Située au milieu d’une lagune, la ville de Venise est constituée de nombreuses îles séparées par des canaux naturels ou artificiels, le long desquels s’alignent des constructions bâties sur pilotis. Cet environnement maritime a longtemps assuré la prospérité et la sécurité de cette ancienne cité-État, mais menace désormais son patrimoine et sa population.
Chaque année, la vie quotidienne des Vénitiens est perturbée par l’acqua alta, des pics de marée provoquant une submersion partielle de la zone insulaire entre l’automne et le printemps. Ce phénomène naturel ancien s’est aggravé au cours des dernières décennies : les inondations sont désormais plus importantes et plus fréquentes, y compris hors saison, du fait d’une élévation du niveau de la mer. Celle-ci s’explique en partie par l’affaissement des terres, lui-même lié au développement de la zone industrielle de Marghera et au creusement de profonds chenaux facilitant le passage des navires de commerce ou de tourisme. La ville s’enfonce donc peu à peu dans la lagune. Le danger qui menace Venise est aussi dû au réchauffement climatique, qui entraîne une montée des eaux et une intensification des précipitations et rafales de vent.
L’aggravation des inondations a des conséquences directes sur l’habitat, comme l’a révélé une crue particulièrement marquée en 2019 : le passage de l’eau rend insalubres et inhabitables les rez-de-chaussée et premiers étages, tandis que le sel et l’humidité rongent les fondations des bâtiments ainsi menacés d’effondrement. Ce phénomène crée une pénurie de logements, qui accélère l’augmentation des loyers causée par le tourisme de masse. En conséquence, de nombreux Vénitiens aux revenus modestes quittent désormais les îles pour s’installer à Mestre ou Marghera, sur le continent : le centre historique compte à peine 50 000 habitants aujourd’hui, contre 60 000 avant 2009 et 175 000 dans les années cinquante.
Un risque mondial
L’élévation du niveau de la mer à Venise illustre un danger plus vaste, souligné par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) dans un rapport publié en février 2022 : « Environ un milliard de personnes pourraient vivre d’ici 2050 dans des zones côtières menacées par la montée des eaux et les épisodes de submersions marines lors des tempêtes ». De nombreuses régions sont déjà concernées. Au Bangladesh, l’élévation du niveau de la mer et des fleuves détruit de nombreux espaces agricoles et habitations, entraînant d’importants mouvements de population vers la capitale, Dacca. Les Pays-Bas qui, à l’image de la cité-État vénitienne, ont bâti leur fortune et leur indépendance sur la maîtrise des eaux, doivent aujourd’hui renforcer leurs digues pour protéger leur territoire.
Des travaux pharaoniques ont également été entrepris à Venise : des vannes mobiles et flottantes ont été mises en service fin 2020, après des années de retard et de controverses. Ce système, baptisé Mose, pourrait toutefois s’avérer inadapté dans la décennie à venir : les digues ont été conçues pour atténuer les crues liées au phénomène temporaire et saisonnier de l’acqua alta, et non pour préserver la ville face à une augmentation générale du niveau de la mer. Leur activation permanente endommagerait le mécanisme et fragiliserait l’écosystème de la lagune, en empêchant l’évacuation des eaux non traitées vers la mer par exemple.
Lou Le Joly, Bpi
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