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Billet de blog 28 février 2016

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Sur la proposition par Paul Jorion d'une candidature Piketty en 2017

Parmi les héros de la « primaire de la gauche » : Cohn-Bendit, Yannick Jadot, Benoit Hamon … et maintenant Martine Aubry, Thomas Piketty fait figure de jeune homme, égaré dans un panier de vieux crabes exhalant des odeurs fortes.

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Mais le soutien qu'apporte Paul Jorion à l'idée, plus précise, d'une candidature Piketty à la présidentielle, voilà une idée de jeune homme : fraiche, originale, brillante, et parfaitement déconnectée du monde réel.

Un argument de Paul nous révèle l'origine de son idée : si Piketty est candidat, nous dit-il, cela fera la première page de journaux aux USA, en Chine, en Inde, et ailleurs, tandis que si, par exemple, Yannick Jadot se présente, cela n'aura aucun écho international. Combien c'est vrai ! Mais chacun se dit in petto qu'il y a là un malentendu : les Chinois ne votent pas en France, et les électeurs français ne lisent pas le chinois...

Oui, dans le monde des économistes, Piketty, à juste titre, est une star. Mais, remarque très terre-à-terre, dans le baromètre des personnalités politiques, il n'apparait pas (de même d'ailleurs que Pierre Laurent). Observation vulgaire, à la question « Souhaitez-vous que tel homme politique joue, dans l'avenir, un rôle plus important », Jean-Luc Mélenchon obtient régulièrement plus de 30%, plus que François Hollande (26%), que Marine Le Pen (24%) et que Cécile Duflot (21%).

Naturellement, il est insensé de parler de candidature si l'on ne précise pas ce que l'on vise, ce que l'on espère. Beaucoup sont d'accord pour dire : « On ne veut pas avoir un second tour de la présidentielle avec Le Pen et Juppé. ». Déjà, là, nous nous séparons. Je suis de ceux qui disent : je ne veux pas d'un second tour avec deux candidats parmi ces trois : Hollande, Le Pen et Juppé (à Hollande on peut substituer Valls, Macron, par exemple, et à Juppé, Sarkozy, sans modifier le sens du propos).

Il faut aller plus loin. Si je ne veux ni de Hollande, ni de Juppé, ni de Le Pen, c'est au profit d'un candidat qui pourra mettre en œuvre une politique de progrès social, une politique qui modifie la répartition de la plus-value dans le sens d'une plus grande part pour le travail, d'une moins grande part pour la rente. Et s'il est facile de dire, comme un syndicat : baisse de l'âge de la retraite, baisse de la durée hebdomadaire légale du travail, hausse des salaires et des minimas sociaux, réorientation de l'agriculture et de l'industrie dans un sens écologique, il est moins facile d'en tirer quelques conclusions : nécessairement créer de la monnaie, investir, mettre le système bancaire au service de l'intérêt général, desserrer l'étau de la concurrence internationale en pratiquant un certain protectionnisme, pour ne citer que quelques tendances.

Enfin, tout le monde sait que la moindre de ces décisions est interdite par les traités européens, si bien que l'aimable revendication culturelle d'appartenance au monde européen, est ici de peu de valeur. Aucune politique progressiste ne peut être mise en œuvre sans un affrontement sévère avec les instances européennes. Zoï Konstantopoulou le sait et Varoufakis ne dit pas le contraire. L'expérience Tsipras est là pour nous faire garder en mémoire ce qui arrive à ceux qui ont mal défini les limites de l'affrontement. En clair : on ne rompra pas forcément, mais il faut être prêt (préparé) à rompre

Thomas Piketty est directeur d'études à l’École des hautes études en sciences sociales et son dernier livre a connu un succès planétaire, que l'ampleur et la rigueur du travail justifie complètement. Ce qu'il présente comme son inégalité fondamentale  : r > g (où r est la rentabilité du capital, et g la croissance), implique dans les conditions présentes l'explosion inéluctable des inégalités, qui ne peuvent à court terme que déchirer la démocratie. À ce problème il propose des solutions comme : taxer le patrimoine de manière à ce que, justement, on finisse par avoir r < g.

Piketty a été reçu dans le monde entier (le monde des économistes) comme un accusateur du capitalisme, mais il a pris soin de déclarer avec fermeté : « Je suis vacciné à vie contre les discours anticapitalistes convenus et paresseux, qui semblent parfois ignorer cet échec historique fondamental, et qui trop souvent refusent de se donner les moyens intellectuels de le dépasser »(p.62). Chacun peut d'ailleurs envisager que Piketty soit vacciné à vie contre le discours anticapitaliste, fut-il non convenu, ni paresseux, aurait-il tiré, ce disours, dès le début des années 1930 le bilan du stalinisme. On ne sait pas bien les leçons que Thomas Piketty tire du bilan du capitalisme, qui a mené toute l'humanité jusqu'au bord extrême de sa destruction.

Le 25 février, à Lille, il a répété : « Nous ne sommes pas des marxistes ni des gauchistes ! ». Tant d'insistance mérite qu'on le croie. Il n'est rien de tel, même de loin, et si les oligarques le détestent pour avoir démontré ce qu'il a démontré, on comprend que cela le désole. Du reste, il a tenté de conseiller François Hollande, ce qui suggère qu'il partage les buts du chef de l'état.

C'est pourquoi, si je ne suis pas favorable à une candidature Piketty, ce n'est pas simplement parce que c'est une idée absurde, du fait que Piketty n'est en rien un homme politique, ne comprend rien au monde politique (pas plus que Paul Jorion, et en un sens, c'est tout à leur honneur à tous les deux), est inconnu du public, et si je ne sais à peu près rien de ses conceptions politiques. Ce n'est pas non plus parce que cette idée de primaire elle-même n'a aucun sens, car François Hollande ne sera pas le premier chef d'Etat de la Vème république à ne pas se représenter et que, se représentant, il ne sera pas le premier chef d'Etat sortant à accepter de passer par une primaire, sans compter que personne, à gauche du PS ne pourra envisager de se soumettre à un vainqueur de la primaire qui serait François Hollande ou l'un des siens. Imaginons une seconde, d'ailleurs, Thomas Piketty affronté à François Hollande dans un débat ! Est-ce que le vieux renard manipulateur ne ferait pas qu'une bouchée de l'intellectuel hors de son domaine ?

Non, mes raisons sont ailleurs. Même en rêve, additionner les 11% de Mélenchon aux 12% de François Hollande, c'est bien plus impossible qu'ajouter, comme disaient nos instituteurs, des choux et des carottes, qui après tout sont des légumes. Le candidat unique de la gauche, ou de la gauche non marxiste-anticapitaliste-paresseuse-convenue, est un abstract nonsense, ce genre d'arithmétique n'a aucune chance de le mener au second tour. Il y a ces gens qui sont, ou ont été au pouvoir dans les quatre dernières années : Hollande, Valls, Macron, Montebourg, Hamon, Duflot... et on a vu le résultat : plus de chomage, plus de dette, plus de désindustrialisation, plus de pesticides, régression sociale sur toute la ligne. À gauche, qui en redemande ?

Si nous voulons éviter un second tour de cauchemar, il faut pour le moment laisser un peu tomber les pourcentages. Je vis dans le monde où il y a les travailleurs de Vallourec, qu'à Lille, Mélenchon visitait, il y a ceux de Goodyear, il y a des paysans et des éleveurs à bout, il y a un actif sur trois qui n'est pas réellement actif (rapport de la DARES), et il y a un courant, jlm2017, qui veut constituer cela en une marée citoyenne capable de changer la donne.

Dans ce courant, nous faisons modestement ce qui est recommandé par l'histoire (par exemple l'histoire du parti communiste français au début des années trente) : nous allons aux masses. Nous avons reçu soixante dix mille soutiens en deux semaines, et créé quatre cent cercles d'appui. Nous voulons avant tout faire reculer l'influence du Front National dans les usines, les bureaux et des campagnes. Comment ? En y allant, au porte à porte et ses les marchés, en organisant des rencontres, des débats, des « banquets citoyens ». Nous voulons que la candidature citoyenne (portée par JL Mélenchon) fasse davantage de voix que celle de Hollande et que celle de Le Pen, au premier tour. Nous voulons un second tour entre JLM et Juppé. Et surtout, au delà de 2017, nous voulons une vraie gauche reconstruite.

La position dans ce combat d'intellectuels honnêtes et intelligents comme Paul Jorion, constituerait un apport remarquable. Mais il faut bien concevoir que leur soutien sera difficile à obtenir. L'époque des Louis Althusser, Claude Lévy-Strauss, Jacques Lacan, Jean-Paul Sartre, Michel Foucault, Roland Barthes, est passée depuis plus d'un demi-siècle et l'idée même d'une alliance entre les classes laborieuses et les intellectuels, entre le progrès social et l'intelligence, est à peu près disparue. C'est regrettable pour le premier terme, et catastrophique pour le second.

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