De l’agronomie en Algérie au social en France, un parcours bien singulier.
Rafik a près de 58 ans, il est toujours souriant, la voix mêlant suavité et vivacité . Ses propos sont exprimés sur un ton léger et on ne sait pas toujours si la phrase va terminer sur une blague ou sur un fait grave. L’auto-dérision semble avoir été son arme pour rester solide et en arriver là où il est aujourd’hui, c’est à dire à la tête d’une structure socio professionnelle importante en France. Il a dû quitter l’Algérie pour échapper à la guerre civile en 1993. Non, il n’a pas de quitté son pays par plaisir , lui, le jeune homme qui avait foi en sa génération , celle d’après-guerre qui a bénéficié de la gratuité du savoir et qui aurait pu participer à la constriction du pays . Il est ingénieur et lors de ses études, il découvre l’Islamisme sur les bancs de l’université, soit un autre monde pour lui. Rafik a vu beaucoup de massacres autour de lui. Il se souvient de l’intensité de son angoisse, au point où il dormait avec un couteau sous le matelas et une bombe lacrymogène, son petit et la femme qu’il aimait à ses côtés . A un moment, ce n’était plus tenable, ils ont quitté l’Algérie pour la France. Pourquoi la France ? Parce que cela lui a paru naturel, il a étudié chez les sœurs à l’école primaire, en Algérie et maitrisait donc parfaitement la langue. On peut voir dans son histoire une sorte de paradoxe, prévient-il car son père était membre actif du FLN. Il a été torturé par les colons français et pourtant il a scolarisé son fils dans un établissement français. Il se souvient du comportement de son père lorsqu’il lui a rendu visite en France , la première personne qu’il a souhaité voir est son ami G. Cohen, indépendantiste comme lui. Ils se sont embrassés et pleuré longtemps l’un dans les bras de l’autre. Rafik a alors compris de quoi il était fait, il a commencé à assimiler une partie de mon histoire, celle des toutes luttes pour toutes les libertés.
Rafik garde un lien très fort avec l’Algérie. Il suit tout ce qui s’y passe, socialement, politiquement et surtout familialement, car toute sa famille y demeure. Il aime beaucoup la France, ce qu’elle lui a apporté , et il apprécie sa langue, sa culture , les gens, le gout du débat , les paysages. Ses fils sont Français et il leur transmets ce qu’il garde de l’Algérie , la langue Kabyle et Arabe, la civilisation et il a choisi de toujours insisté sur la richesse des deux cultures qu’ils portent en eux. Ses fils sont attachés à l’Algérie, ils vivent en France, et ils sont très révoltés contre le racisme qui s’exprime dans leur pays. Rafik l’a lui-même vécu , mais il ne voulait pas le voir ainsi car il devait avancer quoi qu’il en soit pour nourrir sa famille. Il a commencé par s’inscrire dans différentes formations dont une qui faisait le lien entre l’ingénierie et le territoire. Il raconte avec gourmandise une anecdote lorsqu’il a été dans le fin fond de l’Auvergne qu’il a appris à connaître comme sa poche. Un jour, avec son petit costume et son petit cartable, il rencontre la caricature d’un fermier auvergnat : chapeau , accent etc. Cet homme n’avait jamais vu une arabe de sa vie, à part sur TF1 et Rafik comprenait à peine ce qu’il lui disait du fait de son accent prononcé, mais ils ont fini par très bien s’ entendre dès qu’il lui a servi à boire un mélange spécifique de la région, le bougnat . « C’est une rencontre qui m’a montré qu’il faut se parler pour se connaître. » Mais je il n’a pas pu continuer dans cette voie de l’agronomie. Il a du tout recommencer de zéro, changer de métier , passer par des situations dures et précaires : travailler à la chaine dans un atelier, se réveiller à 4 heures du matin et tant d’autres métiers éreintants, seulement il ne le regrette pas, il en est même fier aujourd’hui. Et puis, dans le déroulement de cette succession de petits boulots dont il ne savait pas où ils allaient le mener, un jour, un de ses patrons remarquée que ses comptes rendus étaient de meilleure qualité linguistique que ceux des autres . Il lui demande alors son CV. En découvrant son cours, il a tout compris et lui a proposé un métier dans le social. Rafik a alors décidé de reprendre des études, suivre des conférences et travailler d’arrache-pied. Il obtient une master à la Conférence des Grandes Écoles.
Voilà qu’aujourd’hui et il a des responsabilités importantes dans un métier qu’il aime, dans une ville qu’il aime, au bord de la méditerranée car il ne peut se passer d’elle. Il sait qu’il n’aurait jamais vécu cette trajectoire compliquée en Algérie, compte tenu du milieu duquel il est issu, mais il fallait survivre. Par ailleurs , les opportunités qui se sont présentées n’existaient pas en Algérie , « il faut aussi le dire. » Il est de ces hommes qui trouvent le bon et le mauvais partout, sans préjugés. Il est de ceux aussi qui sont fiers de leurs origines tout en s’autorisant l’auto critique, l’auto-dérision-même. Chaque fois qu’il en a l’occasion, il glisse qu’il est Algérien, un peu comme le drapeau algérien que l’on voit à toutes occasion , lui , il hisse son algérianité dès qu’il le peut, dit-il dans un rire tonitruant , et cela, même s’il constate à quel point les Maghrébins sont de plus en plus rejetés. Il pense que le résultats dans les urnes parlent d’un état d’esprit nouveau en France. Il écoute ses amis partis ailleurs qui le plaignent de ce qu’il vit en France. Il assure même que si cette situation avait été ainsi au moment de son exil, il serait parti ailleurs. De belles histoires lui proviennent essentiellement d’Allemagne où l’accueil des étrangers est plus respectueux. Il s’y sentent tout de suite à leur aise et y demeurent quitte à passer deux années à apprendre la langue allemande. Il constate combien la génération de ses enfants est dans la révolte contre le racisme décomplexé qui s’exprime en France. Un jour, Rafik a même été blessé d’avoir été comparé par un de ses fils aux chibanis qui venaient travailler ici dans les années 70 , soumis, sans faire de bruit. Il y a longtemps pensé puis fini par se dire que son fils se permettait une telle comparaison parce qu’il n’avait pas son âge , ni les mêmes contraintes vitales qui ont fait que son fils puisse s’exprimer ainsi. Ses deux fils ont brillamment réussi et intégré le monde du travail dans lequel ils observent des actes racistes vécus au cours de leur jeunesse tout comme au travail dont leur père, Rafik n’avait pas conscience. Maintenant, après tous ces sacrifices, Rafik est fier de les avoir éduqués avec une forte confiance en eux, conscients de l’importance de leurs deux identités. Tout comme lui, heureux comme un Franco Algérien en France et en Algérie.