Il suffit d’allumer la radio : la droite et la gauche, cela n’existe plus : ce clivage, tout comme la lutte des classes (qui lui est ontiquement liée), n’a plus de sens. Mais la lutte pour l’émancipation ? Une politique, nationale et internationale, pour les salariés, et non pour les actionnaires ? Une politique qui donne la priorité aux intérêts des salariés, fut-ce, soyons clairs, au détriment des intérêts des actionnaires ? Une politique pour la réduction rapide et sensible, par des moyens contraignants, des inégalités, de la misère et du chômage ? Donc une politique en faveur d’une large majorité des plus pauvres ou les moins riches, fut-ce au détriment des nantis, et du 1%, des riches et super riches ? Est-ce que ça peut exister ?
L’émancipation du travail ? Le fait est qu’il en existe des partisans.
On nous dit même (les sondages) que 70% des français sont hostiles à la loi qui détruit le droit du travail (loi « El Kohmri »). Sans doute une proportion importante des citoyens désire une politique d’émancipation du travail.
Mais c’est un fait, un autre fait, que cet ensemble de citoyens ne se connaît pas, n’est pas constitué ni rassemblé. C’est qu’on résume en disant : « la gauche est à reconstruire ».
Jadis, dans les années 1945, 1975, la gauche, c’était le PCF, inféodé (non, le mot n’est pas trop fort) à Moscou (et longtemps à Staline), et le PS colonialiste, affairiste et corrompu de Guy Mollet et Gaston Deferre. Puis la gauche, ça a été l’illusion Mitterrandienne, les ministres PS et PCF privatisant à tour de bras. De cette imposture, c’est Lionel Jospin qui a payé la note (il n’était pas le plus coupable) en 2002.
Dès 2005, le « peuple de gauche », partiellement débarrassé d’un PCF comme d’un PS largement discrédités, est un bateau ivre :
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs,
Des peaux-rouges criards les avaient pris pour cible,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleur
(…)
Les fleuves m’ont laissé descendre où je voulais !
Mais la politique, comme la nature, a horreur du vide. En l’absence d’un mouvement constituant la gauche, l’extrême droite démagogue a prétendu, non sans succès, occuper le terrain populaire.
La victoire du NON au référendum de 2005 est l’un de ces évènements qui, de manière frappante échappe aux contrôles des classes dominantes, bien avant les mouvements d’indignés, la chute de Ben Ali, Syriza, l’élection de Jérémy Corbyn à la tête du Labour, les victoires municipales espagnoles, le succès de Bernie Sanders.
En même temps cette victoire (annulée dans la honte par le parlement un peu plus tard) est rendue ambiguë par l’immixtion du Front National.
Au second tour, en 2012, faute de pouvoir voter à gauche, une majorité de citoyens a cru qu’un Hollande serait « moins pire » qu’un Sarkozy.
Quatre ans plus tard, les yeux se dessillent. Les alternances vont si vite que les illusions manquent de temps pour renaître ! En 2016, la gauche est presque invisible, médiatiquement, mais elle n’a jamais été aussi libre, en ce sens que les illusions n’ont jamais été aussi faibles.
Ce qui s’est constitué en 2012 autour du programme « l’humain d’abord », du Front de Gauche et de Jean-Luc Mélenchon, a pu renaître avec un mouvement plus clair et plus fort : La France Insoumise.
Devant nous se présentent les élections, législatives et présidentielles de 2017. Ceux d’entre nous qui bornent leurs ambitions à un « bon score » (entre 12 et 15%, et un groupe de députés à l’AN) font un mauvais calcul. La nature et la vie ont leur logique. Viser un résultat raisonnable, ici, c’est prendre le risque d’un échec retentissant.
Il n’y aura pas de succès sans affrontement avec l’imposture FN. Il faut ramener à gauche ceux que l’absence de perspective sociale et politique a conduit au FN, et ceux que la croyance à TINA pousse vers le PS ou vers la droite.
Il faut viser la victoire et la reconstruction de la gauche, non seulement pour les élections de l’an prochain, mais pour les dix prochaines années, terriblement décisives quant à l’avenir environnemental, social et politique.
Le problème central reste celui-ci : comment constituer le mouvement populaire, conscient de lui-même.
Ce problème présente plusieurs aspects, dont le plus connu relève des partis, de leur constitution, de leur fonctionnement, des éventuelles scissions.
Par exemple, on peut se demander si Bernie Sanders et ses partisans ne devraient pas constituer un nouveau parti aux USA plutôt que de continuer à faire allégeance au Parti Démocrate. On dit que les députés blairistes du Labour songent à créer un parti pour se débarrasser de Corbyn, lui feront-ils ce cadeau ? La gauche de Syriza s’est séparée du courant qui a accepté le reniement par Tsipras du OXI populaire. En Espagne, Podemos a permis tout un questionnement sur l’importance relative des dimensions « horizontales » et « verticales » dans un parti.
L’importance et les défauts des structures des partis sont bien connus. De quoi s’agit-il ? D’action collective. Homogénéité du discours, puissance matérielle et militante sont les qualités que l’on peut attendre des partis.
Faisons référence à l’histoire et représentons-nous le parti communiste français en 1950. Avec plusieurs centaines de milliers de militants actifs et plusieurs millions de sympathisants, de très importants relais syndicaux et associatifs (organisations de jeunes, organisations culturelles et sportives), une majorité des meilleurs intellectuels de l’époque comme « compagnons de route », il est l’image idéale du PARTI dans sa splendeur. Il est au faîte de sa puissance électorale. Entre 1945 et 1950 il obtient aux élections des scores entre 25 et 30%. Mais ce parti révolutionnaire est bien incapable d’une révolution et vingt ans plus tard, le plus grand mouvement social français de tous les temps, la Grande Grève de 1968 le révèle étranger aux masses dont il se réclame. Ensuite commence son déclin, que Mitterrand utilisera et achèvera.
On reproche usuellement aux partis d’être aussi étrangers à la liberté de discussion qu’une armée en guerre. On y adhère sur la base d’un accord de principe général, on paie sa cotisation, on colle les affiches, ensuite on obéit aux consignes de la direction. Les débats d’orientation internes sont illusoires, excepté au sein de l’organisme de direction le plus réduit. L’élection des dirigeants, au fur et à mesure qu’on monte dans la hiérarchie, se ramène à une cooptation par le groupe dirigeant. Aucun désaccord notable n’a la moindre de chance de se faire entendre, s’il émane de la base, ou même d’un niveau de cadre moyen. Celle ou celui qui ne digérera pas le désaccord partira ou sera exclu.
Ces critiques ne sont guère contestables, elles concernent tous les partis politiques de toutes opinions, à toutes les époques, sauf peut-être quelques groupuscules ayant renoncé à toute efficacité. Faut-il accuser « les egos », la nature humaine et le « goût du pouvoir» ? Sans doute mais pour ma part j’observe qu’en effet … un parti a quelque chose d’une armée en guerre : le reste en découle par nécessité. Si c’est vrai, il est parfaitement vain de crier haro sur les dirigeants des partis dont on approuve les orientations générales… et dont on n’aime pas le comportement.
En ce qui me concerne, j’ai adhéré au Parti de Gauche. Les partis sont utiles, et ils sont imparfaits
Mais en 2016, les partis sont plus qu’imparfaits. De par leur fonctionnement, à toutes les époques, tous les partis ont toujours été en décalage avec le peuple (voir le cas exemplaire du PCF en 1968), mais aujourd’hui, on observe un assez large rejet des partis. Il ne s’agit pas seulement de l’agonie des illusions envers, pour ce qui nous concerne, le PCF ou le PS, il s’agit d’une sorte de « généralisation » qu’opère le peuple : « les partis se foutent de notre gueule. Ils se font élire, font leurs petites combines et voilà tout ».
Symptôme de cet état de fait, la hausse tendancielle de l’abstention aux élections.
Une stratégie de reconstruction d’une gauche, d’accès au pouvoir par les voies démocratiques, donc électorales, qui serait seulement basée sur le renforcement d’un parti serait probablement illusoire. On ne mobilise pas les gens de cette manière, en 2016.
C’est ce qu’a compris Jean-Luc Mélenchon en présentant sa candidature en dehors des partis et en nommant le mouvement qui le soutient « La France Insoumise ».
En août 2016, plus de cent vingt mille citoyens (dont un groupe de plus de mille syndicalistes) ont déclaré approuver et soutenir la candidature de JLM. Plus de mille « cercles d’appui » ont été constitué dans les villes et dans les quartiers. La frange militante de « La France Insoumise » est donc constituée d’environ dix mille hommes et femmes dont certainement le noyau central est constitué par les militants du PG, rejoints par un nombre non négligeable de militants du PCF et de Ensemble !, augmenté d’un certain nombre de gens qui ne sont pas membres d’un parti (mais la plupart l’ont été dans un passé plus ou moins récent).
Ce mouvement mérite d’être observé et analysé. Par plus d’un aspect, il dépasse les défauts du parti. L’adhésion formelle n’existe pas, ni la cotisation, ni les statuts : on signe un texte précis, pour un objectif précis, on contribue financièrement comme on le souhaite. Et surtout, on peut participer réellement au débat sur le programme du candidat, par de courtes contributions (sur le site jlm2017.fr) qui sont recueillies par une équipe, débattues et rassemblées publiquement en plusieurs étapes. Le tour de France estival de la caravane La France Insoumise cette été, à la rencontre des français, est une belle innovation.
Cela ne constitue pas une solution miracle à la difficulté du débat « démocratique ». Aucun mouvement des « cercles d’appui » ne va déterminer par exemple la meilleure stratégie d’un gouvernement de progrès aux prises avec la bureaucratie de Bruxelles, ou ce que doit être la position géopolitique du futur gouvernement envers l’Iran.... Comme dans un parti, c’est le candidat et l’équipe dirigeante qui, aujourd’hui, et surtout demain s’ils parviennent au pouvoir, déterminent et détermineront cette stratégie. La différence c’est qu’il n’y a pas d’ambiguïté : il ne s’agit aujourd’hui que de soutenir une candidature, telle qu’elle est.
« La France Insoumise » est un succès dans son principe et dans sa réalisation. Je crois toutefois qu’une telle structure ne suffise pas non plus à faire au peuple la place qu’il est nécessaire qu’il prenne.
S’il est un succès politique extrêmement instructif c’est celui de la gauche espagnole aux dernières élections municipales.
En 2015, Ada Colau, à Barcelone, et Manuela Carmela à Madrid, ont été élues maires de ces deux villes, les plus importantes d’Espagne, sans être passées par une carrière politique traditionnelle au sein d’un des deux grands partis espagnols. Dans les deux cas (de même que dans d’autres villes, Valence, Saragosse …) elles ont été portées par des campagnes citoyennes en dehors des partis politiques classiques. Ces campagnes étaient nourries de toutes sortes de liens tissés avec la population à propos du logement, du crédit hypothécaire, etc. Elles étaient à visées écologique, sociale, contre la corruption et les dépenses inutiles.
Pour un français, cela peut évoquer la constitution du 24 juin 1793, basant la souveraineté du peuple français sur les Assemblées Primaires de canton. Cette constitution n’a jamais été vraiment appliquée, et la simple évocation des « Assemblées Primaires » apparaît en plusieurs moments comme une menace pour ceux qui craignent que l’exercice du pouvoir par le peuple mène à la division et à l’anarchie. Nous n’en sommes pas là.
Cependant, il existe actuellement un certain mouvement vers des Assemblées Citoyennes. Dans telle ou telle ville, dans tel ou tel quartier, des citoyens se réunissent pour parler de leurs affaires, locales, urbaines, nationales, citoyennes. Ils organisent des débats, des conférences et des actions. Le phénomène « NUIT DEBOUT » est apparenté, même si son profil a été quelque peu déformé par une médiatisation enivrante et excessive. Quelques Assemblées Citoyennes sont nées d’une représentation de « Merci Patron ».
L’Assemblée Citoyenne est autre chose que la réunion de militants d’un parti ou des « cercles d’appui » de La France Insoumise. Dans ma ville, le cercle d’appui réunit cinq militants et l’Assemblée Citoyenne rassemble entre 70 et 160 citoyennes et citoyens donc entre dix et vingt fois plus.
Nous mettons en place un site, qui, entre autres choses, hébergera un « Cahier de Doléances » où, spontanément, ceux qui le désireront noteront ce qui leur semble un problème.
L’Assemblée Citoyenne exprime à la fois le haut niveau politique des citoyens, et la méfiance vis-à-vis des partis. Elle n’a pas de « programme », sa seule base c’est la volonté du peuple de gouverner ses affaires. Les partis s’en méfient nécessairement : elle n’est pas contrôlable.
Ne pas y investir toutes nos forces, ce serait passer à côté de l’essentiel.
Sur le terrain des partis, sur le terrain matériel, comme pour nous opposer à la propagande de l’oligarchie, nous ne sommes pas les plus forts. Sans le peuple, nous n’y arriverons pas.
C’est l’Assemblée Citoyenne, là où elle existe et où elle est représentative, qui doit choisir et faire gagner son candidat aux élections législatives. Mais pour un parti, un candidat, ce sont des voix, des subsides et de l’importance. Qu’il y ait une contradiction entre l’intérêt du parti (je parle ici d’un parti supposé dévoué à l’émancipation du travail) et l’intérêt du peuple plus immédiatement représenté par l’Assemblée Citoyenne, c’est au moins une possibilité.
L’élection présidentielle est plus simple : tout personne de bon sens ayant des opinions écologistes et sociales votera JLM. Le vote « utile » joue maintenant en sa faveur.
Nos objectifs, c'est-à-dire le recul du FN, la victoire au second tour sur le candidat de la droite, la constitution d’une majorité de gauche à l’Assemblée Nationale et plus encore la lutte féroce qui ne manquera pas de s’engager lorsque nous voudrons atteindre nos objectifs écologiques et sociaux, tout ceci exige absolument une activité politique populaire intense, telle que peuvent la réaliser les Assemblées Citoyennes.