« Nul vainqueur ne croit au hasard » disait Nietzsche. Coachs de poker, sites de pronostics hippiques et oracles de consultants ne laissent guère penser le contraire. Il s’agit de réduire, voire d’éliminer la part de hasard, y compris si cela doit conduire à une affaire Karabatic... Parier, voilà le mot d’ordre ; les perdants sont simplement mauvais et ont naïvement cru que « la chance appartient à tout le monde ».
Ecrivant à une époque d’engouement pour le jeu – tout au moins dans les cours, Pascal invitait à miser rationnellement et résolument sur l'infini plutôt que laisser sa vie couler au gré du hasard du divertissement, cette manière de fuir un choix devant engager l’existence toute entière. Le refus de miser le tout pour le tout n’est-il pas simplement celui des petits joueurs ?
Jouer le tout pour le tout
Le parallèle avec les jeux d’argent est frappant. Dans les deux cas, il s’agit de miser beaucoup en espérant une récompense infinie.
- Concernant Dieu, l’Homme doit miser son existence sans hésitation dans l'espoir de gagner la vie éternelle.
- Le joueur, lui, est prêt à tout miser pour un riche destin incertain, et ce ne sont pas les sites de jeux multipliant mise en circulation d’un code promo Betclic, lancement d’une offre spéciale PokerStars et autres bonus qui le dissuaderaient.
Qu’il s’agisse du pari sur Dieu ou sur la richesse, 3 données sont essentielles :
- le montant de la mise
- les chances de gagner
- le montant du gain
L’idée semble ainsi très simple : il suffit de comparer le gain, par exemple la prochaine cagnotte du Loto, la probabilité de perdre (ou plutôt de gagner, ici 1 chance sur 14 millions) et le montant du gros lot. Ce dernier compensant largement la probabilité et la mise restant en comparaison minime (fut-elle de plusieurs milliers d’euros par an), il devrait logiquement résoudre le joueur à tenter sa chance.
Ainsi en va-t-il également au poker lorsqu’un bon joueur calcule sa cote. Il compare ses probabilités d’obtenir la meilleure main d’un côté, avec l’argent ou les jetons qu’il doit investir dans le pot par rapport à la grosseur totale de celui-ci de l’autre. Si la part de ce qu’il doit payer ou cote du pot est inférieure à ses chances de gagner ou cote d’amélioration, il doit en toute logique miser.
Cependant, le gain reste fini en dépit des espoirs des joueurs qui eux ne semblent pas connaître de limites. Dans le pari de Pascal, le gain si Dieu existe est infiniment supérieur à celui que peut escompter le mordu de paris sportifs si le PSG bat l’OM, ou même au prizepool énorme affiché fièrement par quelque salle de poker en ligne…
Les paradoxes du pari
Ne serait-ce pas un sophisme de casinotiers et de bookmakers d’un côté, de joueurs en pleine addiction de l’autre, que de soutenir le même raisonnement pour le Loto ou le poker ? Les premiers sont comblés que le joueur mise le plus possible, les seconds croient dur comme fer que « cette fois-ci sera la bonne » et que « qui ne tente rien n’a rien ».
Il faut aller plus loin en revenant à l’argument même de Pascal. Le penseur critique le divertissement, cette manière d’être de la foule fuyant le choix d’un futur infiniment meilleur. Pourtant :
- Il tombe sous le coup de sa critique en rejetant le présent au nom d’une hypothétique immortalité. Gagner une vie éternelle incertaine revient à renoncer aux certitudes d’une vie terrestre.
- Quand Pascal invite à fuir le présent pour se consacrer à la récompense future infinie, n’est-ce pas précisément ce que fait le gros joueur ? Les petits joueurs, disions-nous, en restent au divertissement…
- Qu’il s’agisse de fuir le choix ou de fuir le présent, dans les 2 cas l’Homme paraît condamné à fuir.
Parier revient ainsi à renoncer. Avec Pascal, le croyant doit renoncer au présent. Les plus gros joueurs ont eux renoncé à un travail, à une famille, à une vie stable. Le joueur dans l’addiction a renoncé à tout, sauf au jeu, mais précisément : il mise sur l’avenir, et non pas sur son détestable présent.
Ce n’est pas tout : la disproportion entre la mise et l’espoir ne conduit-elle pas dans un cas comme dans l’autre au déni et à l’aveuglement face aux pertes qui elles sont bien réelles ?
C’est ainsi qu’appliqué aux jeux d’argent, le pari de Pascal sur la vie selon l’existence de Dieu devient un pari sur une vie conforme aux exigences du diable. Cela ne doit donc rien au hasard – si l’on peut dire – si l’Eglise déconseille les jeux d’argent… Croire en ses chances peut vite devenir le choix entre la bourse ou la vie, surtout chez les joueurs qui ont déjà remporté une somme rondelette et qui espèrent réitérer l’exploit.