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Billet de blog 16 mai 2009

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des jappements du journalisme à sa domestication

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce qu'Edwy Plenel énonce dans son intervention radiophonique sur France Inter est un idéal que porte, assurément, Médiapart. C'est, comme il le dit, un choix qui relève à la fois d'une certaine conception du journalisme - être un avertisseur public - et du rôle d'animateur du débat

démocratique qui est celui de la presse. La critique d'Edwy Plenel est en ce sens totalement fondée. Elle fait cependant l'impasse sur une réalité quotidienne qu'il connait bien.

Avant de montrer du doigt, les incohérences, les mensonges, les médiocrités ou les bienfaits des pouvoirs, les médias ont d'abord le devoir de dire ce qui est. Le citoyen a besoin de savoir de quoi on parle avant d''éventuellement juger la pertinence de ce que le pouvoir dit ou fait. Cette logique n'est pas sans conséquence sur la pratique journalistique. Elle le focalise tout entier dans le suivi quotidien des événements survenus dans la journée: les actualités les plus immédiates, les plus fraiches, les plus vendables. La force des pouvoirs consiste alors à lui proposer quotidiennement de quoi nourrir le flux informationnel. C'est lui qui, de cette manière, donne le tempo, fixe les sujets qui font actualité. les journalistes n'ont plus alors qu'à remplir la case qui leur est imparti.

Cette pratique - nécessaire - participe, par sa répétition mimétique dans toute la presse - a confirmé le sentiment d'uniformité et donc de suivisme qui est la caractéristique dominante des grands médias. On fait comme les autres pour être dans la foulée des autres. Et le 4 ième pouvoir accompagne de fait les pouvoirs, ce qui le colore politiquement à l'insu de son plein gré. C'est ainsi que l'on entend partout au même moment, peu ou prou les mêmes choses, et les mêmes invités. L'auditeur a ainsi l'impression, selon les moments, les époques, les sujets que le média est politiquement plus ceci ou plus cela. En soi, cela ne serait pas un problème, si en plus de ça, il y avait autre chose, un journalisme d'investigation, un journalisme de critiques. Mais, pas plus à France Inter qu'ailleurs, il n'existe de service chargé uniquement de l'investigation.

La presse radiophonique et télévisuelle - contrairement à la presse écrite - révélent peu ce qu'on peut appeler les affaires. Elle reprend, elle amplifie, elle bonifie, par une valeur ajoutée, ce que la presse écrite a sorti de l'oubli. Le journal de référence de France Inter est depuis plusieurs années déjà le Parisien Aujourd'hui en France. Dernier exemple en date, le limogeage d'un cadre de TF1 à propos d'un courriel adressé à Françoise de Panafieu dans lequel il dit son opposition à la loi Hadopi. La révélation - sauf erreur de ma part - est venu de l'écrit - Médiapart, le Canard Enchainé - et une télévision comme France 2 et 3 ont attendu plusieurs jours avant de raconter cette information, sous forme de brève. Pour France Inter, je n'ai pas écouté attentivement la radio et ne sais pas son temps de réaction.

Il y a donc, ce qu'Edwy Plenel connait bien, une division du travail. La presse écrite enquête, la presse radiophonique répéte. D'un côté, il y a un risque économique - enquêter pour ne rien produire de satisfaisant - le risque de déplaire - avec parfois des conséquences sur la publicité - et de l'autre, une facilité, synthétiser ce travail et l'illustrer pour le publier. Les deux attitudes portent aussi un autre nom. Une presse d'opinion face à une presse qui affecte la neutralité. En fait, toutes deux ont des opinions. Mais certaines dérangent, d'autres arrangent, ou indifférent.

Pour le Service Public de la radio, cette césure est rendue complexe par sa situation. Il existe par la volonté du pouvoir. Il existe par les moyens qu'il lui confére, le niveau de la redevance télé/radio. Et en même temps, il ne travaille pas pour lui, mais à côté de lui. Son auditoire, son influence, ne s'exercent pas sur le pouvoir, mais dépend de la confiance que lui accorde les auditeurs, c'est à dire sur le degrés d'honneteté intellectuel qu'on lui reconnait. Quand au PDG, il ne fait pas la pluie et le beau temps quand sur le terrain, le reporter fait son métier. C'est son talent qui font la qualité de ce qu'il donne à voir et à comprendre. La liberté de la presse n'est donc pas une théorie mais une pratique. On peut ainsi dénoncer sans aboyer, c'est une question de forme.

La domestication de la presse n'est pas toute entière dans son fonctionnement ou dans ses relations de proximité avec les pouvoirs. Elle vient aussi, me semble t-il, de ce que nombre de journalistes ont du mal à se situer dans cette dualité, presse engagée, presse dégagée. Dans le premier cas, il y a une crainte, celle de passer pour un journaliste militant, partisan, donc de se décrédibiliser aux oreilles des auditeurs. Dans le second cas, le risque est de donner à croire que le journalisme n'est qu'une technique de communication parmi d'autres et de passer pour un bon journaliste sans aspérités. Car il y a aussi une réalité à ne pas négliger. Le citoyen réclame sa liberté de penser. C'est à dire le droit de ne pas adhérer ou de se satisfaire de ce qui lui est dit.

Entre les jappements permanents qui d'un aboyeur font un emmerdeur et la docilité de la domestication, il y a place, me semble t-il, pour un journalisme éclairé qui fait appel à l'intelligence de ses auditeurs.

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