Anès, haut cadre : Tunis, le reste du monde et la France
Cet ingénieur de 43 ans dégage intelligence et sérénité. Tour à tour, il affiche une expression enfantine avide de savoir et un visage grave au front plissé lorsqu’il aborde problème très complexe que lui soumettent ses collaborateurs. Seulement il est d’un sang-froid sans faille, et c’est vraisemblablement grâce à cela qu’il semble survoler les complexité d’un métier lourd en responsabilités et de protéger ses équipes. Sa relation avec le monde ne me semble pas étrangère à cette attitude bien singulière, il se fond partout avec un naturel confondant.
Anès vient de Tunis, en Tunisie où il a suivi de brillantes études d’ingénieur qu’il a poursuivies en France puis au Canada, à Alberta , séquence de sa vie qu’il a beaucoup appréciée du fait du dépaysement total. Lorsqu’il revient en France il est nommé à un poste important dans une entreprise semi publique Français. Son épouse, elle aussi ingénieure, ainsi que ses enfants le suivent dans ses différentes affectations entre la France, l’Angleterre, les Émirats Arabe Unis d’où il répond à mes questions. Ses départs ont toujours été le fait de son choix, ils et ne se sont jamais réalisés sous une contrainte quelconque. Cet ingénieur globe-trotter semble être né avec un sac à dos sur les épaules. Son désir profond : découvrir le monde comme il le fait découvrir à ses enfants.
Pour commencer ce parcours, dit-il, s’il a décidé de continuer les études entamées en Tunisie en France c’est du fait de la maitrise de la langue. Puis, très vite, il s’est familiarisé avec l’anglais langue qui lui a rapidement ouvert d’autres horizons. . Les liens qu’il entretient avec la Tunisie aujourd’hui ne sont pas viscéraux, dit-il, ils sont essentiellement familiaux, et relèvent des plaisirs des souvenirs d’enfance. S’il n’y avait pas la famille en Tunisie, il ferait le tour du monde avec son épouse et ses enfants.
On sent cet homme très curieux bien trop assoiffé de découvrir d’autres cultures. Anès est de ce type d’humains qui voit du bien en toute chose qui se présente à lui. Je sens à notre échange à quel point il tient à transmettre cette curiosité à ses enfants. Il se revendique comme Tunisien mais aussi citoyen du monde. Il ne vit pas en France depuis plusieurs années maintenant mais lorsqu’on lui parle de l’atmosphère pesante qui y règne, à l’encontre des Maghrébins, il reconnaît que cela peut être le cas, mais dit n’avoir jamais subi de discriminations.
Pour avoir vécu dans plusieurs sociétés, il part du principe que rien n’est parfait, mais qu’il se sent véritablement bien en France, malgré les débats houleux qui y règnent car c’est un pays véritablement cosmopolite, et lui n’aime pas les pays où l’on ne se mélange pas. Il cherche sans cesse à apprendre de l’autre, n’établit aucune hiérarchie entre les civilisations qui ont chacune eu à un moment de leurs histoires un moment de gloire, selon lui. Il est critique vis-à-vis de tant de clichés qui biaisent l’appréciation que l’on peut avoir d’un pays et de son peuple. Par exemple, on l'a beaucoup mis en garde contre le racisme aux Émirats Arabes Unis. Or, ni lui ni sa famille ne le ressentent, ils y sont d’ailleurs aujourd’hui très épanouis.
Cette ouverture et curiosité incroyables lui viennent-elles d’une éducation particulière ? Il répond que lorsqu’il vivait en Tunisie, il n’avait pas beaucoup de contact avec l’altérité, du fait du peu d’étrangers qui y résident et cela lui a considérablement manqué. Il aime la mixité. Chose qu’il n’a pas retrouvée en Grande Bretagne autant qu’il l’a vécue en France. En effet, les gens y sont séparés par communautés : on peut se retrouver au travail et au pub après le travail, mais pas dans la vie de tous les jours. Ce contraste l’a choqué , lui qui arrivait de France. Il en a d’autant plus été étonné que dès l’école, les enfants étudient par communautés soit ethniques, soit ouvertement économique. Il n’imaginait pas ses enfants évoluer selon un seul archétype. Il a d’ailleurs tout fait pour les inscrire dans un établissement mixte qui leur permet une excellente adaptation aujourd’hui aux Emirats Arabes Unis.
Lorsque je lui demande s’il a l’impression en tant que personne venue d’ailleurs, haut cadre d’une entreprise française, d’apporter quelque chose à la France, il reste très modeste et me dit que ce qu’il fait est à la mesure de toute autre personne qui travaille pour ce pays. Il considère que nous apportons tous quelque chose où que l’on soit, l’essentiel est que l’on entame des interactions qui rendent plus intelligent. C’est avec cette logique qu’il lutte contre toute forme d’idées reçue, lui, qui travaille dans un milieu très international. Il considère que chacun doit être fier de ses origines et des bagages qu’il apporte au groupe qu’il intègre et au lieu où il s’installe. Les préjugés selon lesquels les Arabes du Golfe n’ont que du pétrole et des chameaux l’irritent particulièrement, d’ailleurs, il ne manque aucune occasion d’explorer les alentours des Émirats pour y découvrir des femmes et des hommes, des sites, des musées qui l’interrogent et cela continue de l’éblouir. La différence, oui, elle est indispensable, la hiérarchisation, jamais, elle est destructrice. « C’est avec plusieurs couleurs que l’on dessine une toile. »
Malgré sa modestie, il n’en est pas moins un grand ingénieur d’origine tunisienne qui représente l’intelligence et le savoir-faire français dans le monde et visiblement il y excelle compte tenu des multiples reconnaissances qu’il reçoit. Mais il reste le jeune étudiant vadrouilleur qui aime sortir de sa zone de confort pour voir comment ça se passe ailleurs. Malgré ses cheveux grisonnants, il reste juvénile, sans doute l’effet des voyages.
La France, il l’aime pour ces petits bouts d’ailleurs qu’il y trouve, pour sa mixité, pour le système de solidarité nationale, pour sa capacité à polémiquer, « sans cela, il n’y aurait pas de progressions », dit-il. Certes, on polémique moins, en Grande Bretagne alors tout paraît simple, mais il croit fortement que la Grande Bretagne a choisi un système communautaire qui l’épargne des interrogations, puisque chacun vit dans un camp séparé. Ce n’est pas ce qu’à choisi la France où chacune famille a accueilli en son sein des juifs, des arabes, des noirs, des asiatiques etc. « C’est la France, ma préférence », conclut-il.