L'impact du racisme sur la santé mentale est peu connu en France. Il s'agit d'un vécu post-traumatique étudié depuis déjà de nombreuses années en Amérique du Nord. Le déni autour des causes et de la subsistance de certaines attitudes relevant du reliquat postcolonial nous empêche de traiter de ce sujet.
Les individus que je vois dans ma consultation de psychiatrie, toutes origines confondues, souffrent de propos xénophobes alors qu'ils vivent dans une France cosmopolite réelle. J'ai décidé, suite aux nombreuses sollicitations, d'entamer "Mon tour de France pour répondre au racisme" avec à la main le manifeste pour répondre au racisme que j'ai écrit, Debout tête haute !, aux éditions du Croquant, afin d'être au plus proche du terrain.
Je constate une société civile mobilisée, solidaire, intelligente, résistante face aux propos qu'elle considère bien éloignés de ce qu'elle vit et de ceux à quoi elle aspire : une France d'accueil et mélangée, humaniste et républicaine. Je voudrais rendre hommage à ceux qui démentent les haineux de tous bords qui veulent nous diviser tout en ignorant les dégâts qu'ils commettent au niveau individuel comme au niveau collectif.
France : pas de place au racisme !
Le 22 mars est la journée internationale de lutte contre le racisme et le fascisme. Ce jour-là, comme partout dans le monde, de très nombreux Français seront dans la rue. Car le racisme n’a pas sa place dans ce pays, terre de cosmopolitisme, où certains tentent de distiller dans notre solidarité indéfectible ce poison insidieux.
Car non, LES Français n’ont pas de sentiment de submersion migratoire, non, LES Français ne se sentent pas menacés dans leur culture, non, LES Français ne sont pas en priorité préoccupés par l’immigration. DES Français, peut-être, mais pas LES Français. D’ailleurs, qui sont LES Français lorsque 30 % d’entre eux sont issus de l’immigration ?
Cette journée sera l’occasion d’exprimer nos opinions et de déconstruire certaines affabulations médiatiques et politiques réellement diffamatoires, épuisantes.
La dernière en date concerne la pénurie d’œufs dont des commentateurs s’accordaient à dire sur un plateau de télé qu’elle était due aux musulmans qui consommaient beaucoup d’œufs pendant le mois de Ramadan. Je me suis souvent demandé qui étaient ces personnes que l’on va chercher pour distiller autant de haine à l’égard de certains de leurs compatriotes, alors que je constate, ma foi, que nous vivons assez bien ensemble au quotidien. Tout n’est pas parfait, mais nous ne vivons pas le chaos décrit par les oiseaux de mauvais augures.
Mes observations personnelles et cliniques n’ont pas de valeur statistique, mais travailler avec ces matières nobles que sont les intelligences et les émotions est un point de départ considérable pour participer au débat d’opinion. Car nous, psychiatres, sommes des lanceurs d’alertes. Nous sentons les tendances de la société avant qu’elles ne deviennent des mouvements de pensées et des sujets d’études. Quel meilleur matériau de réflexions, en effet, que la complexité d’une pensée mature et propice à l’introspection ?
Les personnes que je reçois dans mon cabinet, toutes origines confondues, sont en total désaccord avec cette rhétorique raciste qu’ils considèrent comme profondément antirépublicaine, prônée par des individus qui sont loin de leur réalité. Beaucoup se sentent trahis et en danger. Alors, il n’était pas question pour moi de laisser sous silence ces mots, ces vécus, ces douleurs, ces interrogations, ces envies de partir de France ou de partir vers l’au-delà.
Oui, la violence de certains médias, politiques et penseurs peut tuer. Car le vécu du racisme est un traumatisme. Cette notion est trop peu exposée en France du fait du tabou autour de ce sujet, de ses origines et de sa persistance à travers divers signaux. Pourtant, en Amérique du Nord, de nombreuses études décortiquent le phénomène du trauma post-racisme.
Même si je travaille sur le sujet depuis plus de dix ans, j’ai décidé, parce que les souffrances doivent être connues, d’écrire un manifeste court et qui parle au cœur des gens, ce cœur que l’on malmène trop. Debout, tête haute ! Manifeste pour répondre au racisme aux Éditions du Croquant tente d’expliquer le lien entre la souffrance psychique et le vécu raciste. Il propose également des solutions pour y répondre. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque très rapidement, dès l’annonce de la parution du livre, j’ai été sollicitée par de nombreux médias indépendants, puis sont arrivées en masse des invitations du terrain : associations, librairies, établissements scolaires, réalisatrice de théâtre… Le terrain, c’est ce que j’aime, j’y suis allée. Loin de mon environnement personnel et professionnel parisien. C’est alors que j’ai commencé à réaliser Mon tour de France pour répondre au racisme .
Ce que j’y ai rencontré a suscité en moi une nécessité impérieuse de le partager. Désormais, mon initiative n'est plus seulement une réponse à la haine, mais un hommage à celles et ceux qui, par leur engagement, insufflent espoir et dignité. Des mouvements citoyens intelligents et solidaires émergent à travers toute la France, y compris dans des régions où le RN fait des scores importants.
Des collectifs se forment, des initiatives voient le jour et des voix s'élèvent pour dénoncer l'inacceptable. Ces actions sont souvent portées par des personnes de tous âges, mais beaucoup par une nouvelle génération qui refuse de se taire. Toujours dans ces régions, et en dépit de fortes oppositions de politiques ou de structures indépendantes locales, des débats, des ateliers sont organisés pour sensibiliser et éduquer. Des enseignants qui, au quotidien, luttent contre les préjugés en intégrant l’altérité dans leurs programmes. Des artistes qui, par leurs œuvres, questionnent et dénoncent le racisme. Des citoyens lambda qui, par des gestes simples, comme accueillir un nouvel arrivant, montrent que la solidarité peut vaincre la haine.
Étape 1 : Cergy, inauguration du collectif 49.3 Un jeune homme noir me parle en aparté : « Je ne savais pas que le mal-être que je vis est en lien avec le racisme que je subis au travail, vous avez su mettre des mots sur ce que je ressens. » Un autre, d’origine maghrébine : « Mon père m’a toujours dit qu’il n’y avait pas de racisme en France, j’ai grandi avec cette idée, et puis j’ai compris pourquoi, il voulait nous en protéger, parce qu’il le subissait. « Jusqu’à ce que je rencontre le plafond de verre, alors j’ai été travailler dans une entreprise anglaise. »
Étape 2 : Lyon, avec le Collectif Masse critique , des témoignages poignants dont celui d'une femme victime de racisme au travail et qui ne sait à qui s’adresser, comment procéder ? Elle ferait partie de ce million de personnes victimes de racisme en France. Un million ! Qui en parle ? Et celle qui cherche des safe places, l'autre qui se demande comment on peut assassiner des enfants comme Nahel sans plus de mesures pour protéger nos enfants…
Étape 3 : Vendée, 180 lycéens et deux classes de CM2, sur l’invitation de l’établissement et de l’association Paroles d'hommes et de femmes. « Les Parisiens ne veulent pas venir jusque chez nous en général. »
Retours de l’équipe pédagogique « Depuis votre départ, les élèves viennent me parler de votre intervention. C'est incroyable, car ils le font spontanément. Je vous livre en vrac :
"C'était trop bien."
"Elle va me permettre de répondre aux racistes que je connais."
"Elle m'a donné une autre image des Tunisiens."
"Je vois différemment maintenant les migrants."
« Elle m'a donné des mots pour me battre. »
"Ça me donne trop envie de parler à des jeunes venus d'ailleurs."
"Grâce à elle, je vois comment on peut utiliser des références pour défendre ses idées."
« J'ai appris plein de choses… »
Ils ont également apprécié que vous parliez de votre terrain professionnel.
En tout cas, vous avez débloqué la parole d'élèves qui d'habitude sont peu loquaces.
Les enseignants qui étaient là sont tout autant enthousiastes.
Étape 4 : Sarcelles, 150 lycéens. Un melting pot que je découvre et qui semble aller de soi. Une jeunesse active et ambitieuse et très studieuse. La responsable du CDI dit qu’elle observe l’acharnement des élèves au travail : « Dès que la lumière du CDI s’allume, ils affluent. » Journée pour l’égalité, organisée par une équipe pédagogique dynamique, à l’écoute : l’atelier grouille. Leur établissement est un cocon d’intelligence et de savoir. « Je ne veux pas devenir adulte, le monde des adultes est trop dur », dit une élève de terminale. « Je n’ai jamais entendu dire que vivre le racisme était un traumatisme, c’est la première fois. » Cette jeunesse que l’on ne montre pas. Ces quartiers ne sont jamais assimilés à la réussite et au travail. Cette génération, souvent décrite de manière négative, est en réalité porteuse d'espoir et d'un message fort : le racisme n'a pas sa place dans leur vision du monde. Et pourtant, c'est la France d’aujourd’hui.
Étape 5 : Dijon, Théâtre de Dijon Bourgogne, en débat avec Penda Diouf, réalisatrice de l’excellente pièce Pistes qui parle du génocide des héréros en Namibie. Plus d’une heure de débat passionnant, qui interroge sans juger, mais qui découvre quasiment en direct pourquoi ce déni du racisme en France, l’histoire coloniale, les petites histoires dans la Grande histoire non résolue et dont les violences tues atteignent les toutes petites, les écoliers. Quel devenir pour un enfant qui vit le racisme ? L’infirmière psy scolaire observe…
Ces acteurs du changement, souvent anonymes, incarnent un cosmopolitisme humaniste qui valorise l’autre, qui célèbre la différence. Ils nous rappellent que la France n'est pas seulement un territoire, mais une mosaïque humaine.
Je n’en suis qu’à la moitié de mon tour de France pour répondre au racisme. Mais je peux affirmer observer régulièrement une fracture profonde entre des discours politiques qui alimentent haine et division et la réalité vécue par les citoyens, qui ne cèdent pas à la peur et qui aspirent souvent à une société plus cosmopolite, humaniste, solidaire et inclusive. Ce phénomène invite à repenser les approches politiques pour mieux refléter les aspirations d'une population qui, dans sa majorité, valorise la mixité et l'enrichissement mutuel. Et qui aspire surtout à la paix des esprits !
Lancement du collectif 49.3 Cergy et retour d'élèves de deux classes de CM2 Vendée

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