C’est à une heure trente d’ici, à portée de fusil, un autre monde, une autre vie, dans le val d’Aran hispano-occitan, Bossos. Un beau village de pierres basaltiques avec des toits de lauzes, sa place et ses boutiques, le long d’un passéo de platanes en bordure de la Garonne, qui n’est encore ici qu’un gros torrent dont les eaux chahutent des cailloux, et qu’on retrouve ensuite dans l’accent, plus bas, toulousain, cette fois. Les nuages s’accrochent aux montagnes et la lumière de ce mi mai est encore celle d’un mois de Mars mais il y a pourtant foule comme en été. Une foule de visiteurs qui d’un trait font dans la journée l’aller retour, s’offre un exotisme de supermarché. Car si l’on vient à Bossos, ce n’est pas pour parler la langue d’oc – langue officielle et nationale de ce confetti occitan - mais pour le plus bas des commerces, le mercantile, celui des prix bas, du pas chère, du qui permet aux saute-frontières de lutter contre la vie chère en se promenant tandis que le gouvernement nous promet la lune, lui qui ignore que nous vivons sur terre et que nous n’avons que faire de ces leçons de morale.
A Bossos, les points stratégiques ont pour nom Boya, le supermercado dont la station d’essence affiche le sans plomb 95 à 1 euros 19 quand il se chiffre à 1 euros 50 à vingt kms de là, à Montréjeau et 1 euros 40 dans Toulouse. En ce samedi matin, il y a tellement de monde qu’il y a un bouchon devant les pompes pour faire le plein. « C’est moins cher ici parce qu’il y a trop de taxes chez vous » m’explique le pompiste qui gère à lui seul, comme ces trois autres collègues, quatre pompes lesquelles débitent sans compter tandis que le tiroir caisse engrange les dividendes. Et les bureaux de tabac dont les prix sont divisés par deux. La cartouche de ronhill est à 24 euros, celle de karelia à 27 euros, etc. A cinq cartouches par voiture et un plein l’économie est substantielle. Douze euros soixante pour l’essence aussitôt dépensé dans un petit resto. Enfin, il y a la grande surface, le chariot contre chariot. Les prix sont également plus bas. De combien ? difficile à dire, mais puisqu’on est là, on fait le plein du frigo et on repart avec du chorizo, du serrano, un peu d’alcool, des patates, des tomates, des gateaux , etc…
Village perdu dans les Pyrénées, Bossos a ainsi tous les samedis et dimanche des allures de véritable ville dont profitent les commerçants, qui parlent naturellement le castillan, catalan, occitan, et français. Bon pour l’économie, bon pour l’emploi aussi. Dans la grande surface comme aux bureaux de tabac, les sud américains sont nombreux à s’activer. L’euro fait ainsi des heureux puisque le client comme le vendeur en ont pour leur temps et leur argent. Ce saute frontière n’a d’ailleurs que faire des nationalités. Jusqu’à Saverdun d’Ariège, il y a m’assure t-on des habitants qui achètent coté espagnol, ce dont ils ont besoin pour construire une maison côté français. Le voyage est offert ou si peu couteux que la venue d’un camion de moellons, de parpaing, de ciments vaut le déplacement quand on est artisan.
Ainsi, contrairement à ce qu’ils se dit, on ne fume pas moins, on hume « fumar puede matar », on sirote Licor de manzana verde o Bourbon pagado ocho euros el litro. Bien sûr, on a de la chance, on est à 140 km seulement de la frontière, donc on peut jouer les passe murailles tandis qu’en Creuse et ailleurs, le pouvoir d’achat se creuse. Mais quand même, comment se fait il qu’avec le même euro, on soit plus frileux qu’eux. Parce que l’Etat, Total, et les Leclercs s’en mettent plein les fouilles ? Pourtant, A Bossos, comme ailleurs, on paie le baril de pétrole à 120 dollars, ce qui n’est pas cher puisqu’il l’euro côte 1, 54 par rapport aux dollars. Alors ? Alors, Sarko, c’est du flan, Ségo, c’est zéro, et moi Zorro, je joue à saute frontière.