Amazon et la fin de la DRM : liberté ou précarité pour les auteurs ?
Amazon a annoncé une évolution majeure pour les auteurs et lecteurs de sa plateforme Kindle : à partir de janvier 2026, les ebooks sans gestion des droits numériques (DRM) pourront être téléchargés en formats EPUB et PDF, permettant une plus grande flexibilité d’utilisation.
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Si la firme de Jeff Bezos présente cette décision comme un pas en avant pour l'accessibilité des livres numériques, il convient de se poser une question cruciale : qui paie réellement le prix de cette ouverture ? Une liberté avant tout profitable à Amazon
La grande promesse d’Amazon ? Plus de liberté pour les lecteurs. Moins de restrictions, une accessibilité accrue, la possibilité de lire des livres achetés sur n’importe quel appareil, et une interopérabilité accrue avec d'autres plateformes. Toutefois, cette vision édulcorée du changement occulte une réalité qui mérite d’être soulignée : les auteurs sont les grands perdants de cette mesure.
Amazon conserve en effet tout son pouvoir : celui de la plateforme, des commissions et de la visibilité. Les auteurs, quant à eux, se retrouvent seuls à porter le fardeau de cette “libération”, sans accompagnement ni compensation pour les risques liés à la suppression de la DRM.
Il n’est pas sans ironie que la décision, présentée comme un progrès pour les lecteurs, repose en réalité sur une réflexion économique qui défavorise les créateurs. Amazon prend de l’argent sur chaque vente, conserve son écosystème, mais décharge les auteurs de toute protection technique. Comme le souligne une critique acerbe des acteurs du secteur : "C'est un cadeau empoisonné."
La DRM : un bouc émissaire facile mais nécessaire
La gestion des droits numériques (DRM), souvent décriée comme une contrainte pour les utilisateurs, est présentée par Amazon comme une barrière obsolète à la “liberté numérique”. Certes, la DRM n’empêche pas complètement le piratage, mais elle reste un outil fondamental pour les auteurs et les éditeurs, surtout les plus petits, pour protéger leurs œuvres et assurer un contrôle sur leur diffusion.
Faut-il rappeler que ce sont les auteurs indépendants qui sont les premières victimes du piratage ? La plupart d’entre eux n’ont ni les moyens juridiques ni les équipes nécessaires pour défendre leurs œuvres contre la reproduction illégale. La suppression de la DRM représente un abandon de cette protection minimale, un cadeau empoisonné pour ceux qui peinent déjà à vivre de leur art. Comme le rappelle un écrivain indépendant : "C’est comme si on nous donnait une voiture sans freins et qu’on nous disait que c’est pour notre bien."
EPUB et PDF : une fausse neutralité
L’introduction des formats EPUB et PDF pour les ebooks vendus sans DRM est censée démocratiser l'accès à la lecture, mais elle soulève une autre question épineuse : qui bénéficie réellement de cette “ouverture” ?
Permettre la diffusion en formats PDF et EPUB, certes plus accessibles, signifie aussi ouvrir la porte à une très grande facilité de copie. Ces formats sont facilement partagés, modifiés et dupliqués, ce qui pose une question de traçabilité et de rémunération pour l’auteur. Les lecteurs peuvent tout aussi bien acheter un livre, le partager à des centaines de personnes et ainsi le rendre invisible à l’auteur, dont la rémunération disparaît.
Amazon déclare que cette ouverture est faite dans l’intérêt des consommateurs, mais la réalité est bien différente. Les auteurs, déjà vulnérables, risquent de devenir des victimes invisibles dans un système qui favorise la facilité d'accès au détriment de la reconnaissance économique.
Aucune concertation, aucun garde-fou
Ce changement a été décidé de manière unilatérale par Amazon, sans consultation avec les auteurs, les éditeurs, ou même les organisations représentant les créateurs. Aucun garde-fou économique n’a été mis en place pour protéger les revenus des auteurs. Une telle décision soulève donc une autre question : pourquoi n’y a-t-il eu aucune forme de concertation collective ?
Les auteurs n’ont pas été impliqués dans cette démarche, et il n’existe aucun modèle alternatif qui protégerait les créateurs tout en élargissant l’accès à leurs œuvres. Amazon, à l’image de nombreuses autres grandes plateformes, semble privilégier son modèle économique sans prendre en compte la réalité du terrain pour ceux qui produisent les contenus.
Le véritable débat : protection ou précarité ?
Il ne s’agit pas de s’opposer à la liberté d’accès des lecteurs, mais de souligner que cette soi-disant liberté repose sur la précarité des auteurs. Pourquoi la démocratisation de la lecture devrait-elle se faire au détriment de ceux qui la produisent ? Pourquoi la multiplication des formats ne s’accompagne-t-elle pas de mesures qui garantissent aux auteurs une juste rémunération et une protection contre le piratage ?
Il est crucial d’ouvrir ce débat. À l’heure où les géants du numérique redéfinissent les règles du jeu, les créateurs, eux, doivent trouver une voix plus forte pour défendre leurs droits. Libérer la lecture, oui, mais pas au prix de la disparition des auteurs.
Conclusion : Amazon libère-t-il vraiment la lecture ?
À l’heure actuelle, il semble que la réponse soit non. Amazon libère l’accès à la lecture, mais au prix de l’effacement des auteurs, ceux-là même qui rendent ce contenu disponible. En ne proposant pas de modèle hybride plus équitable, Amazon impose une solution unilatérale qui, loin d’être un progrès, s’apparente davantage à un transfert de risques et de responsabilités.
Le vrai progrès ne consiste pas à supprimer les DRM sans réfléchir aux conséquences économiques pour les créateurs. Le progrès réside dans la recherche de solutions équilibrées, dans la protection des droits des auteurs tout en permettant un accès élargi et équitable aux œuvres.
Les créateurs doivent être au cœur de ce modèle, et non sacrifiés sur l’autel de la “liberté numérique”.
Débat ouvert. Amazon libère-t-il la lecture, ou se décharge-t-il un peu plus sur ceux qui la font vivre ?
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