Le cadre constitutionnel est sans équivoque.
Le Conseil constitutionnel a consacré (n°94-352 DC) que la liberté proclamée par l'article 2 de la DDHC comprend le respect de la vie privée. Sa décision n°2020-800 DC précise que tout traitement automatisé exige un motif d'intérêt général, une finalité déterminée et une stricte proportionnalité. Au niveau conventionnel, l'article 8 CEDH impose que toute ingérence soit prévue par une loi accessible et prévisible, et nécessaire dans une société démocratique. Dans l'arrêt S. et Marper (2008), la Cour européenne a établi une protection renforcée pour les données biométriques, exigeant des "garanties appropriées".
La qualification juridique de ces systèmes est établie.
Ils constituent bien des traitements de données personnelles au sens de l'article 3 de la Directive 2016/680 "Police-Justice", indépendamment de l'usage déclaré. Le TA de Grenoble affirme catégoriquement : "Est sans incidence l'usage effectif que fait la commune du logiciel dès lors que les images captées comportent des données identifiantes". Le tribunal constate (point 14) que même le module "Review" inclut "des fonctionnalités d'analyse des images par filtres (sexe, taille, vêtements, couleurs) et analyse des comportements de déplacement". Ces dispositifs traitent donc des données biométriques et des données potentiellement révélatrices d'origine ethnique, protégées par l'article 10 de la Directive.
L'absence de base légale constitue un vice rédhibitoire.
Le TA Grenoble établit (point 19) que "l'autorisation préfectorale de vidéoprotection n'autorise aucunement la commune à mettre en œuvre un traitement algorithmique des images collectées". Cette absence viole le principe fondamental de légalité imposé par l'article 8§2 CEDH et réaffirmé par la CEDH dans l'arrêt Rotaru c. Roumanie (2000).
Les garanties procédurales obligatoires sont systématiquement ignorées.
La mise en œuvre de ces systèmes néglige l'analyse d'impact requise par l'article 90-1 de la loi Informatique et Libertés, la consultation préalable de la CNIL exigée par l'article 90-2, et l'acte réglementaire imposé par l'article 31. Le juge des référés du TA de Caen a souligné que "la CNIL a rappelé que la loi n'autorisait pas les services de police ou les collectivités à brancher sur les caméras de vidéoprotection des dispositifs d'analyse automatique".
Les principes substantiels sont méconnus.
Le TA de Grenoble constate (point 19) que la mise en œuvre du logiciel "n'a été accompagnée de la détermination d'aucune finalité déterminée et explicite et d'aucune garantie". Cette indétermination viole l'article 4 de la loi 78-17 qui exige des finalités "déterminées, explicites et légitimes". La proportionnalité est également bafouée, comme l'a relevé le TA de Caen, notant qu'"il n'est pas établi ni même allégué que d'autres moyens moins intrusifs au regard de la vie privée ne pouvaient être mis en œuvre".
L'atteinte aux libertés fondamentales est systémique.
Ces dispositifs produisent un "effet inhibiteur " sur la liberté d'aller et venir (valeur constitutionnelle, n°79-107 DC) et la liberté de manifestation (art. 11 CEDH). La CEDH a reconnu dans l'arrêt Segerstedt-Wiberg c. Suède (2006) que la simple existence de dispositifs de surveillance peut restreindre l'exercice des libertés d'expression et d'association. S'y ajoute un risque discriminatoire inhérent, les algorithmes pouvant perpétuer des biais techniques et favoriser le ciblage disproportionné de certains groupes, en violation du principe d'égalité (art. 1er Constitution).
Les arguments défensifs des collectivités sont juridiquement inopérants.
La prétendue non-activation de certaines fonctionnalités est irrelevante, la CJUE ayant établi (Digital Rights Ireland, C-293/12) que c'est le potentiel d'ingérence qui doit être évalué. Les garanties administratives ad hoc (attestations, constats d'huissier) sont insuffisantes, le Conseil d'État exigeant (n°397755) que "les garanties soient prévues par des dispositions précises et inconditionnelles".
Dans sa décision fondatrice du 24 janvier 2025, le TA de Grenoble déclare illégal le dispositif et enjoint la cessation immédiate de son utilisation. Dans l'état actuel du droit, ces systèmes sont intrinsèquement incompatibles avec les garanties fondamentales qu'exige notre État de droit. Leur mise en œuvre légale nécessiterait un cadre législatif spécifique, des garanties procédurales rigoureuses, des mécanismes de contrôle indépendants et des limites substantielles quant aux finalités et à la proportionnalité.