Il ne se souvient pas exactement quand il a commencé à les aimer; tardivement c'est sûr.
Peut être lors d'un voyage, dans un pays où les ciels sont fait pour les accueillir.
En fait, il avait commencé par aimer le ciel et le vent.
Parce que pour faire voler des cerf volants on a toujours le nez
en l'air, humer le vent, guetter sa petite touche sur les joues.
Bien sur il suivait, attentif, la promenade des nuages, mais c'était
pour le vent.
.
Et puis, il a eu son amoureuse, là-bas; elle était belle, la plus belle.
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Là-bas la campagne était verte à se mettre à quatre pattes et
brouter. Les haies le long des routes, les vallons. Puis la mer,
la côte, les vagues, les falaises.
Enfin des troupeaux de moutons dans le ciel, un ciel gris
métallique, troué de lumières,ou d'un bleu vivifiant et ces nuages
qui font de grandes taches d'ombres galopant sur les collines.
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.Il était rentré chez lui, l'amoureuse dans son cœur, et il pensait à elle en levant le nez.
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Sa pensée le faisait voler, pour voir au dessus des nuages.
Il regardait des photos pour les connaitre les comprendre,
les pépères qui globulent nonchalamment, les filandreux, très très
haut, les massifs compacts et oppressant, les gamins qui se
promènent tout seul.
Et il continuait à faire voler ses cerf volants, feuilles de papier A4,
plat ou pliés, fines lames de bambou, bobines de fil de couleur,
queues scintillantes ou couleurs électriques.
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Le miracle (cela porte peut être un autre nom, mais pour lui
c'était un miracle) a eu lieu un après-midi d'été orageux.
Les nuages s'organisaient comme pour un grand jeu. Il y eut
les rayons lumineux qui traversent les masses sombres, les
martinets volaient en rase motte pour cueillir les moucherons,
la pluie arriva de loin, un superbe arc en ciel, et soudain
la saucée dans le jardin.
L'odeur de terre mouillée, une lumière lavée, propre, piquante.
Il alla voir le chèvrefeuille dont le parfum commençait
à se promener tout autour.
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C'est au pied du chèvrefeuille qu'il trouva la besace et la canne.
.Il chercha du regard un promeneur.
Comment quelqu'un avait pu laisser, oublier ses affaires
dans son jardin? La canne était belle, elle ressemblait au baton
basque, la Makhila, avec un pommeau d'argent.
Dans la besace, toute légère,des boites, des feuilles de papier,
du fil, et des petits sachets.Une lettre.Il commença à la lire,
cherchant une raison, un propriétaire.C'était son prénom
qui commençait l'invite.
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Il lu le message, se frotta les yeux,
les leva au ciel pour se rassurer, respira à plein poumons le
chèvrefeuille,seule certitude pour le moment.
Il lui fallu la soirée pour comprendre, accepter, et le lendemain,
de bonne heure, il laissa un mot sur la porte, pris la besace et son
bâton, dit au revoir à son arbuste-parfum et parti.
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Les consignes étaient simples, il les connaissait par cœur,
direction le sud-est, le nom d'un petit village, un chemin de
randonnée,un pic rocheux.
Il commença à gouter les petits flocons qui étaient dans une boite,
sorte de boule de coton de différentes nuances, chacune au gout et
consistance unique.
Plus il avançait vers son objectif, plus il se sentait léger,
il s'allongeait fréquemment dans l'herbe juste pour regarder défiler
les nuages. Parfois, il sortait un papier, du fil, des lamelles de
bambous et faisait voler un "taukite" pour faire corps avec le vent
du coin, se demandant comment on l'appelait par ici.
Il arriva enfin sur ce chemin qui grimpe, caillouteux, raide,
il dormira là-haut, pour voir le soleil se lever.
Il traversa la brume, cela lui rappela un souvenir d'enfance, Madère;
rentrer dans le nuage, ne plus rien voir, sentir les gouttelettes d'eau
et se retrouver au dessus, dans une nouvelle lumière.
Il était arrivé; en haut, il ressorti la lettre, la relu.
Confiant, inquiet, curieux, il s'allongea pour dormir, être en forme pour le grand jour!
.

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C'est l'odeur de la vallée qui le réveilla, il ne pouvait voir qu'une
mer de nuages, avec un soleil qui traine à se lever.
Il était pret, il ne devait pas attendre longtemps. Pour se réchauffer
il fit tournoyer sa canne au dessus de lui, provoquant un petit
bourdonnement et il le vit, il savait que c'était lui.
Bien rond, bien gonflé, il semblait se détacher de la masse,
il glissait doucement, droit sur le pic.
Continuer à tourner la canne doucement.
Surement, le nuage avançait à ses pieds, un immense tapis de coton,
grand comme... juste très grand. Il ouvrit sa besace et sortit
une sorte de pochette, tenir un angle entre le pouce et l'index,
le geste du semeur, les instructions étaient claires et précises.
Alors un film, une fine pellicule comme de la soie se déplia et
recouvrit le dessus du nuage.
Un mouvement sec avec le bâton, comme un claquement de fouet
et il sorti du pommeau d'argent,comme des flocons au bout
de longs fils d'araignées. Assurer la prise, un saut, et utiliser
le grappin floconneux pour se poser au milieu du tapis arachnéen.
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Il ne le croyait pas! il était sur un nuage!
un tapis volant sur un nuage, aucune peur, juste de la surprise,
l'immense bonheur d'avoir fait son chemin, d'avoir trouvé son rêve.
Il ne s'enfonçait pas, il pouvait se déplacer, d'abord doucement,
en se trainant, puis à genoux, et enfin, debout.
Il avança tranquillement, lui qui avait le vertige pour un rien,
il était confiant. D'un tour de canne, les flocons "velcro" se
rangèrent dans le pommeau. Un autre tournoiement
et le nuage s'éloigna du pic rocheux.
.
Le voyage pouvait commencer, une nouvelle vie,
dresseur de cerf volants, berger de nuages!
.
(à suivre ;o).