Plusieurs termes sont employés pour désigner les jeunes étrangers présents en France : « mineurs isolés », « mineurs non accompagnés », « mineurs en errance ». Que signifient-ils ?
Aucun de ces termes ne figure dans le droit français. Les directives européennes emploient l’expression « mineurs non accompagnés », mais la loi française les dénomme « mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille ». Quelle que soit la terminologie utilisée, les enfants étrangers relèvent d’un dispositif spécifique : ils sont traités différemment des autres enfants, de façon moins protectrice, pour la seule raison qu’ils sont étrangers.
Quant à l’expression « mineurs en errance », on l’emploie généralement pour qualifier les enfants, français ou étrangers, qui vivent à la rue, ne sont pas pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE), et dont certains commettent des infractions. À ce sujet, on ne peut que déplorer que certaines personnalités politiques, qui de toute évidence ne connaissent rien à la situation ni à la justice des mineurs, affirment que tous les mineurs étrangers sont des délinquants.
Quel est le parcours des jeunes jusqu'à leur arrivée en France ?
La majorité des mineurs isolés étrangers viennent de trois pays francophones d'Afrique subsaharienne : Guinée, Mali et Côte d'Ivoire. Les autres viennent du Maghreb (Algérie, Tunisie, Maroc) et d’Asie (Bangladesh, Afghanistan et Pakistan). Pour la plupart d’entre eux, ils arrivent après un long périple à pied, en camion et en bateau, au cours duquel ils ont vu mourir des compagnons de voyage, en mer mais aussi dans le désert ou dans les camps libyens. Parfois, ils se sont fait rançonner. Souvent, ils ont dû travailler pour payer les passeurs.
Ces jeunes viennent d’endroits où ils ont subi des violences politiques, économiques, familiales, et leur parcours leur fait subir des traumatismes supplémentaires. Une fois arrivés en France, ils pensent pouvoir se poser et aller à l’école. Il y a alors une énorme désillusion : avant toute prise en charge, ils doivent prouver qu’ils sont des enfants, en passant par le dispositif d'évaluation des mineurs isolés étrangers mis en place par tous les départements depuis 2016. Cela ajoute de la maltraitance à un parcours déjà très douloureux.
Comment ces étrangers peuvent-ils prouver qu’ils sont mineurs ?
Les textes prévoient que tout jeune qui demande à être pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE) doit passer un entretien d’évaluation. Un évaluateur interroge le jeune sur son identité, sa famille, sa scolarité, son parcours, les raisons de sa venue. On évalue s'il a l'air majeur ou mineur d’après ce qu'il raconte. Si le jeune a des documents d’identité, cela facilite les choses. Mais rares sont ceux qui ont un passeport. Certains arrivent avec un acte de naissance ou se le font envoyer par la suite.
Le dispositif d’évaluation, qui, à Paris, s’appelle le Dispositif d’évaluation des mineurs isolés étrangers (DEMIE) et est géré par la Croix-Rouge française, envoie un rapport à la Direction de l'action sociale (DASES) du département. Celle-ci rend une décision notifiée au jeune. S’il s’agit d’un refus de protection, le jeune peut saisir le juge des enfants.
Au tribunal judiciaire de Paris, les avocats de l'Antenne des mineurs assurent une permanence tous les jours de 14 h à 17 h, où les jeunes peuvent rencontrer un avocat pour les aider à écrire au juge des enfants et lui demander protection. La phase du recours devant le juge des enfants et la cour d’appel peut durer jusqu’à un ou deux ans. Pendant ce temps, le mineur étranger n’est pas pris en charge par l’ASE.
Le juge des enfants statue en tenant compte des propos et du comportement du jeune à l’audience, du rapport d’évaluation et, le cas échéant, des documents d’identité ou d’état civil présentés. En dernier recours, si le jeune n’a pas de document d’identité ou si ses documents ne sont pas validés, le juge peut ordonner une expertise d’âge physiologique, au cours de laquelle un médecin prend une radio de la main et du poignet gauche ou de la clavicule du jeune, ainsi qu’une radio panoramique dentaire. Cependant, tous les spécialistes et les autorités de médecine s’accordent à dire que cette méthode d’évaluation de l’âge comporte des marges d’erreur élevées.
En tant qu’avocate d’enfants, je déplore que l’on exige de la part des jeunes isolés étrangers, qui se trouvent en France dans une situation d’extrême vulnérabilité, qu’ils réalisent un tel parcours du combattant pour prouver leur identité et leur minorité. La Convention Internationale des Droits de l’Enfant stipule dans son article 7 que le droit à l’identité est un droit fondamental auquel tout enfant doit avoir accès.
Peut-on estimer le nombre de mineurs étrangers présents en France ?
Selon le ministère de la Justice, dont les chiffres sont actualisés régulièrement, environ 20 000 mineurs étrangers ont été pris en charge par l’ASE en France depuis le 1er janvier 2020, soit une moyenne de 10 000 par an. Ce nombre représente moins de 10 % de l’ensemble des mineurs pris en charge par l’ASE. On est donc très loin du « raz-de-marée » dénoncé par certains !
En revanche, personne ne sait quel est le nombre de mineurs isolés étrangers qui sont présents mais non pris en charge par l’ASE, comme les mineurs en errance. Malheureusement, si les autorités ne les protègent pas, les enfants disparaissent et risquent d’être récupérés et exploités par des réseaux clandestins et des groupes criminels. Selon des experts, plus de 18 000 mineurs isolés étrangers auraient disparu en Europe entre 2018 et 2020.
Que se passe-t-il une fois qu'ils sont pris en charge par l'ASE ?
Ils passent un test de niveau avant d’être scolarisés. Pour ce qui concerne l’hébergement, des progrès restent à faire car les jeunes étrangers sont plus souvent logés à l'hôtel, contrairement aux mineurs français qui sont placés en foyers ou en familles d’accueil. Or ce mode d'hébergement est non seulement totalement inadapté à des mineurs, mais aussi peu propice à leur intégration, puisqu’il ne leur permet pas de voir et d’apprendre la manière dont on vit en France.
Que se passe-t-il lorsqu’ils deviennent majeurs ?
Les jeunes doivent obtenir la délivrance de leur titre de séjour avant leurs 19 ans. Cet accès au séjour se prépare en amont, avec l’ASE, à partir des 17 ans du jeune.
Le titre de séjour auquel chaque jeune peut prétendre dépend non pas de l’âge auquel il est arrivé en France, mais de l’âge auquel il a été confié à l’ASE. Si le jeune a été pris en charge avant ses 15 ans (ce qui est très rare), il peut réclamer la nationalité française avant ses 18 ans. S’il a été pris en charge avant 16 ans, il a droit à une carte de séjour « vie privée et familiale » qui lui donne le droit de travailler. S’il a été pris en charge entre 16 et 18 ans (ce qui représente la majorité des cas), il peut demander un titre de séjour dont la nature varie selon sa situation : étudiant, salarié, travailleur temporaire... Par ailleurs, toute personne mineure ou majeure qui a fui son pays et qui craint de subir des persécutions en cas de retour peut demander l’asile à la France.
Propos recueillis par Camille Delon et Sébastien Gaudelus, Bpi
Découvrez la version longue de cet entretien sur Balises, le magazine de la Bibliothèque publique d'information.
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