Le mystère de la grotte oubliée,
par Gérard Muller
Quelques précisions : vous êtes en Ariège, dans les hauteurs d’Ax-les- Thermes, aux abords de la station de ski de Bonascre, non loin de la principauté d’Andorre.
On découvre un cadavre emprisonné dans la glace. Vos soucis vont commencer, même si Gérard Muller est là, avec la verve et l’écriture équilibrées que ses lecteurs lui connaissent.
Dans une langue sobre et alerte, il vous présente aux protagonistes du récit, à commencer par Catherine, l’impressionnante policière qui fera tout pour conduire une vraie enquête. En restant autonome envers et contre tous.
Le secours de la génétique
Roman d’action, ce texte use le plus souvent d’un efficace présent narratif qui nous fait plonger sans retour dans l’action. Voilà que l’homme trouvé mort semble avoir été victime d’un homicide singulier. De plus, son ADN a été bricolé. Plus étrange encore, il est dépourvu de cette glande pourtant essentielle qu’est le pancréas… En dépit des apparences, on se demande s’il est humain. Il faut d'urgence lancer enquête et analyses.
Ce paysage de montagne complexifie les conditions de l’investigation ; le relief exige beaucoup du physique des uns et des autres. L'altitude rend difficilement accessibles les lieux à explorer. De pseudo-victoires en déconvenues, les équipes ne lâchent rien. Les coups de théâtre se multiplient. C’est un théâtre où les séances s’enchaînent au risque d’épuiser tous les acteurs. Le narrateur, lui, tient bon son fil dramaturgique.
Une certaine grotte fait l’'actualité. Serait-ce la grotte oubliée du titre de ce récit qui n'en finit pas de galvaniser les consciences ?
Ponctuée d'images fortes et de métaphores, l’investigation progresse. De temps à autre, l'auteur s'offre une prise de distance qui augmente encore la tension. On marche, on campe, on grimpe... La montagne dicte ses lois aux enquêteurs.
Peu à peu, l'idée s'impose que l'on est confronté à des meurtres en série et que les cadavres vont se succéder. Des cadavres certes, mais d'un type génétique troublant. On commence à parler de Mortimer. Dans ce nom, il y a mort… L'enquête avance. L'ADN sera source de révélations.
Ici l’auteur manie les éléments biologiques et génétiques avec toute la sagacité requise. Pour ne pas parler des fameux ciseaux… Enfin une certitude : les cadavres ne sont pas tout à fait des hommes…
Qui sont-ils donc ? Choses ou hommes ?
La montagne se montre de plus en plus exigeante. Surtout depuis que l’on a compris qu’elle recèle un épais mystère qu’il faudra peut-être aller élucider jusque dans ses profondeurs.
Ce travail d’investigation, déjà éreintant, l’est davantage qu’en plaine. On entend les essoufflements.
Ce que l’on croirait impossible, dans cette tragédie, advient pourtant : il y a de l’amour dans l’air. Catherine et Jean, ardents chercheurs de vérité, ont la tête bien faite, mais le cœur aussi. La libido lâche la bonde. Ils sont pourtant loin d’être seuls au monde… Ces amoureux-là s’investissent dans une mission de groupe sans équivoque : comprendre quelle horreur a frappé ces êtres morts, et découvrir d’où ils viennent ?
Gérard Muller compose, écrit et construit en utilitariste sensible, rien de superflu ne transpire de son récit. Ses descriptions sont précises et pragmatiques, par-là très fonctionnelles du point de vue romanesque. Et toujours intéressantes. Il maîtrise les rebondissements. Quand ceux-ci se produisent on en aurait presque les mains humides. On ne dira pas ici quelle effroyable découverte il nous est donné de vivre avec lui à mi-parcours.
On croit avoir tout compris de cette histoire d’ADN. Et puis non ! Sous les millions de tonnes de roche indifférente, l’énigme persiste.
L’investigation a de quoi user les nerfs des plus solides. Des lecteurs aussi, sauf que ces derniers sont là pour leur plaisir. Pas vraiment le cas des équipes, maintenant de plus en plus nombreuses. Elles aimeraient liquider l’affaire et pouvoir s’extraire enfin du ventre de la montagne.
Un toit de roche
Faisons confiance à l’auteur : nous sentons que l’un de ses personnages pourrait résoudre sous peu l’ahurissante problématique qui affecte les esprits.
Les pistes se brouillent de nouveau. Ces avatars humains qui ne sont pas des hommes, qui sont-ils donc, à la fin ? De nouveau, on croyait avoir compris… Et cette étrange aiguille ?
On verra comment et avec quelle logique narrative, l’incroyable finit par déboucher sur une brillante solution qui prend ses racines dans la culture et le tradition des confins andorrans.
Science et culture forment les pertinentes composantes de ce palpitant récit qui se distingue par sa force granitique — qui n’est pas sans nous pétrifier par moments. Rien d’étonnant à cela: le plus clair du temps, en le lisant, nous habitons le minéral.
Pierre-Jean Brassac
Gérard Muller, Le mystère de la grotte oubliée,
collection Crimes et châtiments, Les Presses littéraires, 198 pages, 11 €

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