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Psychiatre, psychothérapeute, écrivaine Franco Tunisienne, membre du Parlement des Écrivaines Francophones, Paris

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Billet de blog 10 janvier 2024

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Ma pensée constante est  : « Qu’est-ce que je peux faire pour l’Algérie? »

Dans la suite de l'article Fiers d'être Maghrébins, je vous propose des portraits de Maghrébins du monde, loin de l'image péjorative véhiculée par des responsables politiques et médiatiques actuels en France et ailleurs. Ici, Meryem, Algérienne , universitaire aux Etats Unis : Impossible n'est pas Maghrébin !

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ma pensée constante, depuis que je suis partie est: « qu’est-ce que je peux faire pour l’Algérie? ».

Au fur et à mesure de mes rencontres avec ces Maghrébins expatriés sur les cinq continents, je suis confortée dans l’idée que la Maghreb apporte beaucoup au monde. Cet échange avec Meryem en est une illustration forte : intelligence, engagement, ouverture d’esprit, liberté, impossible n’est pas Maghrébin !

Meryem  est algérienne et habite depuis 10 ans aux États-Unis où elle enseigne à l'université dans un  département d'études francophones,  la littérature et cinéma  notamment maghrébin puisque c'est l’une des régions qui l’'intéresse et dans laquelle elle s’est spécialisée.  Après son bac, Meryem a d’abord  vécu près de 9 ans à Paris une vie d’étudiante très agréable et riche entre écoles préparatoires de lettres et l’Université de la Sorbonne. Mais c’est à partir du début du parcours de thèse que les choses se sont corsées. Malgré un excellent classement, tout devenait subitement difficile. Elle y a vu l’opacité du système universitaire, de l’entre soi d’intellectuels parisiens. De plus, l’absence de financement ne lui a pas facilité la tâche. Très déçue, blessée et épuisée, elle décide alors de faire un détour par l’université de lettres de Tunis car  elle a eu envie d’une certaine façon de rendre aux siens ce dont elle a bénéficié. C’était à l’époque de la dictature de Ben Ali et malgré l’autorité du régime en place, ce fut un épisode de sa vie  dans lequel elle a trouvé de l’intérêt. Mais elle y a vu des limites sur le plan personnel et en matière de perspectives d’évolution et de liberté, notion qui semble essentielle pour Meryem.

Alors, grâce à des amis en contact avec les universités américaines et  «  notre sens de la débrouille » la voici embauchée dans l’une d’entre elle, comme assistante puis comme enseignante dans une université Loin des grandes villes , au milieu de nulle part. L’accueil et les conditions y compris d’hébergement gratuit pour le poste d’assistante, étaient  particulièrement attractives. La voici partie et tout de suite conquise par les Etats-Unis, un pays dont elle se méfiait, et qui ne l’attirait pas particulièrement en femme de gauche, et dont elle reconnaît bien les failles sociales et racistes actuelles. Cependant, elle perçoit immédiatement qu’elle y sera libre personnellement et professionnellement.

Lorsqu’elle repense à son arrivée à Paris, et à son enthousiasme mêlé à de l’appréhension ne sachant pas à quoi va ressembler sa vie, ni combien de temps elle va rester, elle se souvient d’avoir été agacée par tous ceux qui lui demandaient si elle voulait rentrer chez elle après. Il s’agissait en particulier de ses connaissances françaises car les Algériens, venus dans les années de guerre civile, étaient dans la même galère et menacés par l’épée de Damoclès administrative (régularisation de papiers )  à l’origine d’incertitude et d’anxiété constantes. .

Elle n’a pas vécu la même situation aux Etats-Unis où personne ne lui a demandait si elle partirait un jour et quand.  Dès le début, elle a été séduite par une grande énergie, les encouragements et l’impression d’être toujours tirée vers lE haut. Ce qui contrastait avec l’esprit défaitiste et immobiliste de l’université française. On le sent, Meryem a trouvé sa place tout en étant en constant mouvement.

Mais une blessure ne se refermera jamais et avec laquelle elle a appris à vivre demeure : celle d’avoir dû quitter l’Algérie, pays qu’elle aime profondément. Sa pensée constante, depuis qu’elle en est partie est    : « qu’est-ce que je peux faire pour l’Algérie? ». Elle ne parvient pas à dire ce qui la lie à ce pays avec des mots précis, si ce n’est qu’il lui rappelle est le pays de l’enfance, des émotions, des premières lectures. Le bord de mer et Alger, « une ville fantastique » où elle a ses amis d’enfance.  Pour elle l’Algérie, c’est un type d’humour, une sorte de philosophie de vie : faire les choses sérieusement mais sans trop se prendre au sérieux.  L’Algérie lui a beaucoup donné, et elle considère l’amour de la patrie et de la terre natale comme relevant d’une dimension spirituelle. Cependant elle est dévastée de voir tout ce potentiel gâché et la façon dont le pays a été confisqué aux Algériens.  

Alors, sans relâche, elle met en place des solutions à l'échelle individuelle, les projets collectifs étant plus difficiles à réaliser. C’est ce qui l’apaise et ce qui ce qui lui permet de vivre  cet exil sereinement.  Elle continue autant que possible à donner à ce pays en écrivant sur lui , en enseignant ses auteurs et ses réalisateurs  en faisant connaître  les jeunes cinéastes Algériens.

Elle ne s’est jamais sentie aussi proche de l’Algérie que depuis qu’elle vit aux Etats Unis, loin de cette relation très compliquée entre l'Algérie et la France et tout ce qu’elle implique. Cette distance l’a libérée, encore un apport vital pour Meryem.  D’ailleurs, aux Etats Unis, pays en éternel  mouvement général, mais aussi intellectuel, les départements d’études post coloniales sont bien plus importants qu’en France où ils sont très restreints. Ce qui pose des questions épistémologiques et méthodologiques à l’universitaire qu’elle est. Que faire de cet enseignement de textes francophones et comment à travers ces textes ou ces créations cinématographiques lutter contre les idées préconçues sur le Maghreb ?  Meryem voit bien qu’en France, il est difficile de s’interroger par exemple sur les représentations de la guerre d'indépendance algérienne, de décentrer la réflexion et ce travail-là ne l’intéresse pas dans ces conditions. Elle serait en constante colère et dans un esprit de combat au moins symbolique , et de cela, elle ne veut pas,  car elle ne s’est jamais sentie  investie d'une mission quelconque par rapport à la société française. Elle préfère réaliser ce travail à partir  des Etats Unis et en direction de l’Algérie.

Certes, le caractère de Meryem a réellement contribué à ce parcours de femme intelligente et indépendante, mais on sent que sa personnalité a épousé ses choix d’études. D’ailleurs, si elle aime la littérature et  le cinéma c'est justement qu’ils obligent à déconstruire des perceptions imposées,  de décentrer la culture, de s’émanciper de discours officiels qui vont encore de soi pour beaucoup, à son grand regret.

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