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Psychiatre, psychothérapeute, écrivaine Franco Tunisienne, membre du Parlement des Écrivaines Francophones, Paris

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Billet de blog 13 septembre 2023

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La doyenne de l'université de Vienne ignorait l’existence d’universités au Maroc

Dans la suite de l'article Fiers d'être Maghrébins, je vous propose votre série de l'été. Des portraits de Maghrébins du monde, loin de l'image péjorative véhiculée par des responsables politiques et médiatiques actuels en France et ailleurs. « Ici Hamidou : maintenant je suis le gentil étranger qui promène sa chienne dans la rues de Vienne. »

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

 Hamidou est né à Fès et vit à Vienne depuis 40 ans. C’est un homme joyeux, souriant, pétillant et parle un français savoureux et précieux, marqué par un accent germanique prononcé. Il a étudié la psychologie et la sociologie à l’université au Maroc, puis a quitté le pays à l’âge de 23 ans, dans les années 80. Hamidou est issu d’une famille aisée de Fès. Il est parti car il était militant pour les droits humains au Maroc et beaucoup de ses amis ont été emprisonnés pour leurs opinions politiques à cette époque. Lui se décrit, depuis l’âge de 18 ans, comme un jeune homme plein d’énergie et motivé par de forts idéaux mais inconscient du danger qui le guettait. Il était socialiste et défendait ouvertement la liberté d’expression.

Alors, son entourage, inquiet pour sa sécurité, lui conseille de partir. C’est dans la ville de Bâle, en Suisse qu’il rencontre celle qui deviendra sa femme, une Autrichienne. Après avoir hésité entre la France et l’Autriche, ils choisissent de vivre à Vienne. Il se sent très imprégné dit-il par la culture germanique et en connaît les codes, même s’il commet quelques erreurs de temps en temps. Il dit souvent à ses amis, qu’il ne se sent pas dans le bon costume, et que sa véritable langue reste le marocain. D’ailleurs s’il avait eu à choisir il serait resté chez lui. Il se remémore avec beaucoup d’émotion se sentiment de déchirement lorsqu’il devait opter pour l’exil afin de protéger les siens ou prendre des risques en restant au pays.

Malgré le départ, le Maroc fait partie de lui, fait-il avec ses mains qui serrent sa poitrine. « Les gens, la langue, la nourriture, c’est quelque chose de charnel, de sensuel, en lien avec l’essence, la mémoire, l’enfance, même si, du fait de mon statut d’ainé, mon père était exigeant avec moi et que tout n’était pas facile. »  Encore aujourd’hui, ses proches lui demandent ce qu’il a fait de ses 40 ans en Autriche car ils le trouvent plus marocain que les Marocains du Maroc, il leur répond alors qu’il n’est pas interdit de rester attaché à son pays sans y vivre tout en aimant fort d’autres civilisations et d’autres cultures. Il demande à la psychiatre que je suis pourquoi il faudrait toujours trouver des compromis et à quoi est du ce devoir imposé de se justifier par rapport à une culture ou une autre. Je comprends qu’en me posant la question sur son ton malin, il a déjà sa réponse.

Cet homme dégage beaucoup de charisme, caché par une apparente bonhommie. Son parcours démontre bien qu’il n’est pas du genre à abdiquer.  Ici, à Vienne, il vit avec Mozart, habite à côté de la maison de Schubert et sent plus de liberté d’expression. En fin connaisseur de la société autrichienne, il reconnaît à ce pays une forme de malaise par rapport à son passé avec les juifs et sa participation à la Shoah.  Lorsqu’il est arrivé, il a senti qu’il y avait un très fort non-dit à ce sujet et pourtant l’extrême droite réussit à être élue aujourd’hui et il ne sait comment l’expliquer si ce n’est par la banalisation de ce passé par ceux qui en font l’apologie.

Le racisme existe évidemment et il le compare à la France où il observe que la situation est meilleure en matière de reconnaissance des minorités qui sont représentées dans les médias et dans la politique alors que ce phénomène est tout récent en Autriche.  Il est assertif : « il y a eu et il y a plus de discrimination en Autriche qu’en France, pour suivre très régulièrement les informations européennes et françaises. »

Hamid faisait partie des premières vagues d’immigrés, maintenant Vienne est devenue une ville un peu plus cosmopolite, se réjouit-il.  Il décrit ses six premières années comme infernales au cours desquelles il a frôlé la folie et il se félicite de ne pas être tombé dans l’alcool à force de colère, et d’injustice. Il vivait l’Autriche comme un véritable ennemi. D’autant que d’autres sujets se sont rajoutés : la famille de sa femme qui ne l’acceptait pas, le manque d’argent, d’autres « truc horribles » dit-il avec un accent germanique qui appuie sur le h , sonorité qui me donne une dimension plus dramatique à ses souvenirs. Il a d’ailleurs mis beaucoup de temps pour se remettre de sa dépression.

La première épreuve vécue remonte à un premier RDV avec la doyenne d’une université d’humanité à Vienne en 1984. Il lui parle de son parcours universitaire en psychologie et en sociologie qu’il souhaite reprendre à Vienne. Elle ne voulait pas le croire car elle ignorait l’existence d’universités au Maroc et cerise, sur le gâteau, pour vérifier qu’il existait bien un enseignement supérieur au Maroc cette enseignante s’est tournée vers l’ambassade de France en Autriche. Il me décrit à quel point il était affligé d’une telle inculture alors que pour lui, l’université européenne était un temple de savoir. Il était même impressionné de se présenter dans un lieu séculaire par lequel tant d’intellectuels sont passés.

Ce fut alors une immense désillusion pour l’enfant de Fès qu’il est, où se trouve la très célèbre université d’El Qarawyyine, l’une des plus anciennes au monde encore en activité. Néanmoins, il s’interroge : comment une doyenne d’université de sciences humaines de la grande ville intellectuelle et culturelle de Vienne pouvait-elle ainsi méconnaître la place de la pensée et de l’instruction au Maroc. Hamidou explique aujourd’hui l’inculture de ces années-là par le départ de l’intelligentsia autrichienne à l’époque de la seconde guerre mondiale et la mort de nombreux intellectuels. 

La guerre a tué les hommes et les intelligences du pays. Ne restaient plus alors que les médiocres.  Tout était obstacle pour ce nouveau venu et ce couple qui devait subvenir à ses besoins. Alors, Hamidou a commencé à faire des petits boulots en commençant par être magasinier et malgré l’hostilité ambiante, il ne s’est pas démonté. A l’époque, à la fin des années 80, les jeunes viennois ont pris conscience des questions de discriminations dues à la sexualité, à la maladie, au handicap, sujets auxquels Hamidou était très sensibles. C’est ainsi, qu’on l’a approché afin qu’il permette un espace de parole aux immigrés. « Comme si être un immigré était une maladie ou un handicap », sourit-il, mais il a tout de même accepté la proposition dans la mesure on lui donnait carte blanche. C’est ainsi que Hamidou s’est fait connaître : le premier travailleur étranger à Vienne qui s’exprimait et qui permettait à d’autres de parler dans un média autorisé par les autorités de la ville de Vienne.

Il prend confiance en lui, connaît mieux la société autrichienne et ne mache plus ses mots, conteste les décisions injustes, rencontre les personnes qu’il faut, dont une décisive dans sa carrière. Il s’agit d’une femme d’origine iranienne qui occupait d’importantes responsabilités dans une des nombreuses institutions internationales à Vienne. Elle a tout de suite compris ce qu’il a vécu car elle-même est passée par un parcours similaire et elle a décidé de donné sa chance à Hamidou.  Son multilinguisme, la parfaite maîtrise de

l’arabe, du français, de l’anglais et de l’allemand lui a alors permis de s’affirmer au cours d’une période test puis plus tard , d’être évalué par  des managers qui ont su reconnaître ses capacités et son potentiel, puis de se frayer un chemin jusqu’à devenir conseiller dans une des plus grandes banques d’Autriche dont les clients sont internationaux.

Hamidou est intarissable, subtile, très cultivé et accompagne ses réflexions et ses réponses de sagesse, même s’il se lâche parfois : « Ils m’ont fait mal subjectivement, je me suis senti blessé, j’étais le bougnoule , ils ont voulu insulté ma culture marocaine. J’accuse, oui, j’aime dire, comme a dit le génie français :  j’accuse. »

Hamidou n’a pas voulu avoir d’enfants, il dit avoir trop souffert et voudrait éviter cette souffrance à ses enfants. Il a une chienne, et il est maintenant le gentil immigré qui promène sa chienne dans les rues de Vienne.

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