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Billet de blog 15 juin 2023

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Abayas et fantasmes : message à des enseignants

Le sujet des vêtements à caractère religieux lancé par une certaine sphère médiatique puis reprise par des discours et décisions politiques ont donné à voir des réactions stupéfiantes. Il a délivré son stock de préjugés. Pourtant, ce sujet s’inscrit dans une narration pré-écrite du roman fantasmagorique de l’islamisation.

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« Ça m'effraie » avait-il lancé autour d'un café.
Alors que la porosité entre sirènes médiatiques et décisions politiques n’a jamais été si aussi forte, ce message s’adresse à des enseignants. Ces pourvoyeurs d'esprits critiques, faiseurs de citoyens, rempart, selon Rousseau, contre « les passions » qui « sont la voix du corps » et guidé par cette « conscience » qui est « la voix de l’âme », celle qui « ne trompe jamais ». Ceux-là qui, au-delà des contingences politiques ou médiatiques, seraient porteurs d’un savoir qui les somme de ne pas céder là ou d’autres sont piégés. Le savoir transcendant et la bienveillance, les seuls liens qui scellent la relation entre le maître et l’élève. Au-delà du maître et au-delà de l’apprenant. Au-delà des singularités respectives. Au-delà de nos opinions. Au-delà des passions qui aveuglent la raison. 
C’est, aussi, à cela que rêvait Aristide Briand lorsqu’il a arraché aux différentes tendances sa loi de liberté. Face aux intégrismes, face aux extrémismes idéologiques, face aux irascibles qui voulaient faire porter à la laïcité les oripeaux de la haine, de la rancune et des règlements de compte. Façonner la laïcité à son image : c’est la plus terrible des erreurs, c’est la plus avilissante des entreprises. Un pédagogue est au-dessus de la mêlée : il se décolonise du climat ambiant. Il revendique son droit à l’autonomie et la réflexion. Il ne cède pas à l’apostrophe de ses opinions et les tient à distance. Elles ne le confondent pas. Sinon, il est l’envers de sa mission. 
Le sujet des vêtements à caractère religieux lancé par une certaine sphère médiatique puis reprise par des discours et décisions politiques ont donné, en effet, à voir des réactions stupéfiantes. Il a délivré son stock de préjugés.  Pourtant, ce sujet s’inscrit dans une narration pré-écrite du roman fantasmagorique de l’islamisation, un scénario qui alimente le discours de la gêne, de l’incompatibilité.  On emprunte à une réalité ce qui justifie un certain discours politique et idéologique. On cherche grossièrement à faire confirmer par des jeunes filles les attentes du "grand remplacement" théorisé par Renaud Camus. Ce ne sont pas les réalités qui dictent les discours mais bien l’inverse.  Une réalité qui est construite en fonction de sa capacité à s’intégrer à une argumentation globale ou à un dogme préétabli. Ces réalités sont, alors, simplifiées dans un dogmatisme qui relève d’une idéologie de rejet. Une idéologie devenue transpartisane et incohérente car elle ne répond plus à aucun système d’analyse. Une espèce de « moirage » des idées alimentée par la peur.
 Pourtant, la visibilité accrue et contemporaine du phénomène religieux, surtout en France, répond à des réalités historiques, sociologiques, politiques et même géo-politiques éminemment complexes que le simplisme réduit dans un clivage creusé par la peur. Et la peur n’a pas de nuances et n’a pas non plus de raisons. Encore plus, lorsque s’y mêle une haine que l'on instrumentalise. Cette visibilisation peut, certes, troubler et interroger certains mais il faut savoir qu’elle est, principalement, le pendant d’une invisibilisation qui, dans une large mesure, a été encouragée par une gestion coloniale de l’immigration, d’abord, et puis, ensuite du culte musulman, qui permettra, par réaction, d'ouvrir la porte à l'expression de formes de religiosité individualisées. Avec ses aspects positifs et négatifs. Et puis, finalement, qu’est ce qui dans l’infini champ de la diversité retient notre attention sur ces jeunes filles ? C’est à cela qu’il faut répondre. 
Voilà pourquoi la limitation des registres de l’analyse ne peut conduire qu’à une certaine cécité face à ces nouveaux modes de structuration et ces nouvelles visibilités. Un débat de spécialistes est, à ce titre, possible. Il est déjà engagé. Il dépasse la mission de l’enseignant. Or la réponse du maître est celle dont lui est redevable son élève et ce que lui permet encore ses conditions d'enseignements : aiguiser chez lui un esprit critique et lui « enseigner ce qu’il est » car « on n'enseigne pas ce que l'on sait ou ce que l'on croit savoir : on n'enseigne et on ne peut enseigner que ce que l'on est". 
Dans une démocratie pluraliste, la diversité est existentielle. C’est à ce cela que notre modèle se différencie des régimes autoritaires. Sa réalité est légitime et nécessaire. Elle peut être questionnée mais n’est jamais diffamée, maltraitée et réduite à néant sinon ce sont les bases mêmes de l’ordre démocratique qui seront, à terme et pour tous, remises en cause. Et l'enseignant ne peut pas être, un parmi les autres, l'un des fossoyeurs de nos libertés. 

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