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Billet de blog 9 avril 2024

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IRONIE LA VIE

Les relations complexes entre les protagonistes apparaissent souvent, à juste titre, aussi réalistes qu’indéchiffrables comme dans la vraie vie. Le caractère et le tempérament des personnages se déduisent de leurs actions, davantage que de leurs traits psychologiques que nous suggère discrètement l’auteur.

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IRONIE LA VIE,

un roman de Serge Marignan, aux éditions Le Livre et la plume.

Serge Marignan, l’emporte haut la main dans sa spécialité littéraire : les relations interpersonnelles.

L’histoire à la « Jules et Jim » qu’il nous raconte forme, pourrait-on dire, la mise au futur circonstanciée de l’idée-maîtresse du roman de Henri-Pierre Roché, soixante-dix ans plus tard.

Serge Marignan, l’auteur, a vu juste en fournissant au début de l’ouvrage à ses lecteurs la distribution complète du roman qui compte pas moins de vingt-huit personnages. Il faudrait de l’hypermnésie pour se souvenir d’emblée du prénom de chacun. Ceux qui nous importent au premier chef sont la fille et les deux garçons, familiers dès le début du récit.

L’action se déroule dans le Grand Sud et ouvre sur la parution dans la presse régionale d’un fait-divers, le viol d’une jeune fille.

Parmi d’autres lieux, Calvisson, Aubais et Nîmes sont le théâtre des péripéties d’un triangle amoureux et de ceux qui l’entourent. Sommières aussi, bien connue pour ses « vidourlades », quand le fleuve déborde, sournois au point de se dissimuler sur une partie de son itinéraire vers la mer. Certains courants de récit ne seront pas moins traîtres ; leurs tourbillons nous emportent.

Le roman de deux générations

La temporalité de la première partie du roman s’étire de l’été 1969 à l’été 1976. Vient un « entre-deux » de cinq années, puis une seconde partie de 2001 à 2005. On se complaît à observer notre siècle dans l’étincelant miroir du contemporain…

Pour l’heure, les garçons, Paul et Vincent, entrent en sixième. De confession protestante, ils éprouveront une passion pour la musique ; Paul aura la clarinette, Vincent la contrebasse. Puis ils tomberont amoureux l’un et l’autre de la belle Anne, garçon manqué, que Paul découvre dans sa propre classe. Il la présentera sans attendre à son ami Vincent qui la gratifiera du qualificatif peu enviable de bartavelle, un oiseau, loquace comme elle, nommé aussi perdrix.

Je veux je ne veux pas…

Une scène érotique vient apporter un éclairage de plus sur la question tant débattue du consentement. Lorsque « Anne se prête au jeu, » on pourrait croire qu’un rapport sexuel entre elle, Paul et Vincent va avoir lieu. Les ayant copieusement excités plus avant, elle se ravise tout à trac et s’écrie : « Mais vous êtes fadas ou quoi : Si je n’avais pas réagi, ma parole, vous m’auriez violée ! » Sur quoi Paul, agacé, lance à la jeune fille une question ici pleine de sens : « Sais-tu au moins ce que cela signifie d’être violée […] ? ».  On trouve une idée assez proche de celle-ci dans le film « Les choses humaines, » adapté du roman de Karine Tuil et réalisé par Yvan Attal, film qui pose la double question de l’unicité de la vérité et du consentement.

Ce ne sera pas la dernière fois que les réactions énigmatiques de la jeune femme causeront du désarroi aux deux jeunes amants en herbe.

Le temps passe, Anne vit aux États-Unis. Elle écrit à sa fille Véra qui ignore encore le nom de son père. Anne devrait revenir en France dans trois semaines. Mais quelque chose va se détraquer, l’Histoire va s’emballer. Nous lisons interloqués les causes et les conséquences de ce formidable bouleversement.

La langue est contemporaine, persillée d’occitanismes et d’argot djeune, ce qui permet à l’auteur de dépeindre avec authenticité les modes de vie de l’époque, des post-ados et de leurs parents. Musique et littérature surgissent sur le devant de la scène avec Michel Sardou, et surtout avec Jean Carrière, auteur de « L’épervier de Maheux », que l’on rencontre sur sept belles pages à lire et relire. C’est le temps des émotions, pour ne pas dire déjà des émois.

Cheminant à travers ce texte bien dense, il arrive que l’auteur fasse dévier notre itinéraire par une digression ; celle-ci se révèle souvent plus savoureuse qu’il y paraissait au moment de délaisser pour un instant la voie principale…

Les relations complexes entre les protagonistes apparaissent souvent, à juste titre, aussi réalistes qu’indéchiffrables comme dans la vraie vie.

Le caractère et le tempérament des personnages se déduisent de leurs actions, davantage que de leurs traits psychologiques que nous suggère discrètement l’auteur.

Il y a des revirements dans l’air de ce roman. C’est le cas de le dire, on verra pourquoi. Dans son titre transparaissent l’étonnement et la déception que rien ne se passe comme prévu, et prenne au contraire des tours incongrus, absurdes, dont le mystère des causes reste entier. Et c’est souvent là, précisément, que nous, les humains, localisons la beauté tragique du monde qui finit par nous réconcilier avec lui, ainsi qu’avec ce qu’il dégage et suscite à la fois. :  l’ironie.

Pierre-Jean Brassac

Serge Marignan, Ironie la vie,

Éditions Le Livre et la plume, 300 pages, 18 €

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