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Bouvet de la Maisonneuve

Psychiatre, psychothérapeute, écrivaine Franco Tunisienne, membre du Parlement des Écrivaines Francophones, Paris

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Billet de blog 12 juillet 2023

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Chema, développement international , de la Tunisie au Kenya.

Dans la suite de l'article Fiers d'être Maghrébins, je vous propose votre série de l'été. Des portraits de Maghrébins du monde, loin de l'image péjorative véhiculée par des responsables politiques et médiatiques actuels en France et ailleurs . Ici Chema : L’Afrique Sub Saharienne évolue à une vitesse folle et va dépasser le reste du monde

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Chema est tunisienne, naturalisée française, et elle a 38 ans. Elle tient à se présenter comme une féministe, sa tunisianité n’y est certainement pas pour rien, estime-t-elle. Par ailleurs, elle dit qu’elle est aussi humaniste et de gauche. Elle travaillsur les politiques d'industrialisation et, plus généralement, sur les politiques économiques de 17 pays d’Afrique à partir du Kenya où elle habite. C’est une jeune femme dynamique qui s’exprime à la fois avec conviction et nuances : tous ces sujets semblent avoir été bien réfléchis et assumés. Issue d’une famille de classe moyenne, avec deux parents enseignants, elle est passionnée de mathématiques et elle réussit brillamment ses études en Tunisie puis en France. Chema est maintenant ingénieure et économiste et, après une décennie de vie à Paris et un master à Sciences Po, elle part continuer ses études à la London School of Economics où elle est repérée pour mener une carrière internationale.

A l’époque Chema avait obtenu une bourse  pour poursuivre ses études supérieures en France.  D’autres, plus privilégiés et qui partaient par leur propres moyens ont préféré les pays anglo-saxons ou l’Allemagne réputés plus accueillants.  Chema  est une amoureuse de la langue française, elle en dévorait les livres qui lui ont donné un lien culturel fort, mais aussi une vision très romancée de la France.

Pourtant la société française lui paraît ingrate quand elle répond mal à l’attirance qu’elle a pour elle. Chema n’est pas perçue de la même façon par les Français et par les Anglais, elle est persuadée que les maghrebins, et les immigrés en général, n’ont accès aux mêmes opportunités. « Je ne peux pas dire si c’est vraiment mieux qu’en France. Les choses ne sont pas noires ou blanches, il y a   beaucoup de nuances de gris. » Elle s’est perdue dans des zones noires en France, lorsqu’un client s’étonne qu’elle soit tunisienne :

  • « Félicitations, ça ne se voit pas ! »
  • « Je suis fière d’être tunisienne »
  • « Non ce n’est pas ce que je voulais dire, c’est juste que vous n’avez pas l’accent »

« Il s’attendait à ce que je parle en «  wesh » me  dit-elle. Récemment, un ancien collègue Français lui a avoue qu’il était persuadé que l’un de ses parents était français ou qu’elle était née en France et fait l’école primaire et secondaire française, comme si, un produit de l’école républicaine tunisienne ne pouvait pas être performant .

Et puis, elle a ressenti très fort le fantasme autour de la femme maghrébine et noire : souriante, exotique et soumise, alors qu’elle affiche un fort caractère et des convictions solides.

Les Tunisiens non plus n’acceptent pas facilement une femme qui s’intéresse à la politique et aux causes à défendre, ils le lui ont montré lors de ses divers engagements. Chema a toujours été considérée comme la rebelle féministe pleine de convictions et qui secoue un peu les conventions. Elle a longtemps associé la culture orientale et musulmane à la misogynie. Déjà à 11 ans, elle lisait la féministe égyptienne Nawal Saadaoui et a fait sa première grève dans sa famille parce qu’on lui demande de laver seule la vaisselle tandis que son frère était présent. Mais maintenant qu’elle a vécu dans de nombreux pays, elle devient plus indulgente avec sa culture : elle réalise que les femmes sous sous-considérées dans toutes les autres civilisations et religions.

      Chema relativise, elle étudie, elle scrute, elle lutte contre les préjugés, mais elle reconnaît voir une différence entre le traitement des minorités en Grande Bretagne et en France. « Nous ne comptons plus les élus d’origine des anciennes colonies en Grande Bretagne tandis qu’en France, cette éventualité soulève systématiquement une polémique. Je les trouve aussi plus libres d’assumer leur double identité alors qu’entre Français et Maghrébins, le tiraillement est permanent, comme s’il fallait choisir, abandonner l’un des deux et donc, trahir. »

Les préjugés existent aussi en Afrique de l’Est où elle réside actuellement. Elle les regrette, et tout en les tolérant, elle tente de les rectifier. Par exemple, si elle se présente comme Tunisienne, elle n’est pas aussi crédible que lorsqu’elle se présente comme française. En revanche, sa tunisianité fait qu’on s’identifie à elle plus facilement et un lien autre se noue où se partagent les affects et les émotions. 

En parlant d’émotions, il est évident que la musique qu’elle joue occupe une place importante dans son lien avec la Tunisie. Elle a choisi le oud, un instrument qui lui permet de toucher dès qu’elle le souhaite sa culture d’origine. Chema s’y est mise après une mauvaise passe dans sa vie, une thérapie qui est devenue une sorte de cordon ombilical paisible.

C’est à travers l’art qu’elle maintient un lien fort avec la Tunisie. Le beau, l’esthétique, l’émeut « l’art est toujours positif. » Elle ne conçoit pas, par exemple, son intérieur autrement qu’avec une décoration tunisienne.

D’ailleurs, elle se définit plus par sa culture que par sa religion, elle pourtant, très spirituelle et qui comprend toutes les religions.

Elle trouve de la générosité dans sa culture si complexe, conservatrice et fermée sur soi, un paradoxe avec lequel elle compose.

Il est clair que je m’adresse là à une femme extrêmement à l’aise dans la mondialisation, avec une vision globalisée des choses. Elle rit de ce que certains pensent du retard de l’Afrique Sub Saharienne qui évolue à une vitesse folle et qui va dépasser le reste du monde dans peu de temps. Elle regrette que ses compatriotes tunisiens se laissent prendre également au piège de cette idée reçue, qu’elle soupçonne de cacher un racisme ambiant, y compris l’élite. D’ailleurs, elle n’exclut pas que ce soit l’influence de la France sur cette élite qui la pousse à sous-estimer l’Afrique noire.  

Chema est un véritable caméléon audacieux, et se fond dans l’environnement dans lequel elle évolue. Il est certain qu’elle apporte beaucoup à tous ceux qui l’ont embauchée.

Elle est fière de venir de Tunisie car le statut des femmes y est meilleur que dans d’autres pays de la région, avec un meilleur accès à l’école et aux services publics en général, nécessaires à l’émergence d’une classe moyenne, qui pour elle est le cœur de toute société. La Tunisie reste son ancrage, mais il est de plus en plus mouvant, car sa famille est éparpillée sur la planète. Ses amis sont ceux qui sont ouverts sur le monde et ceux qui sont curieux des autres, ils viennent de partout.

Elle considère que l’identité est une fausse question car elle évolue avec la vie et les rencontres, elle n’aime que la diversité et les mélanges.  

Elle passe moins souvent par la France car elle y trouve l’atmosphère anxiogène : islamophobe, ouvertement raciste et surtout anti maghrébine. C’était très net pendant la dernière campagne présidentielle et elle trouve que cette régression est propre à la France. Cette France en qui elle avait repris confiance lorsque François Hollande avait été élu. Elle s’est sentie alors très concernée par la vie politique et c’est à ce moment-là qu’elle avait décidé de demander la nationalité française. Elle sentait la Tunisie et la France prendre les bonnes directions.

Malgré l’éloignement, ses sources d’information restent françaises et ses lectures de plaisir également. Elle laisse l’anglais et la BBC pour la pratique et le professionnel car elle trouve cette langue moins subtile et poétique que le français. Quant aux informations tunisiennes, elles la dépriment depuis quelques années et elle les évite. « La politique actuelle de la France ne nous aime pas, nous, les Maghrébins, les minorités, mais qu’importe, son histoire et sa culture transcendent l’actualité et c’est ce que j’aime de la France et de la majorité des Français qui sont extraordinaires. »

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