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Billet de blog 31 août 2014

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La Résistible ascension de Marine Le Pen

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Les régimes totalitaires ne surviennent que lorsqu’un feu vert est émis par les classes dirigeantes, quand il leur apparaît que c’est le seul moyen de se maintenir au pouvoir.

Marine Le Pen, il y a quelques jours, a déclaré qu’elle était prête, pour sa part, dans un contexte de crise politique profonde, à gouverner en cohabitation avec le président Hollande. Elle a attiré l’attention sur son programme social et spécialement sur le « Grand Projet de la Mer » auquel elle tient beaucoup… 

Il ne faut pas être Madame Soleil pour calculer que le Front National a de grandes chances d’arriver au pouvoir dans les mois et les années qui viennent. Considérons par exemple les élections présidentielles et législatives de 2017 et raisonnons comme si la situation dans trois ans ne faisait que prolonger les tendances actuelles. PS et UMP-Centre sont tellement usés, divisés, en pièces, que l’on peut tenir pour certain que Marine Le Pen arrivera largement en tête au premier tour de la présidentielle. Si largement que les ralliements, de la part de l’UMP, du Centre et même du PS, vont pleuvoir, et qu’une majorité à l’Assemblée Nationale sera à portée de main. Et ces ralliements, ces perspectives de succès, assureront la victoire de Le Pen au second tour. Inutile de rêver à un rejet massif de l’extrême droite comme lors de l’affrontement entre Le Pen (Jean-Marie) et Chirac. L’électorat qui se sent « de gauche » votera-t-il pour l’UMP ? Faiblement… Et certains leaders de la droite (Copé ?) préfèreront s’entendre avec le FN. Si par miracle c’est le PS qui affronte Le Pen, est-ce que l’électorat « de droite » va choisir Vals ou Hollande ? Encore moins.

Au pouvoir, quelle serait l’action d’un gouvernement dominé par le FN ? On peut, avec une bonne dose d’optimisme, imaginer un gouvernement réactionnaire démagogue assez classique, à la Viktor Orban. On peut également prévoir un retour en force de Madame Thatcher et la destruction complète, enfin, des conquêtes sociales de l’après guerre et du Front Populaire. Pour ma part, je pense, dans le sens de ce que démontre Piketty sur le déchirement de la démocratie par les inégalités, que le Capital doit maintenant tenter une « Fin de l’histoire », à la Orwell. La dictature absolue, scientifique, éternelle (sic), de Big Brother. À relire 1984, on verra comme ce programme est déjà assez avancé. Le gouvernement de Marine Le Pen n’aura pour cible ni les juifs (les Israéliens sont ses plus sûrs amis), ni les immigrés (dont le patronat a besoin), ni les voyous (qu’elle saura mettre au service de son ordre), mais toute la population, hors une aristocratie.

Mais laissons de côté les prévisions et abordons la question : est-il possible de freiner la montée en puissance du Front National ? 

Ce n’est à mon avis possible que si l’on comprend que les programmes de « domestication » du Capital sont inconsistants. Vals a raison contre les « frondeurs ». La bourgeoisie française, comme d’ailleurs la bourgeoisie allemande ou américaine, les oligarchies internationales sont le dos au mur, à tenter de sauver leurs meubles, leurs privilèges et leurs richesses, les unes contre les autres et toutes unies tout de même pour faire payer aux peuples la complète faillite de leur système. Jamais il n’y eu utopie plus ridicule que celle qui veut mettre de la rationalité, de l’ordre et de la mesure dans cette maison de fous d’où s’expriment aujourd’hui les Valls, Pascal Lamy et autres grands commis du capitalisme.

Si Le Pen est aux portes du pouvoir, ce n’est pas du seul fait de son talent. Certes son programme « social » est remarquable, et le « Grand Projet de la Mer », qu’elle a volé à Jean-Luc Mélenchon (elle jubile !), ne manque pas d’allure ! Mais « son » programme ? Par beaucoup d’aspects, c’est celui sur lequel l’actuel Président s’est fait élire ! Qu’on en juge : 

Le redressement du pouvoir d’achat par le retour de la croissance.

La hausse du pouvoir d’achat des Français découlera d’abord de la réorientation de notre politique consistant à réarmer notre économie dans le cadre de la mondialisation. Il faut également retrouver notre souveraineté monétaire et mettre en place de protections intelligentes à nos frontières. L’État doit mener et coordonner une grande politique de réindustrialisation et de soutien aux PME/PMI afin de retrouver la croissance, la création d’emplois, et l’augmentation des salaires. De telles mesures pourront aussi garantir, dans la durée, notre système de protection sociale (dépenses de santé, financement des retraites, etc.)

Hors la mention de la « souveraineté monétaire », dont on ne dit pas comment elle serait récupérée, nous avons là le programme des « frondeurs », de Montebourg, etc. 

On objectera avec justesse qu’elle ment, et qu’elle n’appliquera pas ce programme. Pas plus que ne l’a fait François Hollande. Elle ment ! La belle affaire ! Après le fameux « Mon ennemi c’est la finance ! », pourquoi Madame Le Pen se gênerait-elle ?

Ce programme national-social-réformiste d’aménagement raisonnable de la folie capitaliste, Marine Le Pen ne compte pas l’appliquer, ne serait-ce que parce que … il n’est pas applicable : Valls et Pascal Lamy ont raison.

Mais il est important, parce que c’est avec lui qu’elle va se présenter devant les électeurs et on ne la contrera pas en disant qu’elle ment.

On ne résistera pas à l’ascension de Marine Le Pen en défendant le retour au programme électoral de François Hollande, ni aucune autre version d’aménagement sympathique du système capitaliste. Lorsqu’on procède ainsi, on est sur le terrain où elle a pris beaucoup d’avance. N’opposons pas, à un programme mensonger et inconsistant, un programme inconsistant sincère : ce n’est pas mieux !

On ne peut démasquer le caractère inconsistant des réformes du système capitaliste qu’en lui opposant un ensemble de mesures de logique anticapitaliste. On ne peut s’opposer à Le Pen qu’en s’opposant de la même manière à Hollande, Vals, Copé, Juppé, Fillion. En mettant en avant le seul programme alternatif consistant, réaliste, un programme de sortie du piège capitaliste. Celui-là, Marine Le Pen ne viendra pas le piller !

Qu’est-ce qu’un ensemble de mesures anticapitalistes ?

Le mot important ici est « ensemble ». Telle ou telle mesure prise isolément n’a pas de signification. Par exemple : la souveraineté monétaire est indispensable pour conduire une politique qui ne soit pas décidée à Bruxelles. Mais « ressaisir » notre souveraineté monétaire ne préjuge en rien de la politique qui sera menée. Une politique fascisante (à la Big Brother) et une politique réellement socialiste en ont un égal besoin. En revanche, la manière dont cette souveraineté sera ressaisie, en claquant d’emblée la porte de l’institution européenne ou en commençant par affronter l’institution, ne concerne que la tactique.

La liste qui suit ne comporte que douze mesures interprétables et discutables dont l’intérêt, à mes yeux, réside dans une cohérence certaine.

La première mesure fixe l’objectif, conforme, exactement, aux articles 23 et 25 de la déclaration des droits de l’homme de 1948.

La seconde mesure donne le moyen d’éviter les promesses mensonges : les électeurs doivent pouvoir révoquer un élu qui ne fait pas ce pour quoi il a été élu.

Toutes les mesures suivantes dessinent clairement une société socialiste, seule capable de réaliser l’objectif premier. Les énoncés sont extrêmement succincts (la finalité de l’Ecole ne se réduit pas à la formation professionnelle). Chaque mot compte (le mot « écologique » dans la mesure 4 peut sembler peu de chose, mais il n’est pas là pour rien). On peut rédiger les choses autrement, modifier le poids de telle ou telle mesure, l’ordre des priorités. Reste le sens général dont il me semble qu’il n’est pas ambigu.

Un Gouvernement Populaire :

1               Mettrait tout en œuvre pour le partage du travail et des ressources, avec l’objectif de la résorption complète du chômage et de la misère.

2               Il exercerait le pouvoir dans un cadre constitutionnel donnant au peuple les moyens d’un réel contrôle sur les élus, jusqu’au pouvoir de les révoquer.

3               Il aurait la maîtrise de sa monnaie, emprunterait, si nécessaire, principalement à ses propres citoyens, constituerait l’outil bancaire public unifié de l’Etat au service de l’économie.

4               Il réindustrialiserait la France de manière volontariste et écologique, il proposerait des coopérations équilibrées à ses voisins européens.

5               Il détruirait la puissance du capital en instaurant un revenu maximal égal (par exemple) à vingt fois le revenu minimal. Il taxerait lourdement les grandes fortunes (par un ISF fortement progressif) de manière à les réduire.

6               Il libérerait la presse et les médias du pouvoir de l’argent.

7               Il mettrait en place un système national de distribution qui respecte les producteurs et les consommateurs.

8               Il s’attacherait à résoudre la crise du logement en réquisitionnant une grande part des logements inoccupés et en socialisant une partie des terrains à bâtir.

9               Il socialiserait les grandes entreprises d’importance stratégique pour le pays et la population.

10            Il refonderait l’Ecole de la République en donnant toute sa place à un essor de la formation professionnelle lié aux objectifs de la ré industrialisation.

11            À l’étranger un gouvernement populaire n’investirait pas dans les pays où règne la corruption et le mépris du peuple, il n’interviendrait pas militairement dans des aventures douteuses et cantonnerait l’armée dans son rôle défensif.

12            Il agirait avec fermeté pour la justice, la paix et le respect du droit international.

Ceux qui adhèrent à de telles propositions peuvent dire « Nous, les socialistes », et dans les quelques trois années qui viennent (un peu moins, en réalité) ils peuvent faire que s'exprime avec force une véritable alternative au fascisme. 

Il sera trop tard, entre les deux tours de 2017, pour crier qu’ils ne passeront pas. C’est maintenant, avant la fin de 2014, qu’il faut constituer un groupe de contact de ceux qui ne veulent pas le fascisme, mais le socialisme. Ceux-là, on les connaît : ils sont au PG, au PCF, chez les Verts, à Nouvelle Donne, et ailleurs. En sont-ils, d’ailleurs ? C’est à eux de le dire ! Aux Mélenchon, Buffet, Autain, Larroutourou, Eva Joly, Besancenot, mais aussi les économistes, Généreux, Lordon, Sapir, Jorion, le démographe Todd, le philosophe Morin et bien d’autres…

Qu’ils nous disent s’ils comptent parler, unir, contrer la résistible ascension du Front National.

Dès maintenant, un tel groupe, s’il émergeait, aurait plus de poids dans l’électorat que la misérable mouvance « PS ». Le but est clair : nous, socialistes, voulons affronter le FN. Nous seuls pouvons proposer aux citoyens français quelque chose qui ne soit pas une interminable agonie, l’image d’une botte écrasant un visage.

La bataille de 2017, nous la gagnerons ou nous ne la gagnerons pas. Mais si nous nous constituons comme alternative socialiste véritable, ce ne sera qu'une bataille, et l'espoir ne se sera pas lui-même liquidé.

Chaque prise de parole, chaque jour compte.

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