Le poker fascine et séduit de plus en plus d’internautes. S’il est possible de jouer « pour du beurre », la plupart des joueurs optent pour l’adrénaline et misent de l’argent réel. Or dans un contexte de crise de la dette, toutes les rentrées fiscales sont bonnes à prendre et taxer cette activité sulfureuse qu’est le poker a fait consensus.
La taxation des opérateurs et des joueurs professionnels n’est pas le seul aspect de la nouvelle régulation.
Avec la création de l’ARJEL (Autorité de Régulation des Jeux En Ligne), autorité administrative indépendante créée en 2010 pour asseoir les objectifs de l’Etat en matière de politique des jeux, ce sont les problèmes d’addiction qui ont été placés au cœur des débats. Encadrement des publicités et des stratégies marketing, mise en place d’un service d’aide aux joueurs, etc. : des mesures concrètes ont été prises pour protéger les joueurs, mais elles restent insuffisantes.
De l’engouement…
L’ARJEL estime la fréquentation des sites de jeux d’argent à environ 550.000 visiteurs par semaine, dont environ 300.000 pour le poker. ce dernier jeu est devenu monnaie courante, notamment chez les jeunes, comme en témoigne la chanson de Lady Gaga « Poker Face ». Pourquoi un tel engouement ?
La visibilité du poker s’est largement accrue pour le grand public ces dernières années. En effet, la régulation du jeu d’argent en ligne a permis aux opérateurs d’accéder aux mass-médias et ceux-ci n’ont pas lésiné sur les moyens pour que leurs campagnes soient les plus efficaces possibles. Ainsi, ils parrainent fréquemment des stars (comme Patrick Bruel ou Tony Parker) pour tirer profit de leur image positive auprès du public.
Par ailleurs, les salles de poker ont su mettre en place des offres marketing attractives. Bonus d’inscription, bonus parrainage, bonus VIP… : tout le monde en profite, nouveaux joueurs comme joueurs réguliers. Les nouveaux inscrits sont ainsi désireux de profiter par exemple de quelque bonus PMU poker attractif dont ils auront entendu parler.
Enfin, le fait qu’un français atteingne la table de finale des WSOP (World Series Of Poker, équivalent poker de la coupe du monde de football ) a sûrement joué un rôle dans l’engouement actuel pour le poker. Les WSOP sont d’ailleurs de plus en plus médiatisés parce que des français comme Gaëlle Baumann réalisent de belles performances dans le milieu des joueurs de poker professionnels.
… A la régulation
Pour contrôler ce marché en croissance, la France s’est dotée d’une Autorité de Régulation des Jeux En Ligne en 2010. Celle-ci donne un agrément aux sites et en surveille l'évolution et l'économie. Instrument de lutte contre la fraude et le blanchiment d’argent, elle permet non seulement de contrôler les revenus des opérateurs et de prélever les taxes en vigueur, mais aussi de protéger les joueurs et de lutter contre l’addiction.
Initialement, les enjeux de la régulation sont de 3 ordres :
- Dégager des recettes fiscales : si les gains ne sont pas imposables en France pour autant qu’ils ne constituent pas la principale source de revenus du joueur, en revanche les opérateurs sont lourdement taxés, en particulier sur les mises des joueurs.
- Prévenir et lutter contre l’addiction : le principal danger de ces jeux est la dépendance et l’excès qui l’accompagne. Auparavant abordés sous l’angle de la morale, ces comportements sont aujourd’hui considérés comme relevant de la santé des personnes, au même titre que la dépendance à la cigarette ou aux drogues.
- Maintenir l’ordre public : l’article 1 de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 signale d’emblée que « les jeux d'argent et de hasard ne sont ni un commerce ordinaire, ni un service ordinaire ». Mal vus dès l’Antiquité, ils sont souvent perçus comme l’illustration typique de la folie des hommes, comme dans L’Argent de Zola.
Une fiscalité pesante pour les opérateurs
Pour les paris sportifs et le turf, la taxation des opérateurs s’applique de la manière suivante :
- 9,3 % des mises pour les paris sportifs, dont une partie reversée au Centre National pour le Développement Sportif
- 14,4 % des mises pour le turf, une partie étant redistribuée à la filière hippique
Et pour le poker :
- 2 % des mises des joueurs en cash game et des droits d'entrée aux tournois ;
- 1€ par donne pour les parties en cash game
Avec de telles exigences, le secteur à l’image fastueuse l’est beaucoup moins que l’on ne pourrait le croire : seuls les plus grands parviennent à tirer leur épingle du jeu, tandis que les autres n’arrivent tout simplement pas à être rentables.
On se doutera que le caractère écrasant cette fiscalité ne suscitera d’indignation en dehors du cercle des opérateurs. Le gouvernement quant à lui n’est pas disposé à faire un geste, en période de difficultés budgétaires.
Pourtant, en rendant les salles de poker françaises encore trop peu attractives en dépit de leurs bonus, elle a des conséquences néfastes plus générales. Certains joueurs chevronnés sont tentés par d’autres salles, sans licence en France, et localisées dans les paradis fiscaux. Du coup, ces joueurs se trouvent bien moins protégés face aux risques inhérents aux jeux d’argent.
Un encadrement souple des publicités…
Le taux de retour, c’est-à-dire le rapport entre les mises versées aux joueurs et celles engagées par les joueurs, n'est pas plafonné pour le poker. Par contre, les bonus le sont par la loi à 500 € pour le poker.
Mais dans l’ensemble, et c’est l’un des paradoxes de la régulation, l’encadrement des publicités reste relativement lâche. Si l'ARJEL travaille avec le CSA et a effectué 15 signalements au parquet en 2011 pour publicité illégale en faveur des jeux d'argent et de hasard en ligne, les opérateurs de poker ont le droit de faire miroiter des bonus importantspour attirer des joueurs fragiles ou non. Les spots publicitaires sont diffusés sur les grandes chaînes télévisées et ces bonus affichés en grands caractères dorés sur le web. Et en période de crise, qui ne voudrait pas obtenir 500€ facilement ?
En fait, le problème est que les sites précisent rarement de manière claire que ces sommes ne se débloqueront qu’au fur et à mesure que les joueurs accumuleront des points, et qu’à moins d’être très bons et d’avoir beaucoup de chance, ils n’obtiendront qu’une fraction de ces bonus. Ces systèmes incitent les joueurs à jouer plus que de raison, et les risques d’addiction, bien réels eux, ne sont mentionnés qu’en petits caractères.
De même, à l’occasion des tournois les salles promettent des gains particulièrement élevés. Si ces tournois sont lucratifs pour les gagnants, les rooms se gardent bien de dire aux débutants que les qualifications sont ardues et qu’ils feraient bien mieux d’organiser leurs propres tournois, à l’instar des tournois privés Winamax.
Ces diverses promesses d’argent facile ne peuvent que séduire les joueurs. Les sites proposant des jeux d’argent aux plus fragiles se réfugient derrière la responsabilité individuelle et rétorquent qu’ils offrent une activité risquée comme il en existe bien d’autres… Bien qu’ils soient en première ligne, ce ne sont donc pas eux mais la seule l’intervention du législateur qui peut permettre de prémunir les personnes des risques inhérents à ces jeux. On s’étonnera pourtant de sa souplesse actuelle sur la question de la publicité, alors même que le ton quasi-moralisateur des textes de lois aurait pu laisser présager une application très sévère comme avec les marques de cigarettes.
… et surtout des joueurs
Les comportements des joueurs français font l’objet de plusieurs études de la part de l’ARJEL. Il en ressort que ceux-ci se tournent de plus en plus vers les modes de jeux qui promettent des gains élevés, comme les tournois de poker par exemple. En espérant gagner, certains engagent des mises trop importantes par rapport à leurs revenus et tombent dans la spirale du surendettement en voulant se refaire. Le vice du crédit excessif s’ajoute alors à celui du jeu et l’alimente, puisque le poker, comme la cigarette, peut être addictif.
Avec la régulation notamment, les joueurs de poker amateurs sont censés être accompagnés… Des "coachs" ou encore les écoles de poker se sont lancés dans la formation au jeu. En outre, un numéro a été mis en place pour accompagner les joueurs : 09 74 75 13 13, Joueur Info service. Ce service les informe par téléphone, gratuitement et confidentiellement. Toutefois, ce dispositif anti-addiction reste conditionné par la prise de conscience et la décision d’appeler des personnes concernées.
Le poker peut en effet vite devenir source de ruine et de maladie pour les personnes fragiles, qui perdent de vue la réalité du jeu (le poker reste un jeu de hasard), sans parler de ce que les sommes mises en jeu ou promises par les opérateurs peuvent avoir de grisant.
Les chiffres peuvent illustrer ce manque de prise en charge. En juillet 2012, 37.000 personnes en France se sont fait interdire de jeu. Ce chiffre est faible si l’on compare à la Suisse comme le fait ce rapport du Sénat. En effet, à la date de ce document 0.04% de Français l'étaient, contre 0.19% de Suisses. Cela s’explique en fait par un meilleur système de détection et accompagnement des joueurs addicts en Suisse. Autrement dit, ces chiffres sont en-deçà de la réalité. En France, malgré la régulation, bien des personnes jouent leur argent au poker en ligne alors qu’elles devraient s’abstenir.
Finalement, la régulation a eu un effet paradoxal : d’un côté elle permet à l’Etat de contrôler les activités d’opérateurs et d’imposer des dispositifs de santé publique. De l’autre, elle permet aux opérateurs de diffuser de la publicité sur le jeu d’argent de manière légale, notamment sur nos écrans. Faudrait-il interdire la promotion du jeu d’argent comme pour les cigarettes ?
