La ville de Berezniki s’effondre dans le vide
- 20 mai 2016
- Par Bonneau Yves
- Blog : Le blog d'Yves Bonneau
Affligée de gouffres artificiels de plusieurs dizaines de mètres de profondeur, cette cité de l’Oural, à plus de 1’000 km de Moscou, est parfois qualifiée de « portes de l’enfer ».
Focus sur l’héritage d’une exploitation minière irraisonnée avant de plonger dans le quotidien des habitants (dans l’article suivant).
Un tiers des réserves mondiales de potasse
Le premier coup d’œil est trompeur : cette ville de province, peuplée d’environ 150’000 habitants présente les mêmes enfilades d’immeubles, cheminées d’usine et attraits que beaucoup d’autres.
Mais ses sous-sols abritent une immense richesse : plus du tiers des réserves mondiales de potasse (Source : US Geological Survey), un minerai salin, rougeâtre, très convoité pour la fabrication d’engrais. Si bien que des dizaines de kilomètres de galeries parcourent la ville à 450 mètres de profondeur.
Le site a d’abord été exploité, à l’époque soviétique, par des prisonniers du Goulag dont le camp jouxtait la mine. Suite à l’effondrement de l’URSS, l’oligarque Dmitry Rybolovlev a pris le contrôle de l’entreprise dans des circonstances troubles, émaillées d’accusation de meurtre, de relations avec la mafia locale ou de pressions violentes sur les actionnaires. Aujourd’hui, la ville russe a entamé une course contre la montre car son sol s’effondre.

Les premiers signes inquiétants datent de 1986 lorsqu’une faille d’environ 80 mètres de long apparaît. Mais la situation s’aggrave à partir de 2006 quand une source d’eau douce se met à couler dans la mine… Les précautions ont été insuffisantes : « imaginez un morceau de sucre dans une tasse de thé » prévient Mikhail Permyakov, expert d’Uralkali, dans un entretien accordé au New York Times en 2012. Suite aux inondations, les parois et piliers qui soutiennent les galeries, très riches en sel, commencent à se dissoudre. Sentant le vent tourné, menacé d’amendes gigantesques pour remettre en état les infrastructures qu’il a laissées à l’abandon, le propriétaire milliardaire revend ses parts de l’entreprise à un proche du Kremlin, en quittant la Russie avec son pactole vers la Suisse.
Déjà cinq gouffres et des milliers de personnes évacuées
Son territoire est désormais criblé de cinq trous gigantesques et les craintes sont loin d’avoir disparu. Douze mille résidents ont déjà dû évacuer leurs logements devenus trop dangereux.
L’apparition du plus grand, en 2007, s’est accompagnée d’une explosion de méthane.

Depuis, la mine n° 1 est abandonnée et « le grand-père », comme le surnomment les habitants, n’a cessé de croître. Il mesure désormais 400 m de long pour 300 m de large et 230 m de profondeur indique le Siberian Times. L’équivalent d’un immeuble de 50 étages. En 2012, un ouvrier sécurisant le gouffre a même disparu dans le cratère. Le dernier gouffre apparu, en février 2015, a quadruplé de volume en trois mois seulement. Une école en construction, à proximité, a été déplacée.
Une situation unique au monde
Ce type d’accident reste rare. Parmi les plus spectaculaires, la destruction la mine de Holle (Congo), en 1977, lorsqu’une inondation s’accompagna de trois effondrements. Le plus important engendra un gouffre de 150 m de diamètre et 20 m de profondeur.
En 1980, en Louisiane, un sondage pétrolier dans le lac Peigneur atteignit les galeries de la mine située en sous-sol. En quelques heures, le lac se vida par ce trou, rapidement devenu gigantesque et surmonté d’un énorme tourbillon. Un cratère d’effondrement apparut au fond du lac asséché.
Mais Berzniki reste un cas unique par l’ampleur du phénomène, le fait que la ville soit directement construite au-dessus des mines et que l’entreprise n’ait rien fait pour résoudre ses problèmes avant 2010. Le risque est réel, permanent, pour sa population abandonnée à son dont le quotidien comme l’avenir sont menacés.

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