ou d’invoquer la perte de nos habitudes et valeurs qui avaient fait jusqu’alors la force de nos diverses colonies, à travers la communion, la solidarité, l’entraide et l’abnégation de chacune de ses membres, peut nous valoir à ce jour : bannissement ou exclusion de la colonie. On risque même la déchéance. Et de ce fait, chacun, aujourd’hui, surveille chacun. Dans la fourmilière, l’angoisse est perceptible.

Et qui y aura donc introduit ce virus de l’Individualisme et du chacun pour soi ? Qui aura réussi à désunir jusqu’aux familles les plus soudées ? Qui y avait intérêt ? Les futures roi et reines des colonies en construction ? Les futurs tyrans, formico-hitléristes, empreints de nouvelles formes de mégalomanies destructrices du vivant. Tous pétris du dogme affirmant la primauté de l’Individu-Fourmi (ou Etre-Humain…), seul ; sur le « Vivant » dans son ensemble. Sur le groupe, la colonie et l’ensemble de l’environnement qui l’entoure. 

Ce qu’on aime bien faire, nous aussi, les fourmis, c’est d’aller voler les bébés des autres. Faire des razzias dans les autres colonies. Les attaquer, les exterminer s’il le faut et pouvoir ainsi s’emparer de tous leurs œufs. On les élève ensuite dans notre fourmilière. Une fois éclos, ces fourmis indigènes sont comme nos esclaves et elles travaillent pour nous. Gratis. On les « assimilent ». Ça fait plus d’ouvrières, donc plus à manger pour la reine, et donc plus de chances de s’agrandir, de s’étendre, de se reproduire, et de coloniser de nouveaux territoires. Et ce, jusqu’à l’infini… Jusqu’à la fin du « Temps des Fourmis ». Si Antajah, bénie soit-Elle, le veut…

Pourtant, malgré le bonheur qu’il nous est donné de naître fourmi, et non Autre : non-fourmi, elles, mes congénères, veulent toutes être des "Reines", et s’entretuent pour ça. Certaines sont plus rusés, plus habiles, plus sournoises. D’autres sont plus violentes, meurtrières, impitoyables guerrières. Nous autres, simples ouvrières, n’ayant rien à voir avec ces combats d’Egos, parfois même claniques, qui nous sont parfaitement étrangers, nous rangeons d’office derrière le vainqueur, ou disons la « vainqueuse », chaque fois qu’il y a combat. Nous nous disons que puisqu’elle a gagné, elle doit forcément avoir raison. Quelque part. Et nous la suivons donc « comme une seule fourmi ». Dociles et bien rangées comme on nous l’a appris.

Une fourmilière à l’échelle du Cosmos, de l’Univers tout entier, qu’est-ce ? Et une simple fourmi alors ? Combien de fourmilières ? Combien de reines et d’ouvrières de tous ordres dans l’ensemble de l’Espace intergalactique ? La vie de l’Humanité ; et davantage encore de chaque humain ; gagne certainement à être rapportée à sa juste proportion, c'est-à-dire : infinitésimale. Humble et mineure. Nous, les Fourmis, sommes bien plus nombreuses qu’eux. Ces animaux ! Plus disciplinées et plus laborieuses, c’est sûr. Nous gagnerons. Malgré les Bayer et consorts, avec leurs « insecticides »… Et autres « A.D.M. ».

Ils ne nous connaissent même pas ! Donc ne sauraient nous entendre. Encore moins nous comprendre. Nous percevoir ou nous évaluer. Nous ne sommes certes « que » des fourmis. Pourtant nous coexistons. Et nous activons sans cesse. A leurs côtés. Ils comprendront plus tard… Un jour. Peut-être. Mais l’Humain, ce piétineur, a-t-il seulement une âme, ou un cerveau pour comprendre… ? 

Imaginons plutôt que la Terre, elle-même, ne soit qu’un globule, un gène, un allèle même ; un acide, aminé ou pas, une particule indéfinissable. Certes utile, mais périssable. Et d’une toute relative importance, à l’aune de l’Histoire et de la complexité de l’Univers tout entier. Tout Un. Nous avons, il est vrai, semble-t-il moins d’importance chacun qu’un grain de sable sur une plage. Echoué, attendant la marée ; balloté par les flux et reflux de vagues, violentes, sourdes et aveugles à notre pauvre existence. Vagues qui finissent immanquablement par nous dissoudre à force d’érosion. Nous ne pouvons que nous considérer comme « masse négligeable » dans ce Tout gigantesque. Totalement inconcevable, parce qu’incommensurable. Dépassant de loin l’entendement d’une fourmi ou d’un caillou. Fussent-ils même respectivement : une Reine et un Roc. En fait, pour être plus clair, nous ne sommes pour ainsi dire : Rien. Rien de vraiment intéressant au point de vue macro-analytique. Rien de durable. Rien d’essentiel. Voilà tout. Parole de fourmi. « Sur la tête de la Reine ! ».

Et on a donc le droit de penser (comme mon ami Aymeric C., « l’Antispéciste »), autant que comme l’ensemble, ou presque, des religions et pensées mystiques, animales comme humaines, que la terre ait eu à porter, que nous ne durerons pas ; nous fourmis… Pas plus que les Autres. Surtout pas en continuant à agir ainsi. Et que notre seule planche de salut, notre seule thérapie possible, consiste en la réintroduction de la « Réflexion » collégiale. Ouverte au présent, au passé et au futur de la Société des fourmis. Mais ne rejetant, ni la culture formique traditionnelle dans ce qu’elle a de censé, de juste et de favorable ; ni le bébé fourmi avec l’eau de la rosée sur la feuille…

Un proverbe formique dit : « La Tradition est comme une lanterne, le fou s’y accroche, le sage s’en sert pour éclairer son chemin »… Telle est ma devise d’ouvrière, aspirante au bonheur.   

Formiquement vôtre.

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